Comment la caste des cosaques perdure-t-elle dans la Russie contemporaine?

Représentation de l'ensemble de chants cosaques Krinitsa lors du festival de la culture cosaque à Oust-Labinsk, dans la région de Krasnodar

Représentation de l'ensemble de chants cosaques Krinitsa lors du festival de la culture cosaque à Oust-Labinsk, dans la région de Krasnodar

Vitali Timkiv/Sputnik
Les cosaques de l'Empire russe constituaient une caste spéciale qui se distinguait par une bravoure extrême et défendait les frontières nationales. Néanmoins, si les tsars ont été renversés il y a plus d’un siècle, les cosaques existent encore aujourd'hui.

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« On prend le sabre de la main droite et on le tient fermement. Maintenant je vais vous montrer une technique », déclare un homme costaud aux cheveux gris, vêtu d'une chemise en lin à motifs folkloriques, en posant une bouteille d'eau sur la table. D'un geste de la main, sa lame tranchante coupe le goulot en plastique, laissant toutefois la bouteille immobile. Le spectacle attire une grande foule de spectateurs admiratifs.

Cosaque dans l’âme

Anatoli Kramarenko est issu d’une lignée de cosaques. La Russie moderne ne possède plus de classe de cosaques sous la forme qu'elle avait dans la période prérévolutionnaire, mais leurs descendants ressentent tout de même cela comme étant leur identité. « Je suis un cosaque, je suis un khorounji, je suis un officier, je suis un guerrier, affirme-t-il. Mes grands-pères et arrière-grands-pères étaient aussi des cosaques ». Le khorounji correspond au grade de sous-lieutenant pour les cosaques, attribué par l'ataman (c'est-à-dire le chef de la communauté). Leur société est composée de personnes ayant un passé militaire, dont beaucoup se consacrent aujourd'hui à faire revivre l'artisanat traditionnel des cosaques du Kouban.

De nos jours, tous les cosaques héréditaires ont bien sûr une profession, qu'ils exercent pour gagner leur vie. Anatoli, par exemple, est devenu forgeron. Depuis plus de 40 ans, il transforme des morceaux de métal en roses élégantes, en fers à cheval fiables et en sabres cosaques, la fameuse chachka. Il enseigne la forge à des adolescents dans le complexe ethnographique d'Ataman (200 kilomètres de Krasnodar), et aujourd'hui, il partage ses compétences lors d'un festival de la culture cosaque à Oust-Labinsk (environ 50 kilomètres de Krasnodar), également un ancien village cosaque. Aux invités, Anatoli propose non seulement de se sentir cosaques, mais aussi de goûter son café unique, chauffé dans un véritable creuset de forge et versé dans des tasses disposées sur une enclume. Le forgeron se présente lui-même comme un « kazassioura », ce qui signifie « cosaque jusqu'à la moelle ».

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Comment devenir cosaque ?

Avant la révolution de 1917, les cosaques constituaient une classe militaire importante en Russie – ils étaient plus de 3 millions (2,5% de la population totale). Il s’agissait principalement de diverses personnes ayant décidé de fuir le pouvoir en affluant aux confins de l'empire pour une vie libre. L'État russe a cependant alors appris à utiliser cette force à son avantage et leur a accordé des libertés considérables en contrepartie de l'obligation de garder les frontières contre les menaces extérieures. Ils étaient par conséquent désignés par des noms territoriaux : les cosaques du Kоuban (le long du fleuve Kouban, dans la région de Krasnodar), du Don (le long du fleuve Don, région de Rostov-sur-le-Don), du Terek (le long du fleuve Terek, dans le Caucase), les cosaques zaporogues (« au-delà des rapides » du fleuve Dniepr, en actuelle Ukraine), ou encore de l’Enisseï (le long du fleuve Enisseï, en Sibérie). Bien que les cosaques étaient composés de peuples très différents et professent des croyances différentes (outre la majorité orthodoxe, l’on trouvait parmi eux des musulmans et des bouddhistes), ils ont développé leurs propres traditions, leur propre culture, leur propre patois (le « balatchka » du verbe « balakat », c'est-à-dire « bavarder »), c'est pourquoi certains sociologues considèrent même les cosaques comme une sous-ethnie.

Les cosaques ont réagi de manière variée à l'arrivée au pouvoir des bolcheviks. Beaucoup de hauts gradés sont passés du côté du Mouvement blanc, soutenant le tsar, mais il y en a aussi beaucoup qui ont accepté les idées bolchéviques d'égalité sociale et les ont suivies.

Néanmoins, dans les premières années du nouvel État, les cosaques, en particulier les plus aisés, ont été soumis à la répression : leurs biens leur ont été retirés et leurs familles ont été déplacées dans d'autres districts – c'est ce qu'on appelle la décosaquisation, similaire à la dékoulakisation des paysans aisés.

Pour cette raison, jusqu'à l'effondrement de l'Union soviétique, il n'était pas habituel de parler de ses origines cosaques. Dans la Russie contemporaine, cependant, environ 70 000 personnes se sont déclarées cosaques lors du recensement de 2010 – la plupart d'entre elles dans les régions de Krasnodar, Volgograd et Rostov-sur-le-Don, et de nombreux locaux possèdent des ancêtres cosaques.

La plupart des mouvements cosaques modernes sont engagés dans le maintien de l’ordre. Des organisations de cosaques sont en effet employées pour garder des entreprises, s'impliquer dans des événements publics et aider les policiers à patrouiller dans les rues et les aéroports. D'autres se concentrent sur la restauration de la culture cosaque.

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Un souhait d'un millier de nœuds

Dès leur plus jeune âge, les cosaques apprenaient à monter à cheval (« sans cheval, le cosaque est orphelin », disaient-ils), à pratiquer la voltige équestre cosaque (la « djiguitovka »), à utiliser des armes blanches et à s’adonner à la danse des sabres (l’art de la « flankirovka »). Ils étaient également habiles dans le chant et la danse.

Aujourd'hui, les enfants et les adultes du Kouban ont en outre la possibilité de découvrir la culture de leurs ancêtres à travers l'artisanat traditionnel.

« Lorsque nous avons commencé à enseigner l'artisanat populaire, nous demandions littéralement à nos grands-mères comment c'était, explique Tatiana Assanova, enseignante à l'école d'artisanat traditionnel du Kouban. Avant, c'était même honteux, et puis sont apparus tous les produits fabriqués à l’usine, et les nôtres paraissaient inintéressants, banals, on ne leur accordait pas de valeur ».

Tatiana a une formation artistique et enseignait auparavant dans une école d'art, mais un jour, elle a vu un reportage sur l'artisanat à base de maïs dans la République voisine d’Adyguée et s'est intéressée à cet art populaire, qu'elle pratique depuis 2007. « J'ai fini par me laisser entraîner, relate-t-elle. Il y a là-dedans une sagesse et des connaissances, qui vous enrichissent intérieurement ».

Tatiana enseigne aux adolescents l'art du tissage à partir de feuilles de maïs – les « talachi » (dans l’idiome cosaque, ce mot désigne les spathes de maïs). Sont particulièrement prisés les paniers à provisions fabriqués dans cette matière : ils peuvent supporter des kilos de courses, durent des dizaines d'années et sont totalement écologiques.

Les spathes de maïs séchées servent quant à eux à créer des poupées. « Ma mère a également grandi dans la stanitsa [village cosaque], elle est aussi une cosaque du Kouban, et je lui ai demandé avec quoi ils jouaient. Elle a dit qu’il n'y avait pas beaucoup de poupées, et qu’ils pouvaient donc utiliser une tête de chou en guise de robe [pour l’épi de maïs], se souvient Tatiana. Quand, après la guerre, mon oncle leur a apporté une poupée avec de grands yeux, les enfants ont été effrayés ». Des poupées en maïs étaient notamment offertes en cadeau de mariage pour que les jeunes mariés aient plus d'enfants.

L'école enseigne également la broderie traditionnelle et la confection de costumes folkloriques. Les cosaques, hommes et femmes, avaient deux couleurs prédominantes dans leurs habits et ornements vestimentaires, le rouge (représentant le soleil) et le noir (la terre). Un détail très important était la ceinture, notamment les nœuds à ses extrémités. « En faisant un nœud, nous y mettons nos pensées et nos désirs, il n'est pas permis de défaire les nœuds de quelqu'un d'autre, explique Tatiana. Nous avons une histoire connue d'une femme qui a noué la ceinture de son mari avec des milliers de nœuds pour la guerre, en formulant le souhait qu'il revienne. Il a raconté ensuite que parfois il se détournait pour remettre bien sa ceinture et qu'une balle passait à côté. À la fin de la guerre, ils ont été faits prisonniers et conduits devant un peloton d'exécution, mais l'Allemand, voyant la ceinture, a épargné cet homme uniquement ».

Dans cet autre article, nous vous dressions le portrait d’un Français devenu champion du monde de flankirovka, la danse du sabre cosaque.

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