Pour une nation sur le point d’accueillir sa première Coupe du Monde dans trois mois, la Russie semble étonnamment discrète. La vérité est que ce pays redoute secrètement les performances de son équipe.
Cela n’a pas toujours été le cas. Les plus nostalgiques se réfèreront à l’époque du football soviétique, mais il y a seulement une décennie de cela, Andreï Archavine réalisait un exploit à la 116ème minute du match l’opposant à la pourtant brillante équipe des Pays-Bas, hissant la Russie jusqu’au quarts de finales du Championnat d’Europe. Nous étions alors à l’apogée du football russe, où les supporters contemplaient Archavine, Iouri Jirkov et Roman Pavlioutchenko faire leur entrée dans la Première Ligue anglaise, suite à de juteux transferts.
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Mais revenons-en à l’Euro 2016, lors duquel l’entraineur Leonid Sloutski a déclaré que son équipe avait « merdé », après une lourde défaite 3-0 contre le Pays de Galles. Comment cela a-t-il pu aussi soudainement déraper ?
La zone de confort
Un matin, en juin dernier, le président Poutine, l’air décontracté, était interrogé par un journaliste, au cours de son annuelle conférence de presse télévisée, pour qu’il fasse un rare commentaire sur les échecs de l’équipe nationale. « Lorsque je parle avec des experts, ils me disent qu’il y a trop de joueurs étrangers », avait-il alors répondu brièvement.
Cela avait déjà été annoncé en 2015 que le nombre de joueurs étrangers en Première Ligue russe serait limité à six par équipe. Cette nouvelle était apparue en dépit même du fait que la Russie dispose de l’une des ligues les moins internationalisées d’Europe, avec seulement 43% de joueurs étrangers (contre 66,4% en Angleterre). Cela fait donc de la Russie un pays bien distinct dans le monde chaotique du football contemporain, où les joueurs peuvent du jour au lendemain partir à l’autre bout du monde pour des offres s’élevant à près d’un quart de milliard de dollars.
Alors que l’effort peut être salué, le patriotisme du football russe entraine ses joueurs sur un terrain peu propice à la gloire. Que chaque joueur notable de l’équipe nationale russe évolue actuellement en Première Ligue de Russie est d’ailleurs la clef pour comprendre les récents échecs. « Les salaires dans la Première Ligue russe sont très élevés, souvent de l’ordre de 4 millions de dollars par an, confie Ilia Zoubko, assistant rédacteur sportif pour le journal Rossiyskaya Gazeta. Mais en raison des restrictions quant au nombre de joueurs étrangers, la compétition pour les places n’est pas si forte que cela ».
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Alors que l’argent coulant à flots pour des joueurs tels qu’Igor Denissov et Artyom Dziouba a permis à la Russie de garder ces derniers sur son sol, cela leur a également procuré une zone de confort trop facilement accessible.
La fin du rêve anglais
Il semble inutile de préciser que l’époque où les joueurs russes rêvaient d’un transfert vers l’Angleterre pour y poursuivre leur carrière est depuis longtemps révolue. « Ils savent qu’ils ne seront pas approchés par les grands clubs anglais, assure Zoubko, Et ils ne voient pas l’intérêt d’en rejoindre un de niveau intermédiaire car le salaire y est plusieurs fois inférieur [à celui qu’ils touchent actuellement], alors qu’ils auront à travailler bien plus dur pour leur place ».
Le cas d’Archavine lui-même illustre bien cela. Ses quatre saisons au sein de l’Arsenal (2008-2012) n’a que peu convaincu ses compatriotes de migrer vers l’Ouest. Peu habitué à l’intensité requise par la Première Ligue anglaise, Archavine n’est pas parvenu à réaliser son entier potentiel, marquant seulement 30 buts sur 133 apparitions sur le terrain. En raison de sa paresse, il est alors sorti des faveurs des supporters de l’Arsenal et a réintégré le club de sa jeunesse, le Zénith de Saint-Pétersbourg, ne laissant dans la mémoire des Anglais que peu de choses si ce n’est un quadruple but contre Liverpool en 2009. Autrefois ambition de tout joueur russe, le rêve anglais semble aujourd’hui nécessiter trop d’efforts : si Archavine n’a pas pu le faire, qui en est capable ?
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Au lieu de chercher de nouveaux Archavines, le système quasi insulaire de la Russie incite ses meilleurs joueurs à se contenter d’un niveau moyen. Des sportifs tels qu’Igor Akinfeev, Alan Dzagoïev, et Aleksandr Kokorin, qui ont été annoncés comme de potentielles recrues de, respectivement, Manchester United, Everton et Arsenal, ont préféré le confort à la carrière et sont restés en Russie, entrainant alors la fonte progressive de leurs comptes en banque mais aussi de leur talent. Néanmoins, ces joueurs seront traités en rois pour leur loyauté et feront partie des 23 membres de l’équipe nationale cet été. Avec seulement quelques matchs européens à leur actif cette saison, les vedettes du football russe se trouvent par conséquent à court d’expériences de haut rang.
Les contraintes de la propriété publique
Alors que le milliardaire russe Roman Abramovitch investit des sommes colossales dans le club de Chelsea, qu’il possède depuis 2003, les clubs russes sont encore embourbés dans une lutte liée à la propriété publique. En effet, 31 des 36 équipes des deux premières divisions russes sont gérées soit par les gouvernements locaux, soit par des corporations publiques. Avec un nombre de spectateurs moyen inférieur à 12 000 en Première Ligue et des droits de diffusion représentant seulement 10% des profits de la ligue, les investissements publics fournissent un contrôle sans précédent sur les équipes.
Comme vous pouvez l’imaginer, la réforme publique d’un système non compétitif n’est pas à l’ordre du jour dans un pays lui-même en proie à la récession économique. « Si une région doit couper ses dépenses sociales, financer une équipe de football sera la dernière chose pour laquelle elle voudra dépenser de l’argent », a en effet souligné en 2017 au quotidien britannique The Financial Times Igor Lebedev, membre du comité exécutif de la Fédération russe de football.
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La perspective d’avoir affaire avec le gouvernement rend naturellement les achats privés bien moins attractifs pour de potentiels acquéreurs non-initiés à la bureaucratie russe. « L’option France » (stimuler rapidement l’attractivité de la ligue par le biais d’investissements privés) nécessiterait l’assistance d’oligarques de l’acabit d’Abramovitch, tels que Suleiman Kerimov, ancien propriétaire de l’Anji (club de la ville de Makhatchkala, capitale du Daghestan). Mais au vu du cours actuel du rouble, cela semble être un scénario peu probable. Ces dernières années, Kerimov et Abramovitch ont au contraire minimisé leur participation dans le football russe.
Piégés dans le système
Le seul espoir de la Russie repose sur sa jeunesse, qui souffre cependant d’un éternel problème de patience et de perfectionnisme. Le système russe de développement des jeunes joueurs est une promenade paisible pour des footballeurs tels que Dzagoïev et Aleksandr Golovin, qui paraissent être des stars internationales depuis leur adolescence, mais les managers sont incompréhensiblement découragés à l’idée de donner une chance à des sportifs n’ayant pas réussi à percer dès leur plus jeune âge.
Le système d’enregistrement est crucial pour ce conservatisme d’entrainement, qui force les clubs à constituer leurs première et deuxième équipes au début de chaque fenêtre de transferts. Cela empêche en effet les migrations entre les deux équipes et rend ainsi des clubs tels que le Spartak de Moscou et le Zénith de Saint-Pétersbourg, dont les secondes équipes jouent en Première Division, incapables de faire appel aux joueurs de leur seconde équipe pour rejoindre la première lors de leurs matchs importants.
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Avec des managers vivant dans la peur d’enregistrer un joueur qui pourrait s’avérer être un gâchis dans l’équipe, les jeunes joueurs ne parvenant pas à faire une brillante percée dans une équipe de haut rang dans leurs premières années finissent souvent enlisés dans des transferts incessants entre des clubs de second rang. Tout cela permet d’ailleurs de formuler la question suivante : y a-t-il un héritier d’Archavine coincé quelque part, dans une équipe lointaine de Sibérie, et se trouvant dans l’impossibilité de connaître la gloire car ses papiers d’enregistrement ne lui permettent pas de s’en aller ?
Panser ses blessures?
D’un point de vue stratégique, la pression de la nation hôte de la Coupe du Monde laisse peu de choix à l’entraineur russe Stanislav Tchertchessov. La mission est claire : l’équipe nationale a besoin de marquer des buts et cela requiert l’énergie de ses jeunes joueurs.
Juin pourrait arriver trop vite, mais après avoir adopté l’approche moderne allemande du développement de la jeunesse en 2015, les clubs russes font au moins quelques pas dans la bonne direction. « Le développement, l’infrastructure jeunesse, cela s’améliore définitivement, a assuré à Russia Beyond Ievgueni Bushmanov, entraineur de l’équipe de Russie espoirs de football. Les plus grands clubs accordent plus d’attention aux talents individuels. Vous pouvez voir cela avec Anton et Aleksei Miranchuk [du club Lokomotiv Moscou], qui ont percé incroyablement vite ces dernières années ».
Tchertchessov a également une approche rafraichissante vis-à-vis des jeunes talents, qui arrive juste au bon moment selon Ilia Zoubko : « Il aime travailler avec des jeunes et leur fait ardemment confiance. Le jeune Roman Zobnine est un formidable exemple, il a été complètement dominé à son premier match pour le Dynamo [de Moscou] contre Naples, mais Tchertchessov a continué à lui faire confiance et à le faire entrer sur le terrain ».
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Zobnine et les jumeaux Miranchuk ne sont que quelques exemples des jeunes se battant pour une place dans l’équipe de Tchertchessov cet été. Il est difficile de juger comment ils s’en sortiront à haut niveau, mais en tant que soutiens de vétérans tels que Denis Glouchakov et Igor Denissov, ces jeunes espoirs pourraient ajouter une certaine profondeur et énergie à l’équipe de Tchertchessov. Si la première ligne de Fyodor Smolov et Aleksandr Kokorin venait à reproduire sa terne performance de l’Euro 2016, Aleksei Miranchuk pourrait ainsi être en mesure de s’avancer et de s’inscrire dans la lignée de son but contre l’Espagne en novembre dernier.
Empêcher l’offensive
La plus grande préoccupation de la Russie vient par ailleurs de sa défense, où il reste des doutes quant à celui à qui sera confiée la mission de stopper cet été des joueurs tels que Luis Suárez, Mohamed Salah et Edinson Cavani. L’équipe nationale a essuyé sa première blessure majeure en janvier, lorsque le prometteur défenseur central du Spartak Moscou, Georgi Dzhikiya, 24 ans, a souffert d’une rupture de ligament lors d’une rencontre amicale. Il est probable que de plus anciens défenseurs, comme Fiodor Koudriachov et Viktor Vasin, auront donc à intervenir à la place de Dzhikiya, malgré la consternation du public. « Dzhikiya était le dernier espoir de Russie, le seul défenseur convenable de l’équipe, a témoigné à Russia Beyond Nikolaï Soloviev, abonné pour la saison aux matchs du Spartak. Il est sur la liste étendue de l’équipe pour la Coupe du Monde, mais je doute qu’il y soit ».
Il est peu probable qu’un miracle se produise, mais si Tchertchessov parvient à stimuler ses joueurs de façon à ce qu’ils marquent, la Russie pourrait avoir une chance de s’en sortir dans les phases de groupes. En plus d’une victoire contre l’Arabie Saoudite le jour d’ouverture et d’une lutte à l’issue malheureusement quasi inéluctable contre l’Uruguay, il est possible d’appréhender avec espoir la rencontre contre l’Egypte à Saint-Pétersbourg le 19 juin.
Mais si les joueurs russes ont appris quelque chose de l’Euro 2016, c’est qu’ils n’ont pas d’autre choix que de surmonter et d’aller au-delà de l’horizon national. S’ils ne le font pas, ils subiront la disgrâce de tous les supporters, de la Sibérie au Kremlin. Sans pression, bien évidemment.
En attendant un potentiel exploit de l’équipe nationale de Russie, si vous vous intéressez aux différents clubs du pays, nous vous expliquons ici où vous procurer leurs écharpes.