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Le texte a été retraduit vers le français. La version originale et complète de l’article en russe a été publiée par Nation magazine.
L’Éthiopien Atsbeha Negga Tesfaye vit à Saint-Pétersbourg depuis 1990. C’est un artiste célèbre, dont les œuvres sont conservées dans des collections privées du monde entier. Il a même participé à la peinture de la cathédrale du Christ-Sauveur à Moscou.
En plus de trente ans, Tesfaye et Saint-Pétersbourg se sont définitivement et irrévocablement liés. Il a épousé une peintre russe, la fille de l’artiste restaurateur Iaroslav Chkandri, à qui Tesfaye doit de nombreux rebondissements heureux de son destin.
Aujourd’hui, Tesfaye lui-même aide les étudiants à démarrer dans la vie en tant que professeur de peinture et de dessin à l’Université d’État de technologie et de design de Saint-Pétersbourg.
Tesfaye est né et a grandi à Addis-Abeba, la capitale de l’Éthiopie. Sa mère élevait ses enfants (ils étaient sept) et son père travaillait dans le bâtiment, mais était très créatif : il dessinait tout le temps des projets de futurs bâtiments, imaginant différentes compositions. « Je les regardais, je m’en inspirais et, avec le temps, j’ai commencé à dessiner moi-même », explique l’artiste.
« En Russie, on ne sait pas grand-chose de l’Éthiopie, mais ce pays orthodoxe a été l’un des premiers au monde à adopter le christianisme », explique-t-il. En outre, c’est le seul pays africain qui n’a pas été une colonie. En Russie, on sait en revanche que le principal poète national, Alexandre Pouchkine, avait des racines éthiopiennes.
« En Éthiopie, on est fier de cette parenté : on érige des monuments à la gloire de Pouchkine, on traduit ses poèmes, on l’enseigne à l’école, note Tesfaye. Mais comme je connais le russe, je peux dire qu’il est impossible de traduire les poèmes de Pouchkine. Oui, vous transmettrez le sens, mais le génie, l’unicité des rimes – non, vous ne pouvez les ressentir que dans l’original ».
En 1974, alors que Tesfaye n’avait que 4 ans, une révolution a eu lieu en Éthiopie, l’empereur a été renversé, après quoi ce pays africain a commencé à entretenir de très bonnes relations avec l’Union soviétique.
« Aujourd’hui, il est courant de critiquer l’URSS, mais pour nous, c’était un pays merveilleux et bon ! C’est d’ici que venaient à nous les ballets, les expositions, les films, le tout gratuitement. L’Union nous a construit des centrales hydroélectriques, des routes, nous a aidés de toutes les manières possibles et, surtout, invitait les Éthiopiens à venir y étudier », se souvient Tesfaye.
Après avoir obtenu son diplôme dans une école d’art de son pays, le jeune homme, en tant qu’excellent élève, a reçu le droit d’étudier à l’étranger. Après avoir passé avec succès le concours, il s’est donc rendu en 1990 à Leningrad afin d’étudier à l’Institut d’art Ilia Répine.
« Moi qui ai grandi au milieu du sable, du soleil et des bâtiments bas, j’ai mis du temps à m’habituer à l’architecture de Saint-Pétersbourg et à la nature nordique. Au début, je marchais beaucoup, puis j’ai acheté une bicyclette », explique Tesfaye. Par beau temps, il parcourt encore aujourd’hui la ville à deux roues.
Chez lui, on lui faisait peur quant à la météo en Russie. Sa sœur avait l’habitude de dire : « Mets ta main dans le réfrigérateur et laisse-la pendant cinq minutes. Alors ? Et c’est quatre degrés, tandis qu’en Russie il fait moins trente ! Comment vas-tu vivre là-bas ? ». Néanmoins, Tesfaye demeurait optimiste : les gens y vivent bien d’une manière ou d’une autre...
« J’avais aussi un ami russe qui était un plaisantin. Lors de ma première année ici, il me taquinait sans cesse : "Tesfaye, cette année, on promet un tel froid que ce sera la fin pour toi !". Comme vous pouvez le constater, 33 ans ont passé et la fin n’a pas encore eu lieu », s’amuse l’artiste.
Le courageux Éthiopien s’asperge également d’eau froide et, en janvier, lors de la Théophanie, il plonge dans la Neva glacée : « C’est une sensation merveilleuse, comme si je naissais à nouveau ! ».
La professeur de russe de Tesfaye, au lieu de donner cours à ses élèves, les « chassait » souvent pour qu’ils conversent avec des Russes : « Il fait beau aujourd’hui : sortez et parlez aux gens. Il n’y a pas de meilleure leçon que la communication en direct ! ».
C’était dans les années 1990, la Russie venait de s’ouvrir et les étrangers attisaient la curiosité de tout le monde, de sorte que les gens entraient en contact et discutaient volontiers.
« Cela se passait souvent ainsi : nous faisions connaissance, bavardions un peu, puis je me retrouvais invité chez la personne. D’abord en tant qu’étranger, puis les gens voyaient que j’aimais la littérature et la culture russes, que je m’intéressais à beaucoup de choses – et nous devenions intéressants l’un pour l’autre. J’ai des amis à Saint-Pétersbourg que j’ai rencontrés à l’époque ».
Il invitait également des convives chez lui. « On m’apportait d’Éthiopie des épices spéciales pour le thé : cannelle, ginseng, herbes, racines – et toute la résidence universitaire ainsi que des connaissances de la ville venaient chez moi pour boire du thé à l’africaine ».
Tesfaye admet que c’est grâce à des amis russes qu’il a eu la possibilité de gagner sa vie et voyager.
Un jour, il s’est retrouvé à rendre visite à Micha, alors étudiant à l’académie spirituelle. Plus tard, ils sont devenus les meilleurs amis du monde. « Sa mère aimait et savait cuisiner. Salades, soupes, charlottes, tout était parfait. C’est ainsi que je suis tombé amoureux de la cuisine russe. Et des tablées russes. Nous y chantions. C’était des chansons que je ne connaissais pas. Mais comme cela m’émerveillait ! ».
Grâce à Micha, Tesfaye s’est rendu en Suisse pour la première fois en 1995. Les étudiants de l’académie spirituelle étaient invités à Genève pour un séminaire et Micha a insisté pour que son ami artiste participe au concours pour le voyage. Tesfaye a réalisé une série d’œuvres sur des thèmes religieux, qui ont été acceptées. En Suisse, elles ont été exposées dans une galerie et, dès le premier jour, les 12 tableaux ont été vendus.
C’est ainsi que Tesfaye a gagné son premier argent et a rencontré un galeriste, qui a ensuite vendu ses peintures sur des thèmes africains pendant de nombreuses années. Encore récemment étudiant, il cédait ses œuvres pour un prix modique, alors que le galeriste demandait une forte majoration. « Mes œuvres étaient surtout achetées par de riches Russes. J’y suis allé de nombreuses fois et j’ai vu ces gens moi-même. Une fois, j’ai même rencontré Anatoli Sobtchak, le premier maire de Saint-Pétersbourg. Il m’a demandé en anglais : "Pourquoi vos peintures sont-elles si chères ?". À l’époque, en Russie, les tableaux ne coûtaient que quelques kopecks. Je l’ai salué en russe : "Bonjour, Anatoli Alexandrovitch !". Il a eu peur : un Africain parlait russe et l’avait reconnu ! Et il est parti en douce ».
Le père de sa future épouse, l’artiste Iaroslav Chkandri, enseignait à Tesfaye la technique de la peinture à l’Institut Répine. C’était une personne très sociable et agréable, aimée de tous les étudiants. Sa fille Nadejda venait souvent à l’atelier. Un jour, elle a vu les œuvres de Tesfaye et la signature « Atsbeha » et a pensé que l’auteur était une fille, puisque le nom se terminait par un « a ». Elle a alors demandé : « Qui est cette Atsbeha ? Je veux la rencontrer ».
Nadejda s’est ainsi rendue à la résidence universitaire pour rencontrer l’artiste. « À l’époque, j’avais des dreadlocks, des disques de gramophone sympas et un béret fringant – non, il lui aurait été impossible de ne pas succomber ! », s’amuse Tesfaye. Au bout d’un certain temps, ils étaient déjà en couple, puis se sont mariés.
L’artiste se souvient de ses années d’études comme de la période la plus magique. Des gens de tout le pays et de l’espace post-soviétique se retrouvaient ensemble : Iakoutsk, Krasnodar, Odessa, Minsk. « Chacun apportait sa propre culture, tout se mélangeait, et cela s’est avéré être un microcosme dans lequel nous avons vécu, nous nous sommes fait des amis, nous sommes tombés amoureux. Nous allions nous entraîner dans les monts Pouchkine. Pendant la journée, nous peignions des tableaux et des croquis, et le soir, nous buvions du vin et lisions de la poésie. J’étais encore Éthiopien à l’époque, je ne comprenais pas grand-chose, mais l’ambiance m’enchantait ».
Tesfaye admet qu’il portait autrefois un regard éthiopien sur le monde, mais qu’il possède désormais une vision russe : pensées, images, « tout est local ». « Parfois, dans mes rêves, je parle à mes parents et à mes frères en russe, et ils me répondent en russe. 33 années passées en Russie n’ont pas été vaines ».
À la fin des années 1990, la cathédrale du Christ-Sauveur, détruite à l’époque soviétique, était en cours de reconstruction à Moscou. Le beau-père de Tesfaye, qui travaillait à la décoration intérieure de l’église, a alors suggéré à son gendre de tenter de participer au concours.
Tesfaye se souvient qu’à l’époque, il avait même voulu refuser : en Suisse, ses tableaux se vendaient bien et le galeriste en demandait de plus en plus de nouveaux. Cependant, aujourd’hui, l’artiste se rend compte de l’importance de ce projet pour lui.
« Je ne sais rien à ce sujet – comment pourrais-je peindre ? », pensait-il. Toutefois, son beau-père lui a apporté une pile de livres et, après les avoir lus, Tesfaye a réalisé 12 esquisses – pour peindre les pilastres du temple, qui devaient représenter des scènes de la vie des saints sages. Finalement, la commission a accepté les 12 croquis, mais ils ont été exécutés par d’autres artistes. Tesfaye a cependant été chargé de peintre un grand tableau de 4 x 6 mètres intitulé VIIe concile œcuménique. Pour cette œuvre, il a reçu une médaille de l’Académie russe des arts.
Dans cet autre article, découvrez le témoignage du pianiste français Hugo Martin, étudiant au сonservatoire Tchaïkovski de Moscou.
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