Témoignage: «Je suis Française, mais j’ai vécu la moitié de ma vie en Russie»

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La Française Margaux a 23 ans, dont dix passés dans la capitale russe. Elle a raconté à Russia Beyond le charme du Moscou postsoviétique, ses difficultés d’intégration dans la société russe, et pourquoi il convient de ne pas croire au mythe du manque d’amabilité des locaux.

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J’ai du mal à dire d’où je viens – je suis née à Toulouse, puis j’ai déménagé à Moscou, où j’ai été scolarisée pendant à peu près dix ans dans une école russe, et ensuite je suis rentrée en France pour faire mes études à Paris et à Lyon. C’est pourquoi lorsque l’on me demande d’où je viens, je réponds que je suis Française mais que j’ai vécu la moitié de ma vie en Russie. Je n’arrive pas à choisir entre les deux pays, je suis souvent nostalgique soit de l’un, soit de l’autre.

Je me souviens très bien du jour où mes parents nous ont annoncé notre déménagement en Russie. J’avais 9 ans quand mon père a été invité à créer la branche locale de Décathlon. J’étais vraiment contente et très excitée à l’idée de partir en Russie : j’ai tout de suite eu à l’esprit les images des contes russes que j’avais lus. Et puis l’idée de voir tomber la neige par la fenêtre alors que je me trouve à l’école me fascinait.

Notre installation a été assez chaotique. Lorsque nous sommes arrivés à Moscou, la maison dans laquelle nous devions être logés a malencontreusement brûlé. Je me souviens que nous avons alors passé plusieurs jours, et durant des journées entières, à visiter des maisons dans différents coins de la ville. La maison que nous avons finalement choisie était très loin de l’école française, c’est pourquoi nous avons été scolarisés dans une école russe.

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Ma mère a des origines russes, c’est pourquoi nous étions déjà un peu sensibilisés à la culture de ce pays. Je voulais vraiment apprendre la langue avant de commencer les cours. Dans la bibliothèque familiale, j’ai trouvé un livre, Le russe en 90 leçons et en 90 jours. J’étais persuadée que j’allais réussir à apprendre le russe si j’arrivais bien à apprendre une leçon par jour. J’étais très sérieuse et tous les matins je me levais et tout de suite j’allais travailler.

Mais apprendre à parler russe a pris plus de 90 jours : même si mon frère et moi connaissions quelques phrases, nous restions entre nous durant la récréation à l’école, car il était assez difficile d’établir un contact avec nos camarades. Mais nos professeurs ont tout fait pour qu’on puisse s’intégrer. De plus, pendant un an, nous avions un professeur qui nous donnait des cours de russe. Finalement, on a dépassé cette barrière linguistique.

Quand je suis arrivée dans la capitale russe, je l’ai trouvée très grande. Ce qui m’a le plus impressionnée fut l’intérieur du Goum. Il y avait beaucoup d’illuminations, c’était magique. Et le Detski Mir [grand centre commercial uniquement destiné aux enfants] bien sûr m’a également fait beaucoup d’effet – je me souviens avoir été fascinée par toutes les poupées de cire qui, dans mon souvenir, trônaient dans la pièce centrale. Aujourd’hui elles ont été remplacées par des magasins très européens, alors qu’à l’époque, on pouvait encore sentir une certaine ambiance soviétique, même si ces magasins étaient dédiés aux étrangers. Après, bien sûr, j’ai été marquée par la place Rouge et l’église Saint-Basile.

Au-delà de la langue, je crois que j’ai réellement compris que je me trouvais face à une culture différente lorsqu’il a été question de sports d’hiver. Alors qu’en France, le ski est considéré comme le sport à pratiquer en hiver, en Russie, c’est le patin à glace. J’étais impressionnée de voir mes camarades de classe effectuer des pirouettes dans tous les sens sans tomber. J’adorais patiner dans la forêt, parmi les arbres, sur des petits chemins de glace improvisés. 

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Depuis, Moscou a beaucoup changé. La ville s’est modernisée, européanisée et standardisée. Par exemple, beaucoup d’arrêts de bus ont été construits – cela me semble incroyable aujourd’hui de pouvoir prendre le bus à Moscou, et même l’hiver, quand les rues sont recouvertes de neige ! À l’époque, il n’y en avait pas : il fallait attraper au vol une « marchroutka » [minibus typique] et, peu importe le trajet, ça coûtait dix roubles. D’un côté, ces « marchroutka » donnaient un charme indéniable à la vie en Russie, mais, d’un autre côté, avoir des transports en commun dignes de ce nom est une bonne chose pour Moscou, surtout pour le tourisme.

J’aime toujours autant Moscou, même si ce n’est pas la ville que j’ai connue dans mon enfance. Elle est beaucoup plus propre aujourd’hui, et, si on compare à Paris, où je vis actuellement, il faut souligner que c’est agréable de se balader le long de trottoirs propres. Et puis Moscou a su mettre en valeur ses espaces verts : j’adore ses grands parcs comme VDNKh, qui vient d’être rénové, ou encore le parc Gorki, où tout le monde se retrouve le week-end entre amis ou en famille.

Saint-Pétersbourg semble attirer beaucoup plus les Français que Moscou. Les Français qui ne sont jamais allés en Russie ont souvent comme ville de prédilection Saint-Pétersbourg. Pour eux, Moscou est la capitale économique et politique et Saint-Pétersbourg la capitale culturelle. Je trouve les deux villes aussi charmantes l’une que l’autre mais elles sont très différentes. Saint-Pétersbourg a un côté très européen : il ne faut pas oublier que c’est une ville qui a été construite par des architectes français et italiens, invités par Pierre le Grand.

J’ai commencé à comprendre comment fonctionne la société russe seulement quand je suis partie de Russie. C’est un peu paradoxal mais, étant arrivée très jeune en Russie, je ne prenais aucune distance avec les événements, je considérais tout ce que je voyais comme la norme. Bien sûr, je constatais des différences entre ma famille et celle de mes amis, mais je ne saisissais pas le fait que ces différences étaient culturelles. Je me demandais simplement pourquoi nous ne faisions pas tout comme les autres.

Les Russes sont plus fatalistes que les Français, plus détendus par rapport aux choses : lorsqu’un événement malheureux ou désagréable se produit, on dit que ce n’est pas grave, que c’est le destin. C’est une chose qui peut désarmer au début, surtout les Français, qui aiment prendre leur destin en main.

J’apprécie tout particulièrement le sens de l’amitié des Russes. Ils sont toujours là pour aider leurs amis et sont très fidèles en amitié : il n’est pas rare de croiser des Russes amis depuis très longtemps. Peut-être cela vient du fait que les relations humaines en Russie ont une place très importante.

Ce que j’apprécie le plus dans la русская душа (l’âme russe), c’est cette façon d’être toujours dans les extrêmes. C’est ce qui fait le charme des Russes. D’un côté ils sont capables d’être dans une joie immense, tout particulièrement lors des fêtes, et, de l’autre côté, il leur arrive d’être plongés dans une profonde mélancolie, une nostalgie terrible, qu’on appelle la « toska », un mot intraduisible en français.

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L’idée que les Russes ne sourient pas est un mythe. Effectivement, à 7 heures du matin dans le métro à Moscou, peu de personnes sourient, mais c’est la même chose à Paris. Il est vrai que les Russes sont assez réservés au départ et peuvent paraître froids, mais il suffit de commencer à leur parler et de créer un lien pour que ce dernier se transforme en amitié sincère. En effet, la première qualité des Russes est, selon moi, leur convivialité et leur générosité.

En Russie, l’invité est roi. Les Russes mettent toujours un point d’honneur à bien accueillir leurs invités. On pourrait même dire que l’accueil est réellement une valeur à part entière chez les Russes. Le seul moyen pour les remercier est de profiter de l’instant présent et d’ouvrir son cœur à son interlocuteur.

Les Russes ont une relation très particulière au temps – ils n’acceptent pas d’en être les esclaves. En France, en général, il convient d’arriver 5-10 minutes avant un rendez-vous. En Russie, c’est plutôt 40 minutes après. Quand je reviens en Russie, il me faut un peu de temps avant de me réhabituer à cette notion du temps particulière. Je me dis que cela est peut-être dû au fait que les distances en France et en Russie ne sont pas les mêmes, et que donc la probabilité d’avoir un empêchement ou un problème de transports est plus importante en Russie. Ou alors c’est simplement le fait que les Russes n’aiment pas couper court à une discussion passionnante et que donc, par un phénomène d’escalade, ils prennent du retard pour tous leurs rendez-vous suivants.

Propos recueillis par Daria Gridiaïeva

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