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Située du côté européen des monts Oural, la métropole de Perm est à la fois une puissance industrielle et l'un des centres de la culture russe. La partie principale de la ville s'étend le long de la haute rive Est du fleuve Kama. En été 1909, le photographe et chimiste russe Sergueï Prokoudine-Gorski (voir l'encadré ci-dessous) a réalisé son premier voyage à Perm, dans le cadre de son projet de photographier la grande diversité de l'Empire russe au début du XXe siècle. Les panoramas de cette cité pris par Prokoudine-Gorski comprenaient des vues détaillées du bord du fleuve. Ma première visite de la région de Perm a eu lieu neuf décennies plus tard, à l'été 1999. D'autres voyages en 2014 et en 2017 ont révélé une ville en plein boom de construction.
Une histoire mêlée d'industrie
Le nom de « Perm », qui serait dérivé du finno-ougrien « pera ma », signifiant « terre lointaine », apparaît dès le XIIe siècle dans la Chronique des temps passés. À cette époque, « Perm » désignait également les territoires du Nord de l'Oural qui étaient contrôlés par le pouvoir économique de Novgorod, et où les chasseurs et marchands récoltaient les fourrures.
Le peuplement de la ville de Perm a cependant commencé au début du XVIIIe siècle et faisait partie du plan, instauré par Pierre le Grand, d'exploitation des vastes gisements de minerais présents dans les monts Oural. Ces matières premières représentaient des sources sûres de métaux industriels essentiels, utilisés notamment dans l'armée.
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Le moteur du développement de cette région était, comme pour d'autres villes de l'Oural telles que Ekaterinbourg, Vassili Tatichtchev (1686-1750), l'un des premiers historiens professionnels de Russie. Érudit doté d'un don pour le pragmatisme, Tatichtchev avait une admiration sans bornes pour Pierre le Grand, et était un fervent partisan du rôle central de l'autocrate et de l'État dans l'histoire de la Russie, partant du principe que les Russes étaient un « peuple d'État ».
Dans les années 1720, Tatichtchev a installé des mines, fonderies et usines métallurgiques dans les monts Oural. En 1720, il a choisi d'installer une colonie dans le village de Iégochikha près de la petite rivière du même nom, un affluent de la Kama. Avec à proximité des gisements de cuivre, des forêts denses et des réserves d'eau abondantes, l'endroit était considéré comme idéal pour y implanter une grande fonderie. Georg Wilhelm Henning (appelé de Gennin en Russie, 1676-1750), ingénieur militaire d'origine germanique, a alors été chargé de ce projet, et a travaillé en étroite collaboration avec Tatichtchev.
Les travaux ont commencé par la construction de l'usine principale de Iégochika le 4 mai 1723, date considérée comme celle de la fondation de la ville. Le nom de « Perm » n'a été officiellement adopté qu'en 1781, après un ordre de Catherine la Grande, qui a transformé cette imposante colonie industrielle en un centre administratif pour l'Oural.
Depuis sa fondation, Perm est associée à l'industrie lourde, et est devenue dans les années 1860 l'une des plus importantes zones de production d'armes en Russie. L'usine de canons de Motovilikha, une ville industrielle fondée au XVIIIe siècle près de l'usine de cuivre de Iégochika, est devenue un élément clé du complexe militaro-industriel russe.
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Un pôle de transport
Au cours du XIXe siècle, grâce à son emplacement idéal dans le bassin de la Volga, Perm est en outre devenue un pôle pour le transport du sel et d'autres minéraux, ainsi que pour les minerais et les produits venant d'autres usines métallurgiques de l'Est des monts Oural. En 1846, un service de bateaux à vapeur a d’ailleurs fait son apparition sur la Kama.
En 1863, Perm était sur la principale route sibérienne, et en 1878 la construction de la première phase du chemin de fer reliant Perm à Ekaterinbourg a été achevée, dans le cadre d'un boom ferroviaire qui a culminé au début du XXe siècle avec l'achèvement du Transsibérien. La croissance de Perm au XIXe siècle a été reflétée dans les vues d'ensemble de Prokoudine-Gorski sur la ville, avec ses cheminées crachant de la fumée.
Des points de repère remarquables
Parmi les points de repères sur ses photographies, on peut noter la cathédrale de la Transfiguration du Sauveur, donnant sur la Kama. Ce lieu de culte faisait à l'origine partie du monastère de la Transfiguration, fondé en 1560 par la famille Stroganov lors de leur installation à Pyskor, sur la Kama. En 1781, le monastère a été déplacé à Perm, récemment élevée au rang de ville et siège d'un évêché. La construction de la cathédrale de Perm a commencé à la fin du XVIIIe siècle, et ne s'est achevée qu'en 1819. Par la suite, les travaux de son majestueux clocher de style néoclassique, conçu par Ivan Sviazev, ont commencé, pour prendre fin en 1832.
Une grande partie de la ville a brûlé lors d'un incendie en 1842, mais elle s'en est rapidement remise. Pendant le demi-siècle avant la Première Guerre mondiale, sa croissance rapide a mené à la construction de bâtiments en briques dans des styles ornementaux éclectiques.
Malgré les changements radicaux survenus le siècle suivant la visite de Prokoudine-Gorski, bon nombre des bâtiments qu'il a photographiés existent encore. Parmi les plus importants, on peut citer l'Église de l'Ascension-Saint Théodose (1903-1910) et la Cathédrale de la Sainte-Trinité (1846-1849).
L'un des points de repère les plus remarquables de ses panoramas est l'imposant minaret de la mosquée centrale de Perm, subventionnée par les commerçants de la ville et conçue dans un style mauresque par l'architecte Alexandre Ojegov. Terminée en 1903, son haut minaret s'élève au-dessus de maisons en bois et de bâtiments centenaires en briques, dans ce qui était autrefois un quartier tatar. Cette zone est maintenant dominée par un gratte-ciel abritant un complexe d'appartements et par la tour de bureaux du géant de l'énergie Lukoil située à proximité.
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Trophée de la guerre civile
Comme les autres villes industrielles et ferroviaires de l'Oural, Perm était fortement convoitée par toutes les parties lors de la guerre civile russe. Pendant quelques mois, il semblait que les forces de l'Armée blanche dirigées par l'amiral Alexandre Koltchak, qui avaient capturé Perm la veille de Noël en 1918, allaient l'emporter dans leur course vers l'ouest. Cependant, la stratégie des commandants de l'Armée rouge tels que Mikhaïl Frounze et Vassili Blücher ont repoussé Koltchak à l'ouest de Perm et de l'Oural, dans ce qui s'est avéré être une retraite désastreuse pour les forces blanches. Ironie du sort, le commandant rouge victorieux Vassili Blücher a été victime des purges de Staline en 1938. On pense par ailleurs que la ville fictive de Youriatine dans le roman Docteur Jivago de Boris Pasternak représente en fait Perm lors de la guerre civile.
Malgré d'importants dégâts à la suite du conflit, Perm est redevenue une puissance industrielle dans les années 30. En mars 1940, on a ensuite renommé la ville Molotov, en l'honneur de Viatcheslav Molotov (1890-1986), considéré comme le bras droit de Staline. La cité a repris le nom de Perm en octobre 1957, au début de la campagne de déstalinisation de Nikita Khrouchtchev.
Avec un peu plus d'un million d'habitants, Perm fait partie d'un groupe de villes comme Krasnoïarsk, Voronej, ou Oufa, qui sont juste en dessous des dix plus grandes villes de Russie. L'économie de la ville repose sur la viabilité de son industrie, qui n'est plus constituée uniquement de métallurgie et de production de moteurs, mais aussi de grandes raffineries de pétrole et d'usines chimiques.
Les photographies de Perm prises par Prokoudine-Gorski transmettent fidèlement ce sens d'industrie animée et de plaque tournante des transports.
Au début du XXe siècle, le photographe Russe Sergueï Prokoudine-Gorski a mis au point un processus complexe pour la photographie couleur. Entre 1903 et 1916, il a voyagé au travers de l'Empire russe, et a pris plus de 2 000 photographies en utilisant ce processus, qui impliquait trois expositions sur une plaque de verre. Il a quitté la Russie en août 1918, et s'est finalement installé en France avec une grande partie de sa collection de négatifs sur plaque de verre. Après sa mort à Paris en 1944, ses héritiers ont vendu la collection à la bibliothèque du Congrès américaine. Cette dernière a digitalisé l’œuvre de Prokoudine-Gorski et l'a mise en libre-accès pour le public au début du XXIe siècle. Un grand nombre de sites internet russes en proposent désormais des versions. En 1986, l'historien de l'architecture russe et photographe William Brumfield a organisé la première exposition des photographies de Prokoudine-Gorski à la bibliothèque du Congrès américaine. À partir de 1970, Brumfield, travaillant alors en Russie, a photographié la majorité des sites visités par Prokoudine-Gorski.
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