Ces habitants d'Aquitaine dont la vie est liée à la Russie

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DARIA GRIDIAÏEVA
Descendants d'émigrants blancs, fille d'une pianiste française qui correspondait avec Sviatoslav Richter, voyageur ayant navigué des sources de la Volga à la mer Caspienne en kayak... Dans cet article, nous vous présentons trois habitants de l'Aquitaine, dont chacun a sa propre histoire étonnante liée à la Russie.

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Jean, descendant d'émigrants blancs, issu de la même lignée que l'illustre Savva Mamontov - Français à l'âme russe

« Il y a deux ans, j'étais dans la réserve-musée d'Abramtsevo, où le grand peintre russe Valentin Serov a peint un portrait de la fille de Savva Mamontov, Véra, connue dans le monde entier sous le nom de Jeune fille aux pêches » : la voix au téléphone est celle d’un homme qui parle russe avec un très subtil accent français. « Quand la guide a appris mon nom, elle a pleuré. J'ai pleuré aussi. Je me sentais comme chez moi, je me sentais si bien ! », nous raconte Jean Mamontov, dont la famille est cousine de celle du célèbre philanthrope russe Savva Mamontov, avant d’ajouter : « Mais je ne regrette pas d'être né en France, c'est ma patrie et c'est aussi très important pour moi ». 

Les ancêtres de Jean, ou plutôt d'Ivan, comme l'appellent ses parents et amis, sont arrivés sur le territoire de l'Hexagone avec les restes des troupes de l'un des chefs du mouvement blanc, Piotr Wrangel, qui fuyaient l'Empire russe. Les deux familles se sont installées à Paris, où plus tard, pendant la Seconde Guerre mondiale, ses parents étaient destinés à se rencontrer.

Jean, qui a eu 76 ans cette année, a grandi dans un environnement russophone et ne parlait pas du tout français avant l'école. Cependant, ses proches n'étaient pas nostalgiques de l'ancien temps. « Malgré une incroyable histoire familiale - ma famille était proche de Nicolas II - ils voulaient vivre dans le présent, étaient reconnaissants à la France pour l’asile qui leur était offert et voulaient s'intégrer dans la société française ».

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Ivan se souvient avec tendresse de comment, encore enfant, il allait tous les dimanches à la cathédrale Alexandre Nevski et tous les jeudis dans une école russe, où il dansait accroupi avec les enfants d'autres immigrants blancs. « Du vivant de mes grands-parents, leurs amis, des officiers du régiment Preobrajenski, venaient souvent nous rendre visite. Imaginez seulement ! Pendant toutes ces conversations à table, ils pouvaient boire vingt ou trente verres de vodka sans être saouls... », dit-il en riant.

Jean a continué à étudier le russe au lycée, mais par la suite, il l'a progressivement oublié après avoir épousé une Française. Cependant, il n'a jamais perdu le contact avec la patrie de ses ancêtres : il a lu les romans de Dostoïevski, est venu plusieurs fois en Russie avec sa famille et, tout comme son parent éloigné, le mécène des arts Savva Mamontov, était épris de peinture russe. Un tableau de Konstantin Iouon est suspendu dans l'appartement d'Ivan à Bordeaux. « Un vrai paysage russe », comme le dit lui-même ce descendant des gardes blancs. Sur le tableau - la laure de la Trinité-Saint-Serge, probablement en fin d'automne ou au début du printemps, compte tenu de la modeste neige. Des cochers conduisent des fidèles aux églises visibles au loin. Quand il la contemple, notre héros a le cœur serré... 

Une fois à la retraite, Jean a décidé de réapprendre la langue de Pouchkine et s'est inscrit à des cours. Cependant, entouré de débutants, il s'est rapidement ennuyé, car il était contraint de passer de longues heures à analyser des formes grammaticales. « Je voulais parler, parler et me sentir immergé dans la culture russe », explique-t-il. « Alors je suis allé à l'Association russe de Bordeaux ». Maintenant, selon Ivan, chaque semaine, pendant une heure et demie, il « se sent vraiment russe » et pense même dans la langue de Pouchkine.

Adrien, voyageur – Au fil de la Volga

Michel Strogoff, héros du roman éponyme de Jules Verne publié en 1847, a parcouru 5 500 km à travers la Russie pour remplir une mission de l’empereur. L'histoire de ce voyage palpitant et risqué fait vibrer l'esprit des aventuriers du monde entier depuis déjà plusieurs siècles. Mais si beaucoup rêvaient seulement de réaliser un long voyage à travers le plus grand pays du monde, un Français nommé Adrien, lui, l’a fait. En 2019, il a parcouru 3 600 km, descendant en bateau des sources de la Volga jusqu'à la mer Caspienne. « Les Russes disaient qu'il était trop tard pour faire un tel voyage à l'automne et que je gèlerais. J’ai dit : on verra ça ! », plaisante-t-il dans une interview accordée à une chaîne de télévision régionale russe.

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Le Français a immortalisé son voyage dans un film documentaire. « La Volga m'amenait ses personnages, j'entrais dans des territoires méconnus… De la République de Tchouvachie et de sa capitale Tcheboksary, de la République du Mari El et Iochkar-Ola, puis, progressivement, le Tatarstan se rapprochait. La Volga comme une frontière partageant la Terre en deux pôles, du côté, sur sa rive droite, les confins européens, et puis, de l'autre, sur la rive gauche, les prémices asiatiques, dit-il. On s'imagine la Russie comme un seul pays, mais c'est en réalité un monde avec une mosaïque de nationalités différentes... »

Force est de constater qu'il y a en effet beaucoup de points communs entre le jeune homme et le Michel Strogoff de Jules Verne. Tous deux au moment du voyage ont 30 ans, tous deux sont des jeunes gens forts et énergiques qui savent « profiter des circonstances et avancent sans répit vers leur objectif ». 

Bien qu'Adrien n'ait pas eu, dans son enfance, à chasser l'ours avec son père, son périple sur la Volga, rythmé par 10 heures quotidiennes à ramer, s'est déroulé relativement paisiblement. Le seul incident a été la perte d'affaires, qui ont rejoint les fonds du fleuve pendant une tempête nocturne au large de Doukhovnitskoïé, dans le réservoir de Saratov.

Bien sûr, le succès du voyage était en grande partie lié au fait qu'Adrien était bien préparé pour ce long périple en bateau. Pour faire face au grand fleuve russe, si large qu’il rappelle parfois une mer, il a amené avec lui de France un kayak de mer. 

De plus, le jeune homme savait déjà parler russe. « Je suis allé en Russie pour la première fois à l'âge de 19 ans. J'étais fasciné et perdu en même temps. Je rêvais de ce pays depuis l'enfance, mais j'ai constaté que je ne pouvais pas comprendre le russe ni lire les panneaux de signalisation. De retour en France, j'ai décidé qu'il était temps de me mettre à la langue de Pouchkine », a-t-il partagé avec Russia Beyond.

« À l’époque, je me préparais à un voyage en Géorgie pour étudier la vinification locale, mais mon professeur, Igor Joukovski, m’a également fait découvrir la culture russe, par exemple, l'œuvre du poète Mikhaïl Lermontov, et m’a beaucoup parlé du Caucase russe ».

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Martine, pianiste - Lettres de Sviatoslav Richter

« Mes parents n'étaient pas autorisés à voyager autant que nous le faisons actuellement, surtout lorsque le rideau de fer était suspendu au-dessus du monde. Mais cela a-t-il rendu leur vie moins riche ? », s’interroge la Française Martine, l'une des membres permanentes de l'Association russe de Bordeaux. « Au contraire, l'imagination fonctionnait de façon active ! Par exemple, lors de la réception d'une lettre venue de Russie... »

La mère de Martine, une pianiste française fascinée par la musique russe, recevait souvent de telles lettres. Et si au début son correspondant était un simple professeur de piano soviétique, en 1965, la famille a reçu la première lettre d'un destinataire absolument incroyable… le pianiste virtuose de renommée mondiale Sviatoslav Richter.

La petite Martine, qui joue du piano depuis l'âge de quatre ans, suivait attentivement l’évolution de l'amitié de sa mère avec le grand maestro. « Maman avait toujours avec elle un sac lourd, dans lequel il y avait un magnétophone, sur lequel elle enregistrait les programmes de Richter, raconte notre héroïne. Elle envoyait les cassettes à Richter s'il les voulait ».

En plus de précieuses bandes avec les concerts du pianiste soviétique, la mère de Martine mettait également des livres sur des peintres français dans ses colis destinés au musicien soviétique - Richter aimait beaucoup la peinture. De nombreuses années plus tard, lors d’une visite à Moscou, Martine a réussi à visiter l'appartement commémoratif du maestro rue Bolchaïa Bronnaïa. « Imaginez ma surprise quand, dans l'une des vitrines, j'ai découvert un petit livre sur l'impressionnisme français publié par la maison d'édition Skira, jadis envoyé à Richter par ma mère ! », se souvient-elle.

Son père a également eu une forte influence sur l'intérêt de Martine pour tout ce qui était russe. Mathématicien de profession, il était tellement fasciné par les travaux sur la théorie des probabilités du scientifique soviétique Alexandre Kintchev qu'il a décidé de les traduire dans la langue de Molière. « À cette époque, l’énorme dictionnaire russo-français de Lev Chtcherba est apparu dans notre maison, j’en feuilletais les pages avec une grande fébrilité », se souvient-elle.

Sans surprise, en fin de compte, Martine est entrée à la faculté d’études slaves. Mais elle n'a jamais abandonné le piano. Travaillant comme professeur au conservatoire, elle a enseigné le russe et traduit à titre non professionnel, pour des associations. « En tant que musicienne, la langue russe m'a permis de me rapprocher de nombreux artistes et professeurs russes – je suis allée plusieurs fois en URSS et en Russie », raconte-t-elle.

Aujourd'hui, Martine vit en Aquitaine, où elle suit des cours de langue russe à l'association locale et organise de petits concerts de musique russe. « Comme vous l’aurez probablement déjà deviné, j’ai également hérité de la passion de ma mère pour Richter et je suis influencée par sa personnalité hors du commun », dit-elle en riant.

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