Est-il vrai qu’Alexandre Dumas et Alexandre Pouchkine étaient une seule et même personne?

Russia Beyond (Jefferson Mendoza/EyeEm/Getty Images; Galerie Tretiakov/Domaine public; Smithsonian American Art Museum/Public Domain)

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Une légende raconte que le grand poète russe Pouchkine n’est finalement pas mort d’une blessure reçue lors d’un duel. Il aurait simulé sa mort et se serait enfui en France, où il aurait commencé à écrire des romans sous le nom d’Alexandre Dumas.

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En Russie, la mort de personnes célèbres est souvent entourée de mythes. Par exemple, selon la légende, l’empereur Alexandre Ier ne serait pas mort jeune, mais aurait vieilli en reclus dans un monastère de Sibérie. Le célèbre écrivain russe Nicolas Gogol aurait été enterré vivant, car il serait tombé dans un sommeil léthargique. La fille de Nicolas II, Anastasia, aurait quant à elle survécu à l’exécution de la famille impériale.

Pouchkine n’a pas été épargné par ce sort. Il est paradoxal que près de 200 ans après sa mort, de nouvelles légendes apparaissent encore à son sujet. Depuis une dizaine d’années sur les étendues du segment russe d’Internet, se répand notamment l’hypothèse qu’Alexandre Pouchkine ne serait pas mort en 1837, mais qu’il se serait installé en France et aurait poursuivi son œuvre littéraire sous le nom d’Alexandre Dumas, dont les romans sont extrêmement populaires en Russie, et les personnages des Trois Mousquetaires sont littéralement connus de tous les Russes.

De façon inattendue, il existe de nombreuses coïncidences mystérieuses dans les biographies de Pouchkine et de Dumas. Jugez-en par vous-même...

Le dernier duel et les funérailles secrètes de Pouchkine

Alexandre Dumas, 1828, par Joseph-Benoît Guichard / Alexandre Pouchkine, 1899, par Konstantin Somov

En 1836, à Saint-Pétersbourg, se sont répandues des rumeurs selon lesquelles Natalia Gontcharova, la femme de Pouchkine, aurait une liaison avec le Français Georges d’Anthès. Pouchkine, impulsif, n’a pas pu supporter une telle offense et a défié ce dernier en duel. Au cours du face-à-face, le poète a été mortellement blessé et est mort deux jours plus tard.

La mort du plus illustre poète du pays a été une tragédie et un choc pour beaucoup, et les Saint-Pétersbourgeois se sont montrés enclins à blâmer les autorités et la société mondaine. Des milliers de personnes venues près de sa demeure afin de dire au revoir au poète décédé ont exprimé leur mécontentement. Pour prévenir d’éventuels troubles, l’empereur a donc ordonné d’éviter des funérailles publiques. Les citoyens ont été informés que les funérailles auraient lieu à la cathédrale Saint-Isaac de Saint-Pétersbourg, mais le cercueil a été transporté sous le couvert de la nuit, avec des gendarmes, dans la lointaine province de Pskov. Pouchkine y a été enterré très discrètement dans un monastère proche de son domaine familial de Mikhaïlovskoïé. À la cérémonie, à part les gendarmes, n’ont assisté qu’un ami et un couple de domestiques.

Un tel décès et de telles funérailles offrent une grande marge de manœuvre pour la fantaisie et les conjectures. En outre, dans les dernières années de sa vie, Pouchkine se plaignait souvent d’un sentiment de désespoir. Position humiliante à la cour et obligation d’assister aux bals, relations difficiles avec le tsar Nicolas Ier, dettes énormes et refus de sa femme de rompre avec la vie dans la capitale et de s’installer à la campagne. Il n’y avait que deux possibilités pour sortir de cette impasse : la mort ou la disparition. En outre, Pouchkine n’a jamais été autorisé à aller à l’étranger durant sa vie, alors qu’il désirait ardemment voir l’Europe. L’une des versions des théoriciens de la conspiration affirme par conséquent que le tsar russe lui-même aurait envoyé Pouchkine à Paris en tant qu’espion sous le nom d’Alexandre Dumas et que, pour cela, il aurait payé 70 000 roubles de ses dettes, une somme faramineuse à l’époque.

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Pouchkine aurait-il pu devenir Dumas ?

Portrait d'Alexandre Pouchkine, 1836, par Piotr Sokolov / Alexandre Dumas, 1847, par Francois Joseph Heim

Pouchkine parlait couramment le français et a rédigé ses premiers écrits dans cette langue. C’est-à-dire qu’en théorie, il aurait très bien pu écrire des romans dans la langue de Molière. En outre, tous les romans les plus célèbres de Dumas, qui lui ont apporté la gloire littéraire (Les Trois Mousquetaires, Vingt ans plus tard, Le Comte de Monte Cristo et la trilogie des Valois) ont été écrits juste après la « mort » de Pouchkine, au milieu des années 1840.

Il y a une autre coïncidence surprenante. Le roman Le Maître d’armes a été publié sous le nom de Dumas en 1840. Or, l’action se déroule en Russie et révèle la connaissance de l’auteur non seulement de la toponymie de Saint-Pétersbourg, mais aussi des réalités russes de l’époque.

Selon l’intrigue, l’auteur reçoit les notes d’un professeur d’escrime ayant enseigné en Russie. Nombre de ses étudiants deviendront plus tard des décembristes, c’est-à-dire des participants au soulèvement des aristocrates de Saint-Pétersbourg en 1825. La révolte a été réprimée et les décembristes exilés en Sibérie. Or, le sujet des décembristes était douloureusement cher à Pouchkine, car nombre d’entre eux étaient ses amis et lui-même n’est pas devenu un conspirateur uniquement parce qu’il était en exil à l’époque. De plus, il n’a en russe jamais produit d’œuvre en prose à ce sujet.

Curieusement, dans les années 1860, Dumas a effectué un voyage à travers la Russie. Après un bref séjour dans la capitale, l’écrivain s’est rendu dans le Caucase (où Pouchkine est également allé) et a rencontré les prototypes du roman Le Maître d’armes.

Dumas nourrissait enfin un intérêt marqué pour la littérature russe. Il a réalisé la traduction d’œuvres de Pouchkine, notamment de l’Ode à la Liberté, dont l’esprit révolutionnaire a motivé l’envoi en exil du poète russe, ainsi que d’écrits d’un autre homme de lettres célèbres de Russie, Mikhaïl Lermontov, dont son roman phare, Un héros de notre temps. L’on dit cependant que Dumas ne connaissait pas le russe et qu’il était assisté par l’écrivain Dmitri Grigorovitch, à moitié français.

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Que Pouchkine et Dumas ont-ils en commun ?

Portrait d'Alexandre Pouchkine, 1827, par Oreste Kiprensky / Alexandre Dumas, 1855

D’une manière frappante, Dumas et Pouchkine ont beaucoup en commun. Par exemple, ils avaient tous deux des racines africaines. L’arrière-grand-père de Pouchkine était l’Éthiopien Abraham Hannibal, secrétaire de Pierre le Grand, puis général en chef de l’Armée impériale russe, tandis que la grand-mère de Dumas était une esclave noire de l’île d’Haïti. « Il était comme une force élémentaire car le sang africain bouillonnait en lui », a écrit le biographe André Maurois à propos de Dumas. Quelque chose de similaire a toujours été dit à propos de Pouchkine par ses contemporains.

De plus, ils avaient presque le même âge – Pouchkine est né en 1799 et Dumas en 1802. Tous deux étaient excédés par le poids de la discipline et des contraintes, tous deux étaient passionnés, impulsifs et incroyablement amoureux des femmes, tous deux ont connu la disgrâce et l’exil... Il suffit de regarder les portraits des deux écrivains – la ressemblance est frappante !

Leur écriture était aussi suspicieusement similaire...

La théorie est étayée par un autre fait intéressant : dans Le Comte de Monte Cristo, le nom du personnage principal est Edmond Dantès (tandis que le « meurtrier » de Pouchkine était Georges D’Anthès). Dantès, chez Dumas, simule justement sa propre mort et se déclare une autre personne – le comte de Monte Cristo. N’est-ce pas une allusion à Pouchkine ?

Par ailleurs, dans le roman en vers de Pouchkine Eugène Onéguine, est décrit le duel et la mort du poète Lenski à cause de la jalousie, ce qui correspond grandement à la biographie de Pouchkine. Ne s’en serait-il pas inspiré par la suite pour sa propre disparition ?

À propos, les deux écrivains étaient très prolifiques, ils aimaient tous deux l’histoire, la direction du romantisme, ils ont tous deux créé dans des genres différents – dramaturgie, prose et poésie.

Eh bien, si l’on voulait, l’on pourrait ainsi croire que Pouchkine et Dumas n’étaient bel et bien qu’une seule et même personne... Un mystère demeure cependant, car à la fin des années 1820 et au début des années 1830 (soit avant la mort de Pouchkine), les pièces de Dumas – Henri III et sa cour, Antony, Napoléon Bonaparte ou Trente Ans de l’histoire de France et d’autres – étaient déjà jouées avec succès sur les scènes parisiennes. Et aussi pourquoi, lorsque Dumas a voyagé en Russie, personne n’a reconnu en lui Pouchkine ?

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