Magistrale Baïkal-Amour: l’histoire d’un «rêve communiste» qui a scié tant de vies

I. Zotin/Sputnik
Ayant parcouru juste une partie de la future magistrale Baïkal-Amour, le colonel de l’état-major impérial, Nikolaï Volochinov, a tiré son verdict : «impossibilité incontestable de construire quoi que ce soit ici». Un siècle plus tard, des trains circuleront sur la ligne ferroviaire traversant le pergélisol et la taïga... Mais à quel prix?

« Le plus long monument à la stagnation », ainsi plaisante-t-on pendant les années de la perestroïka au sujet de la magistrale Baïkal-Amour (BAM), ligne ferroviaire traversant la Sibérie et l’Extrême-Orient russe. Les 4.287 kilomètres de rails, parcourant fleuves et rivières, territoires sauvages et permafrost, forment l’une des magistrales les plus complexes au monde.

Cette ligne ferroviaire est toutefois connue tant pour son étendue territoriale que temporelle, ce chantier soviétique s'étant éternisé des décennies. Sa construction a pris tant de temps, qu’on l’a baptisée de « chantier du siècle », pour lequel ont également été dépensés une quantité incommensurable d’efforts, de vies et  d’argent, si bien qu’il semble avoir été achevé non pas par besoin, mais par principe.

Tout a commencé sous Staline, en 1932. Alors, le gouvernement a ordonné la construction d’une magistrale dans un délai de 3,5 ans. Ce chiffre ridicule ne fait que refléter le fait que les autorités soviétiques n’avaient aucune idée de la réalité en Extrême-Orient.

La majeure partie du trajet passe par les territoires gigantesques de Sibérie et d’Extrême-Orient et y accéder est parfois plus difficile que d’atteindre la Lune. Certains tronçons de la ligne traversent des territoires sans route, ainsi que des cours d’eau agités. Au total, elle passe par 11 fleuves et rivières.

Tout cela a évidemment réduit en miettes les rêves des autorités soviétiques au sujet d’un chantier rapide. Qui plus est, personne ne brûlait d’envie de s’y rendre. La construction demandait 12.000 terrassiers, mais il n’y en avait que 504. Il fallait 2 389 foreurs, au lieu de 50 disponibles, etc. Mais le BAM était nécessaire – tout d’abord pour mettre en valeur la Sibérie et l’Extrême-Orient, régions riches en ressources, puis pour protéger les frontières et créer une base pour les navires de la Flotte du Pacifique.  Autre raison – l’Extrême-Orient n’était lié aux territoires développés de la Russie que par le Transsibérien. Il suffisait donc de bloquer ce dernier pour que ce territoire absolument énorme se retrouve tout simplement isolé.   

Il a par conséquent été décidé de suivre un schéma bien connu : des prisonniers ont été envoyés dans la taïga et des camps de travail ont été créés. Vers le 1ermai 1933, près de 32 411 personnes étaient déjà sur le pied d’œuvre. En hiver, les températures retombaient à -50°C, en été, les insectes dévoraient littéralement ces travailleurs forcés. Pendant l’année et demie qui a suivi le début des travaux, les prisonniers vivaient à ciel ouvert, réchauffés par le feu de bois, aucune tente n’était prévue. Quant à la ration, elle se résumait quotidiennement à 400 grammes de pain.

Les morts étaient vite remplacés et vers le milieu de l’année 1937, les 190 premiers kilomètres ont été posés. La deuxième étape devait prendre fin en 1945, mais la Seconde Guerre mondiale a basculé les projets. Après la mort de Staline, le chantier est finalement tombé aux oubliettes.

Néanmoins, une seconde vie lui a été accordée sous Brejnev. En effet, en avril 1974, le BAM a été proclamé chantier pansoviétique du komsomol, ce qui signifiait qu’il était confié à la jeunesse communiste des quatre coins du pays. Une propagande d’envergure a donc été lancée afin que cette voie ferrée soit perçue comme présage d’un avenir radieux.  

Outre l’idéologie, les autorités ont cherché à attirer les jeunes soviétiques par la bourse : les salaires des ouvriers y étaient énormes. Si au début des années 1980 le salaire moyen d’un ouvrier était de 180 roubles, on en touchait ici 322. Ainsi, ceux qui rêvaient d’une voiture, d’un appartement ou d’une datcha mettaient le cap vers le BAM.

Par ailleurs, les environs du chantier apparaissaient même mieux approvisionnés que Moscou : on y trouvait toujours aussi bien les aliments nécessaires que les vêtements et les meubles. Pas surprenant donc que de nouveaux villages proposant un habitat acceptable pour l’époque aient poussé comme des champignons. De plus, pour alimenter l’enthousiasme des ouvriers, des chanteurs et artistes y organisaient des tournées. Des dizaines de poèmes et de chansons y étant dédiés sont alors apparus. « Nous vivions sous le communisme », se souvient Nikolaï Marseniouk ; l’un des vétérans du BAM.  

Ces fanfares idéologiques ont cependant relégué au second plan la cause initiale de la construction de la ligne. La motivation économique – mise en valeur des territoires – a cédé sa place à une idée plus romantique : le BAM serait la métaphore de l’homme fort qui serait parvenu à surpasser la nature. Certains n’y ont néanmoins participé que pour obéir aux ordres du Parti.  

Le communisme s’est toutefois évaporé après la mort du principal « bâtisseur », Léonid Brejnev. Vers le milieu des années 1980 – période de la perestroïka – la crise n’a pas épargné le BAM – on ne pouvait s’y procurer de farine, de sucre et même d’allumettes sans les tickets de rationnement. Tous les projets de développement du territoire sont restés figés sur le papier, mais la ligne, elle, a été finalisée. En 1989, soit à deux ans de la chute de l’URSS, elle a en effet été mise en exploitation.

Malgré la pauvreté et le chômage, elle a été conservée pendant les tumultueuses années 1990. Depuis, l’attitude envers cette grande ligne a changé. Si au début des années 2000 on disait que le BAM n’était pas suffisamment exploité, ce qui le rendait non rentable, aujourd’hui, on le trouve trop étroit et est évoquée la nécessité d’un « doubleur ». Un nouvel ambitieux projet a donc vu le jour : le BAM-2.

Dans cet autre article, nous vous présentons, ironiquement, six raisons de ne jamais voyager en Transsibérien.

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