En images: cette véritable favela apparue en plein cœur de Sotchi

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EKATERINA SINELCHTCHIKOVA
Sotchi, ville ayant accueilli les Jeux olympiques d’hiver de 2014, attire chaque année des millions de touristes. Cependant, en son centre même, il existe une favela – et bien différente de celles du Brésil, celle-ci vous surprendra beaucoup par ce qu'elle renferme.

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La station balnéaire de Sotchi est synonyme de mer Noire, d'hôtels à la mode, de verres de vin en terrasse, de plage de galets, de montagnes, de forêts reliques et de chutes d'eau. Or, une favela bien réelle s’étend pratiquement en son centre.

Contrairement aux bidonvilles brésiliens, la favela de Sotchi, tout aussi haute en couleur, n’est pas un lieu où règne l’insécurité. La police y réalise certes des descentes fréquentes, mais les touristes y font des visites guidées, tandis que des blogs sont tournés à son sujet. Toutefois, depuis deux décennies, il s’agit d’un véritable casse-tête pour les autorités de la ville.

Comment est-elle apparue ?

En réalité, ces bâtiments à plusieurs étages n'étaient autrefois que des garages ordinaires. La rue Alpinskaïa est le centre même de Sotchi ; c'est ici qu'un quartier, qui abrite aujourd'hui plusieurs centaines de personnes, a été construit à la place d’une coopérative de garages. Il s'agit du plus grand ensemble de garages de Sotchi convertis en bâtiments résidentiels.

Certains de ces édifices s'élèvent sur plusieurs étages ; le record absolu de Sotchi est un « garage » de 9 étages. Pour cette raison, ils sont surnommés « garages-gratte-ciels », un phénomène russe qui n'existe qu'ici.

Leur construction de masse a débuté dans les années 1990, grâce à des modifications du code de l'urbanisme : ces dernières ont permis d'étendre les structures, mais uniquement verticalement. Or, Sotchi, où les prix de l'immobilier sont traditionnellement élevés, en a profité. L’on a commencé à y bâtir par-dessus des garages ordinaires, étage par étage, pour obtenir un logement à part entière, le moins cher que l'on puisse trouver dans cette station balnéaire des plus prisées.

Néanmoins, la loi ne permettant pas de convertir un garage en logement, dans les faits, ces structures possèdent un statut controversé et ambigu. Peu importe le nombre d'étages et ce qui se trouve à l'intérieur, selon les documents, il s'agit toujours d'un garage. Cela crée beaucoup de problèmes pour les habitants des favelas.

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Qu'est-ce que vivre dans les favelas de Sotchi ?

« Les gens ne viennent pas ici comme ça. Je ne serais jamais venu ici si je n'avais pas été mis au pied du mur ».

« Contrairement aux favelas [brésiliennes], personne ne vous détroussera ici. Sauf si c'est la nuit ».

« Il n'y a pas les conditions pour vivre ici, il n'y a pas vraiment d'égouts. Puisse Dieu faire en sorte que ne vive pas ici ».

Ce n'est qu'une petite partie de ce que les habitants de Sotchi eux-mêmes disent des favelas. À première vue, ce « massif » de constructions chaotiques sur la pente d’une colline a l'air en effet des plus modestes. Pourtant, leurs intérieurs se distinguent peu de logements ordinaires.

La plupart disposent de l'électricité, de l'eau et du tout-à-l’égout. La situation est toutefois plus délicate avec le gaz – il est ici nécessaire d’utiliser des réchauds électriques ou des bouteilles de gaz liquéfié, ce qui peut avoir des conséquences tragiques en cas d'incendie, par exemple.

Au rez-de-chaussée, certains garent encore une voiture, mais dans les étages supérieurs habitables, comme dans un appartement ordinaire, l’on trouve eau chaude et froide, machine à laver, douche, toilettes, cuisine avec hotte et autres commodités.

Certains anciens garages tentent aujourd'hui de ressembler en tout point à une chambre dans un hôtel de luxe : « J'ai séjourné dans un garage résidentiel – trois niveaux. Le rez-de-chaussée est un garage chauffé avec une fosse, le premier étage comprend un studio, une cuisine, une salle de bain avec une piscine et un sauna pour deux personnes, le deuxième étage dispose de deux chambres et d'un jacuzzi. C'était classe, mais une chose était un peu contraignante : il faut monter d’un étage à l’autre par un escalier extérieur », écrit Loki23rus.

Un escalier extérieur est une option populaire ici pour relier les étages ou pour faire de chaque étage un logement séparé, généralement destiné à la location. Ici, par exemple, vous pouvez facilement appeler un taxi ou commander une livraison de nourriture.

« De manière générale, les garages résidentiels sont une sorte d'État dans l'État. Il y a ici un garage automobile, dans l’un des garages on trouve aussi un centre de fitness. Il y avait même un sauna, mais il a brûlé. Beaucoup de familles avec des enfants. Presque un garage sur deux. Que dire, il y a même une polyclinique pour enfants », décrit Evguenia de Sotchi.

Combien cela coûte-t-il et qui vit ici ?

En règle générale, les garages sont loués à long terme, au moins pour la saison. Néanmoins, dans ces favelas, il existe de nombreuses offres d'hébergement à la journée, pour le week-end, à destination des touristes.

« D'ailleurs, tout ce qui peut être loué ici l'est. Même un poulailler. Tant qu’il y a de la demande. Surtout s'il est à distance de marche de la mer », ajoute Evguenia.

Qui plus est, les prix de ces logements ne sont pas bas, et sont parfois même comparables au coût d'un appartement de même superficie. Par exemple, pour acheter une chambre (un étage) dans un tel garage, il faut compter environ un million et demi de roubles (16 700 euros). Le prix d'un garage à un ou deux étages est de l'ordre de 6 à 10 millions (66 700-111 200 euros).

Les personnes qui vivent ici sont des personnes venues d’ailleurs, des travailleurs étrangers, des étudiants, des touristes disposant d'un petit budget ou les propriétaires des garages eux-mêmes, qui ont réussi au fil des ans à se construire un « penthouse en bord de mer ».

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« Tout ça pourrait exploser »

La criminalité n'est pas si courante dans les favelas de Sotchi, mais comme les gens y vivent sans y être enregistrés, ce lieu est devenu une « zone grise ». Alexandre Rounov, chef du centre de presse du département de la police municipale, affirme que les descentes dans les favelas sont régulières : « Comme vous le savez, il existe un phénomène d'"appartements en caoutchouc" [quand ces appartements sont occupés par 10 à 20 personnes, généralement des sans-papiers, si bien qu’ils semblent extensibles à l’infini]. Il n'est pas rare que des maisons closes soient détectées. Il arrive que les garages deviennent un refuge pour les travailleurs immigrés des républiques d'Asie centrale. Souvent, ces "locataires" volent leurs propres propriétaires, ceux qui louent les garages comme logement ».

Les favelas suscitent également des craintes parmi les résidents locaux. « Non seulement ce sont des favelas, mais tout est construit en violation de toutes les normes et réglementations possibles, du bon sens et des lois de la Fédération de Russie, a commenté DsmiollaCnews. Y vivre n'est pas seulement dangereux, c'est très dangereux, car ça a été construit dans une région à risque sismique, il y a des bouteilles de gaz à l'intérieur, et personne n'a jamais fait de calculs de résistance. Tout cela est ainsi susceptible d’exploser, de s'effondrer et de brûler à tout moment. Dans le même temps, il n'y a pas d'eau pour les pompiers, pas d'accès aux bâtiments et pas d'espace opérationnel. Sans compter qu'il est impossible de s'y enregistrer, d’y demander une pension de retraite, d’y utiliser les services postaux, etc ».

Depuis plusieurs décennies, les autorités municipales semblent ainsi en peine de décider du sort des favelas : d'une part, il s'agit d'une propriété privée et il n'est pas facile de s'en débarrasser, d'autre part, les bâtiments ne sont pas utilisés comme prévu. Jusqu'à présent, les habitants des favelas attendent ce que l'on appelle l'« amnistie des garages » : le moment où ils seront autorisés à transformer leurs garages en propriétés résidentielles. Un tel projet de loi a déjà passé sa deuxième lecture à la chambre basse du Parlement.

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