Steppe, chants et vin: la vie des cosaques de Nekrassov en Russie

Ekaterina Filippovitch
Les cosaques de Nekrassov ont connu l'exil, plus de deux siècles en Turquie, puis le retour sur les terres brûlées par le soleil de la région du Caucase russe. Cependant, malgré son histoire mouvementée, cette communauté a su préserver ses traditions et son mode de vie.

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Dans la Russie tsariste, ceux que l'on appelait les cosaques étaient des individus qui, en quête de liberté et d'une vie meilleure, fuyant souvent le gouvernement, s'installaient dans les périphéries de l'empire et avaient non seulement la possibilité de cultiver librement leurs terres, mais devaient aussi se protéger seuls et défendre les frontières de l'État.

À l'origine, les cosaques sont apparus sur le territoire de l'Ukraine moderne et du sud de la Russie, puis dans la région de la Volga, dans l'Oural, en Sibérie et en Extrême-Orient. Les scientifiques se demandent encore si les cosaques peuvent être considérés comme une ethnie distincte ou s'il s'agit seulement d'un groupe social.

Dans la Russie contemporaine, la classe sociale des cosaques a disparu (à l'exception de quelques enthousiastes dans le sud, qui tentent de rétablir les traditions militaires cosaques et des éléments similaires d'une vie antérieure). Toutefois, si vous apercevez un véritable lieu de peuplement cosaque dans le pays aujourd'hui, il s'agira probablement d'une communauté qui a émigré à l'étranger avant la révolution, puis est revenue, sa culture ayant ainsi été plus ou moins préservée.

Les cosaques de Nekrassov sont l’une de ces communautés. Ils ont pris le nom de leur chef, Ignat Nekrassov (environ 1660-1737). Il y a environ 300 ans, ce dernier a conduit son peuple hors de Russie pour échapper aux persécutions tsaristes et a installé la communauté dans ce qui est aujourd'hui la Turquie (près du lac Manyas, dans la région occidentale de Bandırma).

En 1962, 215 familles cosaques sont cependant revenues en Russie. Elles se sont alors installées dans la région de Stavropol, dans la localité de Novokoumski (1 340 kilomètres au sud de Moscou).

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La vie d’un village cosaque

Perdu quelque part dans la steppe, à la frontière de la république la plus méridionale de Russie, le Daghestan, la bourgade où vivent les cosaques de Nekrassov est si petit qu'il ne peut même pas être trouvé sur une carte.

En été, la route qui mène à Novokoumski traverse des champs desséchés et des essaims de criquets voraces qui détruisent les cultures aussi instantanément que les piranhas peuvent dévorer une carcasse d'animal.

Malgré le climat continental rigoureux, il est dans la région possible de cultiver le raisin –  il est ensuite utilisé pour produire du vin qui a le goût de l'été des steppes. En fait, ce sont les premiers migrants de Nekrassov qui ont commencé à cultiver ce fruit ici, car à l'époque soviétique, les nouvelles fermes ne disposaient pas d'une main-d'œuvre suffisante.

« En Turquie, les gens nous arrachaient nos croix… Nous rêvions de retourner au fleuve Don, aux grandes eaux. On nous a proposé de nous réinstaller, mais on nous a emmenés dans la steppe, où l'on ne trouve pas la moindre petite rivière », raconte Varvara Gorina, une cosaque de Nekrassov qui est rentrée en Russie avec son mari et son fils à l'âge de 24 ans. Aujourd'hui, elle en a plus de quatre-vingts.

« C'était terrible de partir. Le bétail pleurait, les chiens aboyaient, les poulets caquetaient, comme s'ils avaient tous compris que nous ne reviendrions jamais à la ferme, ajoute-t-elle. Nous avions très peur d'être obligés de payer le trajet en ferry. Nous n'avions pas du tout d'argent à l'époque. Quand nous sommes arrivés ici, chaque famille a reçu une pièce dans un logement, puis ils ont construit des maisons pour nous ».

Les maisons du village sont toutes identiques, bien différentes des toits en terre séchée au soleil et des murs en pisé, caractéristiques des anciennes demeures des cosaques de Nekrassov, laissées derrière eux, en Turquie.

Les testaments d'Ignat

En dehors de la Russie, les cosaques de Nekrassov vivaient une vie recluse, adhérant aux testaments de l'homme qui les avait conduits sur une terre étrangère il y a près de trois siècles. Les testaments étaient transmis oralement, personne ne les ayant jamais transcrits à l’écrit.

« Nous sommes analphabètes, nous ne savons pas lire. Mais nous sommes souvenus que les hommes ne pouvaient épouser que des femmes de la communauté, afin que le sang ne se mélange pas, explique Gorina. C'est probablement ainsi que nous avons survécu ».

Les ethnographes pensent que la culture originelle des cosaques de Nekrassov a été préservée grâce à leur isolement. En plus de 200 ans, ce petit peuple éloigné de sa patrie a pu protéger ses traditions sous la forme où elles avaient existé dans la Russie tsariste.

C'est pour cette raison que Novokoumski est devenu le site du premier et unique musée d'histoire des cosaques de Nekrassov au monde. À proximité, ils ont également érigé un ethno-village qui recrée la vie qu'ils menaient avant la révolution.

Les cosaques se rendent dans ce dernier (quelques maisons aux intérieurs traditionnels) pour rencontrer les quelques touristes et invités, pour lesquels les hôtes revêtent leur costume national.

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Tenue vestimentaire et religion

Le costume des cosaques de Nekrassov ressemble au plumage d'un perroquet tropical. Le vert, l'or, le cramoisi, l'orange, le bleu et le violet s'entremêlent sur les manches et jupes.

Ces vêtements sont toutefois réservés aux événements spéciaux. À Novokoumski, pendant les jours ouvrables, l’on ne trouve pas de tels oiseaux sauvages aux couleurs de l'arc-en-ciel, mais le dimanche et les jours de fête religieuse, le village s'habille. Il n'y a qu'une poignée de familles cosaques ici, 10 tout au plus, mais on les repère facilement de loin.

« Nous nous sommes toujours baladés comme ça, comme nos ancêtres en Turquie. Les femmes se couvrent aussi la tête et se parent de vraies fleurs », explique Viktoria, une artisane.

Elle tisse des décorations en fil de fer et en perles qui sont accrochées sur les bords de foulards. Seules les veuves ou les femmes dont la famille est en deuil ne les portent pas.

« Vous voyez ces poupées ? Elles sont habillées comme nous, me dit-elle en me tendant une somptueuse poupée avec un visage cousu au point de croix. C'est une poupée Nekrassov. Nous l'appelons kharioucha. Chaque femme a sa propre poupée ».

« Des poupées, des contes pour touristes... Mais que font vos maris ? ».

« Certains sont partis à la ville pour gagner de l'argent. Les maris des grands-mères sont quant à eux sous terre. Et nous prions pour eux ».

Dans la culture cosaque orthodoxe de Nekrassov, la femme est soumise à l'homme.

« Si vous rencontrez un homme dehors, quel que soit son âge, vous devez vous incliner et attendre qu'il passe. Même si on a une charge sur le dos. C'est ce que la religion nous enseigne », confie-t-elle.

Les cosaques de Nekrassov sont de fervents vieux-croyants (membres d'une communauté religieuse chrétienne qui s'est séparée de la principale Église orthodoxe à la suite d'un schisme au XVIIe siècle). Dès leur arrivée dans la  région de Stavropol, dans le sud de la Russie, ils ont construit une petite église de vieux-croyants avec leur propre argent. C'est là qu'ils se rendent pour se confesser et écouter les offices.

« Quand nous entrons dans la pièce, nous nous signons toujours du signe de croix », explique Aksinia Louchetchkina comme pour se justifier, en fixant du regard un recoin orné d’icônes.

Les villageois considèrent Louchetchkina comme une conteuse. Non seulement elle chante des prières, mais elle narre aussi des histoires sur les créatures maléfiques des eaux et les bons esprits de la forêt, sur les oiseaux qui transportent les enfants désobéissants vers le sud et sur les sorcières qu'il vaut mieux éviter.

« Je n'avais pas le temps de mettre mes propres enfants au lit car je travaillais dans les vignes jusque tard dans la nuit », relate-t-elle.

« En été, nous ramassions le raisin avec nos mains... Mais maintenant, j'ai le temps de raconter des histoires à mes petits-enfants. Ils me corrigent et me disent : "Mais grand-mère, dans le livre, c'est écrit différemment !" ».

Plus tard, les cosaques de Nekrassov se mettent à entonner une chanson sur les immenses étendues fluviales, sur la liberté et sur l'amour malheureux. Le vieux russe, langue dans laquelle les femmes donnent de la voix, a un effet débordant et berceur. Et il semble que pour elles, chanter aujourd'hui est aussi naturel qu'il y a deux siècles.

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