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La prialka, un phénomène russe unique
En Russie, les femmes avaient autrefois recours, pour filer, à la prialka (dérivé du verbe « priast », « filer »), un instrument qui, contrairement au rouet ordinaire, est dépourvu de roue. Il n'existe dans le monde pas d'équivalent en termes de formes et d'ornements aux prialkas russes, même chez les autres peuples slaves. Ici, cet outil a été utilisé jusque dans les années 1930, mais les chercheurs ne s'accordent cependant ni sur la date exacte de son apparition dans le pays ni sur le moment où l’on sait mis à l'orner, car les objets de la vie traditionnelle n'ont commencé à être collectionnés dans les musées qu'au XIXe siècle. Les plus anciens exemplaires ayant subsisté jusqu’à nos jours remontent à la fin du XVIIIe siècle.
Le plus souvent, les prialkas étaient réalisées en bois massif (épicéa, tremble, bouleau et autres bois durs). La planche horizontale, sur laquelle les femmes s'asseyaient, était conçue à partir de la racine de l'arbre, tandis que l’on se servait du tronc pour sculpter la partie verticale en forme de rame, qui était ensuite décorée.
Les prialkas en une seule pièce étaient largement répandus dans tout le Nord de la Russie et en Sibérie. En Russie centrale, et plus particulièrement sur les rives de la Volga, l’on rencontrait au contraire surtout des prialkas démontables. Ces derniers modèles étaient alors composés non pas d’une « rame », mais d’un peigne, et le siège était lui aussi orné. Après s’en être servi, on les désassemblait et la planche faisant office d’assise était accrochée au mur en guise de décoration.
La prialka accompagnait la femme russe tout au long de sa vie
À environ six ans, les fillettes recevaient leur première petite prialka. Les femmes russes filaient de la fin novembre jusqu'à la fin de l'hiver, quand il n'y avait pas de travail agricole. Pendant cette longue période, l’on racontait des contes de fées tout en filant, et parfois des musiciens étaient invités à jouer pour les fileuses.
Les jeunes filles organisaient en outre des « vetchorki », des fêtes spéciales auxquelles elles se rendaient avec leur prialka. Elles se complimentaient les unes les autres et tâchaient d’avoir le plus bel outil de toutes. Des hommes de villages voisins venaient alors pour choisir une compagne et, dans ce cadre, une prialka onéreuse pouvait être un indicateur de bon parti.
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Un objet de luxe
Les prialkas étaient vendues lors des foires et coûtaient beaucoup d'argent (par exemple, 5 roubles et plus, soit le prix d’une vache au XIXe siècle). Les parents en achetaient une à leur fille comme dot, mais il pouvait aussi être un cadeau luxueux effectué par le fiancé. Souvent, la partie verticale arborait la signature de l’artisan ou des inscriptions de donation.
Cela explique d’ailleurs pourquoi, contrairement à d'autres articles traditionnels domestiques, les prialkas étaient traitées avec beaucoup de soin et ont été si bien conservées (on en trouve aujourd’hui dans de nombreux musées russes).
En Russie, il y avait trois centres principaux de peinture des prialkas
Presque toutes les prialkas qui ont survécu jusqu'à nos jours et qui se trouvent dans des musées proviennent de centres d'art spécifiques et ont été décorées par des maîtres professionnels. Trois provenances se distinguent :
Peinture de Mezen, région d'Arkhangelsk
Dans le Nord de la Russie, sur la rivière Mezen, se trouvent les bourgades de Palachtcheré et de Kimja (ce dernier est inclus dans la liste des plus beaux villages de Russie), où les maîtres peignaient dans le style des ornements de l'ancienne Russie. Ils représentaient des rennes et d'autres animaux en train de courir, des motifs géométriques, en utilisant de la suie et de l'argile.
Peinture de Borok et Permogorsk, région d'Arkhangelsk
La rivière de la Dvina septentrionale était un autre centre artistique important du Nord. Il existait des dynasties entières de maîtres talentueux dans les villages de Permogorsk et de Borok et la feuille d'or y était régulièrement utilisée. L’on y représentait des ornements végétaux, des arbres de vie et des oiseaux du paradis. De plus, les prialkas étaient souvent décorées de scènes et de symboles festifs, notamment des charrettes de mariage.
Sculpture et peinture de Gorodets, région de Nijni-Novgorod
Dans le village de Gorodets, sur la Volga, au XVIII siècle, on a commencé à décorer les prialkas avec des sculptures sur bois et, pour la marqueterie, l’on avait recours au morta, bois en cours de putréfaction reposant dans les tourbières qui, en plus d’être rare et imputrescible, présente une magnifique couleur noire. Plus tard, au XIXe siècle, la pratique de la peinture y est à son tour apparue. Les prialkas de Gorodets étaient considérées comme très à la mode : contrairement aux maîtres du Nord, les habitants locaux y représentaient des sujets modernes avec des carrosses et des dandys en costume de ville.
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Une pièce de collection tendance
Aujourd'hui, la prialka est à nouveau à la mode, mais en tant qu'objet d'art et de décoration intérieure unique, de nombreux designers modernes créant des objets muraux en utilisant des motifs folkloriques.
Dans les années 1990, les musées ont cessé d'envoyer des expéditions dans le Nord russe, suffisamment de pièces ayant déjà été collectées. Cependant, les particuliers ont à leur tour continué à rechercher des objets d'artisanat, notamment des prialkas décorées.
Ainsi, Alekseï et Ksenia Nikitine, célèbres collectionneurs moscovites d'antiquités, ont acheté leur première prialka dans la région de Vologda en 2004, et leur collection compte aujourd'hui un millier d'exemplaires. Ils organisent à présent des expositions d'articles ménagers dans toute la Russie.
Pour son aide à la préparation du matériel, Russia Beyond remercie le Musée panrusse des arts décoratifs ainsi que Natalia Denissova, historienne de l'art, directrice adjointe du Centre des Lumières, où se trouve l'une des plus grandes et des plus uniques collections de Russie.
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