Pourquoi les Soviétiques rejoignaient-ils le Komsomol, l'organisation de la jeunesse communiste?

Histoire
GUEORGUI MANAÏEV
Au cours de ses 73 années d'existence, le Komsomol a compté plus de 160 millions de membres. Était-il prestigieux ou avantageux pour un jeune Soviétique d'être un «Komsomolets»?

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Le jeune État soviétique était le pays d’une jeunesse en difficulté. De jeunes soldats revenant d'une guerre dévastatrice, des adolescents sans parents, des étudiants qui se rendaient dans les grandes villes pour étudier et qui ne pouvaient pas rentrer chez eux dans la tourmente de la Révolution. Ils voulaient tous être maîtres des événements, participer aux grands changements sociaux et avoir leur mot à dire dans la construction d'un nouvel avenir. Cette masse de jeunes était également encline à la criminalité. Les bolcheviks avaient donc besoin de quelque chose pour faire face à ce problème croissant.

En juin 1917, avant même la Révolution bolchévique, Nadejda Kroupskaïa, l'épouse de Lénine, a rédigé le statut de l'Union de la jeunesse ouvrière de Russie, publié dans le journal Pravda. Ce statut stipulait que « tous les garçons et les filles qui vivent de la vente de leur travail sont organisés en Union de la jeunesse ouvrière de Russie ». Le but de l'Union, selon Kroupskaïa, était de « préparer ses membres à devenir des citoyens libres et responsables, des participants légitimes à la grande lutte qu'ils vont mener en tant que prolétaires pour la libération du joug du capital ».

Pourquoi rejoindre le Komsomol ?

Après le statut de Kroupskaïa, de petites Unions de la jeunesse ouvrière ont vu le jour dans différentes villes russes. Le Komsomol a été officiellement organisé le 29 octobre 1918, lors du 1er Congrès panrusse des syndicats de la jeunesse ouvrière et paysanne – sous le nom d'Union de la jeunesse communiste russe.

L'organisation a ensuite changé de nom officiel à plusieurs reprises, mais elle était généralement connue sous le nom de « Komsomol » (abréviation de « Kommounistitcheski Soïouz Molodioji », « Union de la jeunesse communiste »). Selon son statut de 1920, toute personne âgée de 14 à 23 ans et soutenant les idéaux communistes pouvait en devenir membre.

Vladimir Lénine a visité le 3e congrès du Komsomol en octobre 1920 et a prononcé un discours inspirant : « Le but principal est d'étudier le communisme, mais en liant seulement chaque étape de l'éducation et de la formation à la lutte continue des prolétaires et des travailleurs contre l'ancienne société d'exploitation ». À l'époque, le Komsomol comptait environ un demi-million de membres. Mais qu'est-ce qui poussait vraiment les gens à rejoindre l'organisation ?

Les premiers membres du Komsomol étaient généralement enthousiastes à propos de l'édification du communisme et étaient prêts à se battre pour lui. Sergueï Kourkine, l'un des militants du Komsomol à Tchaplyguine, dans la région de Lipetsk, a témoigné qu'en 1919, une unité des forces spéciales avait été créée dans sa ville et que des membres du Komsomol en faisaient partie. Ces unités étaient organisées « pour aider l'Armée rouge » dans toute la Russie – mais en fait, il s'agissait simplement de paysans et d'ouvriers communistes légalement armés.

Les unités ont combattu la contre-révolution – les officiers blancs et les paysans qui refusaient de renoncer à leurs réserves de nourriture – la guerre civile battait alors son plein. En 1919, les forces spéciales de Tchaplyguine (et les membres du Komsomol parmi elles) ont affronté militairement le général blanc Konstantin Mamontov.

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« Je suis un membre du Komsomol ! Craignez et obéissez-moi ! »

Néanmoins, en général, le jeune Komsomol a été utilisé de manière beaucoup moins héroïque. L'historien Vladimir Ippolitov de Tambov a écrit qu’à partir du début des années 1930, le Komsomol régional a été utilisé pour mettre en œuvre la collectivisation – dépouillant les paysans aisés de leurs économies et de leur nourriture, avec une cruauté démonstrative. « Le Parti local et l'administration soviétique ont fait faire aux jeunes le travail le plus dur et le plus sale, a rédigé Ippolitov. L'expropriation des biens des paysans, qui devaient devenir la propriété des kolkhozes [fermes collectives soviétiques], s'est avérée être un pur vol. Sentant le soutien des autorités, les membres du Komsomol se sont comportés comme s'ils étaient propriétaires des villages. Dans le district d'Orlovski, un secrétaire d'une cellule du Komsomol nommé Semionov a battu une femme en disant : "Je suis un membre du Komsomol ! Craignez et obéissez-moi !" ».  

Les jeunes rejoignaient donc le Komsomol pour obtenir une arme ? Pas exactement, plutôt pour faire carrière au sein de l'État soviétique. Le Komsomol, que l'on appelait souvent « l'aide et la réserve du Parti communiste », avait une énorme structure bureaucratique ressemblant à celle du Parti communiste de l'Union soviétique et plus on s'y prenait bien, plus les chances d'adhérer au PCUS sans entraves étaient grandes.

« Notre organisateur du Komsomol [à l'Institut pédagogique d'État de Moscou dans les années 1970] avait pour objectif de rejoindre le Parti communiste, explique la Moscovite Galina Oulianova, docteur en histoire. À l'époque, pour travailler comme historien professionnel, il fallait être membre du Parti, sinon, on ne pouvait pas entrer dans les archives ! Et une carrière dans l'administration du Komsomol pouvait vraiment vous aider à rejoindre le Parti ».

En 1926, le Komsomol a été officiellement baptisé « Ligue léniniste des jeunes communistes de l'Union », l'âge d'adhésion a été étendu jusqu’à 28 ans (les fonctionnaires du Komsomol pouvaient toutefois être plus âgés) et une cotisation mensuelle de 2 kopecks (le prix d'un cornet de glace à l'époque) a été introduite. 

Dans les premières années du Komsomol, les parents étaient fermement opposés à l'entrée de leurs enfants dans l'organisation : « Quand les mères ont découvert que notre Union était communiste, elles ont donné une raclée à leurs fils... Bientôt, dans la hutte où le représentant du Komsomol s'arrêtait, des garçons et des filles confus commençaient à apparaître et, baissant la tête, ils demandaient : "Supprimez-moi du Komsomol, ma mère et mon père ne me laisseront pas y adhérer... ». Évidemment, les autorités du Komsomol n’ont pas reculé face à cette défiance.

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Que faisaient les membres du Komsomol ?

En dehors de la collectivisation, la deuxième chose à faire sur la liste des tâches du Komsomol était d'éduquer ses membres. Dans les années 1930, des milliers de jeunes ont reçu une éducation élémentaire dans des écoles techniques, l'organisation Komsomol contrôlant le processus. Ensuite, l'enthousiasme des membres du Komsomol a été mis à profit pour former des brigades étudiantes de construction.

Les organisations du Komsomol de chaque école secondaire ont ainsi formé une brigade de construction pour qu’elle soit envoyée réaliser différents travaux pendant l'été, lorsque les étudiants étaient vacances. Dans les années 1930, ces brigades ont participé à la construction de sites aussi importants que l'usine sidérurgique de Magnitogorsk, la station hydroélectrique du Dniepr et même le métro de Moscou. En 1970, les brigades du Komsomol ont participé au chantier de la magistrale Baïkal-Amour. Cependant, seuls quelques-uns ont eu la chance de construire quelque chose d'aussi grandiose. Habituellement, les brigades du Komsomol se rendaient dans les champs pour aider les travailleurs agricoles, ce qu'on appelait « na kartochkou » (« aux patates ») – en effet, pour la plupart des membres du Komsomol, le tri et la récolte des pommes de terre (mais aussi des carottes, des navets, des choux, etc.) était une activité estivale fréquente.

Les autorités avaient besoin de jeunes membres non seulement pour les travaux agricoles et de construction, mais aussi et surtout pour projeter l'influence de l'idéologie communiste sur la jeunesse. Selon Galina Oulianova, le Komsomol tenait régulièrement des réunions politiques. « Nous faisions des rapports, à peu près sur tout ce que nous voulions – par exemple, j'ai fait un rapport sur le cinéma américain. Et au moins une fois par mois, nous nous réunissions pour une conférence sur la situation politique ».

Les membres du Komsomol prenaient également part à une grande partie des activités culturelles dans les écoles et les instituts. « En collaboration avec l'administration des établissements, nous avons préparé diverses compétitions sportives et des vacances, organisé le jeu militaire-patriotique "Zarnitsa". Nous avons également pris part à la célébration de toutes les dates importantes de l'État, déclare Tatiana Koroleva, ancien membre du Komsomol. Le 1er mai, le 9 mai et le 7 novembre étaient nos principales fêtes. Le matin du jour de la célébration, tout le monde allait travailler, et là, nous nous alignions en colonnes et allions au centre-ville pour un rassemblement de célébration communiste ».

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Réseau social soviétique

Peu après la Seconde Guerre mondiale, le sentiment héroïque d'être dans le Komsomol s'est estompé. Néanmoins, le nombre de membres du Komsomol a augmenté de façon exponentielle. En 1941, ils étaient environ 11 millions, en 1969, l'organisation est passée à 24 millions et a atteint un sommet en 1984 avec 42 millions de personnes. Selon les statistiques recueillies en 2008 dans la région de l'Oural, environ 80% des personnes nées dans les années 60 ont adhéré au Komsomol, plus de 90% des personnes nées dans les années 50 et avant l'ont fait. Mais ces chiffres ne signifient pas forcément une participation active.

Anatoli Slezine, docteur en histoire de Tambov, note qu'en 1957, le Komsomol comptait 64 journaux et magazines avec un tirage total de plus de 13 millions d'exemplaires. Mais peu les lisaient réellement – pas même les fonctionnaires du Komsomol. En 1959, la région de Mordovie comptait 129 abonnés au magazine Les jeunes communistes et 153 abonnés au magazine La vie du Komsomol, tandis que la région comptait 1 500 secrétaires et plus de 150 fonctionnaires du Komsomol.

Pour la plupart des jeunes, le Komsomol était avant tout une chance de sortir, d’aller quelque part. « Tout le monde était dans le Komsomol, c'était comme être vacciné – quelque chose de total, décrit Galina Oulianova. Le Komsomol était une institution sociale, avant tout. Tout le monde aimait ces excursions du samedi "pour planter des arbres", "pour nettoyer les rues...". Mais nous ne nous réunissions pas dans l’unique but de planter les rues ! Se retrouver, passer une heure ou deux à planter ces arbres – et puis, un pique-nique, des sandwichs et du vin, une guitare, la communication, le flirt... C'est ce dont il s'agissait ».

Le gouvernement a remarqué cela et a essayé de rappeler aux jeunes que le Komsomol était une question d'idéologie. En 1984, à la fin de l'URSS, Demain c’était la guerre, un roman de Boris Vassiliev, a condamné cette légèreté du Komsomol.

« Je suis membre du Komsomol pour l'instant. Et plus tard je veux être une femme », dit une fille du récit de Vassiliev. « Comment oses-tu !, lui réprimande une autre fille. Non, vous avez entendu, son rêve est d'être une femme ! Pas un pilote, pas un parachutiste, pas un stakhanoviste, mais une femme. Un jouet dans les mains d'un homme ! ».

Néanmoins, naturellement, les jeunes Soviétiques ne voulaient que vivre, se socialiser et s'amuser – bien mieux que de suivre une idéologie soviétique primitive. Dans les années 1970 et 1980, l'adhésion au Komsomol n'était utilisée que pour atteindre quelques objectifs simples. « Un employé de l'institut ne pouvait pas simplement s'approcher de la sécurité et dire : donnez-nous les clés de la salle, nous voulons organiser une soirée dansante, explique Oulianova. Un fonctionnaire du Komsomol le pouvait – il disait "Nous organisons une soirée culturelle pour nos membres du Komsomol" – et les clés lui étaient remises. Ces soirées étaient généralement précédées d'une sorte de conférence idéologique, mais en réalité, tout le monde venait juste pour danser. Un membre du Komsomol pouvait aussi appeler un théâtre et demander des billets gratuits... L'idéologie n'existait que dans les couches supérieures de la structure du Komsomol, pour tous les autres, le Komsomol n'était qu'un réseau social soviétique ».

À la fin des années 1980, le nombre de membres du Komsomol est tombé à 35 millions, en 1991, à 26 millions. Les jeunes ne se donnaient tout simplement plus la peine de rejoindre le Komsomol, en partie parce que le Parti communiste était alors en pleine crise. En 1989, les organisations du Komsomol des républiques soviétiques de Lituanie et d'Estonie se sont détachées de la Ligue de la jeunesse communiste léniniste de toute l'Union, qui a finalement été dissoute en septembre 1991. « Lorsque le Komsomol a cessé d'exister, il est apparu clairement que ces voyages de travail du dimanche et du samedi, ces conférences politiques liaient réellement les collectifs de travail entre eux. Ces réunions ont cessé – et tout d'un coup, vous ne saviez plus avec qui vous travailliez ».

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