Qui les empereurs russes considéraient-ils comme leurs véritables amis?

Russia Beyond (Photo: Legion Media, Domaine public)
Parmi eux, un écrivain célèbre et une noble de haute lignée, une grande civilisatrice et un simple tourneur. Ils étaient les amis véritables et non «officiels» des dirigeants russes.

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Devenir un ennemi personnel d’Ivan le Terrible était facile. Par contre, être un ami personnel du tsar était alors impossible. Plus la personne était importante dans l’État, plus elle était proche du souverain, littéralement – elle assistait avec lui aux festins, chassait avec lui et allait au bania en sa compagnie. À cette époque, le tsar n’était pas libre de choisir ses amis, et par nécessité, il se liait d’amitié avec les représentants des lignées les plus nobles.

Cet ordre des choses, comme beaucoup d’autres, a été rompu par Pierre le Grand, qui dans sa jeunesse s’est lié d’amitié avec les étrangers de la Sloboda (quartier) allemande à Moscou, et à tout âge a facilement sympathisé avec n’importe quelle personne sans distinction de rang – le plus important étant que l’individu maîtrise son sujet.

Andreï Nartov (1693 – 1756), ami de Pierre le Grand

Portrait d'Andreï Nartov, XVIIIe siècle, par Ivan Nikitine

Andreï Nartov, « le tourneur des tsars » comme on l’appelait, ne devait rien à Pierre, bien au contraire. Nartov était un mécanicien hors pair, l’inventeur du tour et, bien sûr, un virtuose du tournage. C’est donc le tsar Pierre qui a appris d’Andreï Nartov, issu des « gens ordinaires ».

À l’âge de 15 ans, Andreï étudiait déjà le travail au tour à l’École des sciences mathématiques et nautiques de Moscou, créée par le tsar. Ayant eu vent de son talent, Pierre a envoyé Nartov étudier en Europe en 1718 et, à son retour, l’a nommé à la tête de la salle de tournage du tsar.

Tour d'Andreï Nartov au sein du palais de Pierre

Il s’agissait en fait d’un atelier où le tsar achetait les dernières machines européennes et chargeait Nartov de les tester. Ce lieu dans les palais de Pierre était situé près des appartements du tsar, car ce dernier aimait se détendre en travaillant sur le tour. Le fils de Nartov, lui aussi nommé Andreï, a plus tard enregistré et publié les histoires de son père sur Pierre le Grand. Elles rendent avec précision le caractère ironique et héroïque de l’empereur.

« Le souverain, aiguisant une figure humaine dans un tour et s’amusant de voir que le travail se passait bien, demanda à son mécanicien Nartov : "Comment aiguisé-je ?". Et quand Nartov répondit : "Bien", Sa Majesté dit : "Alors, Andreï, j’aiguise bien les os avec un ciseau à bois, mais je ne peux pas aiguiser les hommes têtus avec un gourdin ».

Ou encore une telle histoire : « Fut introduite dans la salle du tour de Sa Majesté la demoiselle Hamilton [...], qu’il enlaça, lui tapota l’épaule de la main, puis dit : "Il est bon d’aimer les jeunes femmes, mais pas toujours, sinon, Andreï, nous oublierons le métier". Puis il s’est assis et a commencé à aiguiser ».

Après la mort de Pierre, Andreï Nartov, qui n’était pas célèbre pour ses manières élégantes, a été renvoyé de la cour, mais a continué à travailler comme ingénieur d’artillerie. Peu avant son propre décès, Nartov a reçu le grade de « général » en tant que conseiller d’État. Il est mort à Saint-Pétersbourg en 1756.

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Mavra Chouvalova (1708 – 1759), amie d’Élisabeth Ire

Mavra Chouvalova, fin des années 1750, par Alexeï Antropov

L’histoire de Mavra Chouvalova est un exemple classique de la façon dont une demoiselle d’honneur autrefois insignifiante de la grande-duchesse devient toute-puissante et règne littéralement sur le destin d’autrui. À l’âge de 10 ans, Mavra Chepeleva est devenue la demoiselle d’honneur d’Anna, la fille de Pierre le Grand. Mavra appartenait à la vieille famille de boyards des Chepelev, mais était elle-même issue d’une branche pauvre. C’est un parent éloigné, le général Dmitri Chepelev, qui lui a « arrangé » une place de demoiselle d’honneur auprès d’Anna.

En 1720, cette dernière a épousé le duc Charles-Frédéric de Holstein-Gottorp – leur fils deviendra l’empereur Pierre III. Mavra, au service de la jeune mariée, se rend avec elle et le duc dans la ville de Kiel, dans le Holstein, en 1727, où elle devient la maîtresse du duc. « Le duc et Mavra se sont définitivement avilis. Il ne passe pas un seul jour à la maison, se déplace avec elle ouvertement en calèche dans la ville, effectue des visites en sa compagnie et va au théâtre », s’est plainte Anna à sa sœur, Élisabeth.

Or, Élisabeth a justement pris Mavra Chepeleva comme demoiselle d’honneur après la mort de sa sœur en 1728. Mavra est retournée en Russie et est devenue la meilleure amie d’Élisabeth, la future impératrice. Mavra vivait avec elle à Moscou, au domaine de Pokrovskoïé-Roubtsovo, et était célèbre pour sa capacité à amuser Élisabeth avec des plaisanteries caustiques. Elle aimait festoyer et jouer aux cartes. En 1738, elle a épousé Piotr Chouvalov, un officier de la chambre, qui a participé au coup d’État de 1741 ayant permis d’introniser Élisabeth.

Depuis lors, la connaissance de Mavra Chouvalova a été un grand avantage – elle était l’amie la plus proche de l’impératrice, qui partageait avec elle des passe-temps du vieux Moscou comme jouer aux cartes et se gratter les talons avant de se coucher.

Le mari de Mavra est devenu chevalier de tous les plus hauts ordres et l’un des principaux dignitaires de l’empire. Le cousin de son époux, Ivan Chouvalov, fondateur de l’Université de Moscou, est quant à lui devenu le favori de l’impératrice elle-même. De son côté, le général Dmitri Chepelev, qui avait autrefois permis à Mavra de devenir demoiselle d’honneur, s’est hissé en fonctionnaire important de la cour et a été décoré de l’ordre de Saint-André.

Chouvalova était hautaine avec les inconnus et persécutait ses ennemis, profitant à nouveau de ses relations. Toutefois, c’est grâce à elle que la famille Chouvalov a fait partie des plus prestigieuses de l’empire à partir de l’époque élisabéthaine.

Ekaterina Dachkova (1743 – 1810), amie de Catherine la Grande

Ekaterina Dachkova, 1784, par Dmitri Levitski

L’amitié entre la grande-duchesse et la princesse Ekaterina Vorontsova (Dachkova) a commencé de façon étrange – la sœur de Dachkova, Elizaveta, était la maîtresse de Pierre III. Il passait presque tout son temps avec elle, ignorant sa femme. Pendant le coup d’État du palais, Dachkova s’est cependant rangée du côté de Catherine, réalisant apparemment que l’avantage était du côté de l’épouse rebelle de l’empereur.

Âgée de 19 ans, très sûre d’elle, portant un uniforme d’officier masculin, Ekaterina Dachkova se sentait sur la scène d’un moment historique. Elle pouvait se permettre de faire irruption dans une réunion du Sénat et de murmurer quelque chose à l’oreille de l’impératrice déjà en fonction. Il est possible que cette nature de leur relation soit à l’origine de la rupture. Après la mort de son mari en 1764, Dachkova s’est retirée de la vie de la cour. En 1769, elle a effectué un grand tour d’Europe, où elle a été reçue comme une amie de l’impératrice russe et rencontré Voltaire, Diderot, Adam Smith et Benjamin Franklin.

Lorsque Dachkova est retournée en Russie en 1782, ses relations avec Catherine se sont rétablies. L’impératrice l’a nommée directrice de l’Académie des sciences de Saint-Pétersbourg et peu après, Catherine a fondé l’Académie impériale russe, avec pour mission d’étudier la langue russe. Le résultat de son travail a été le Dictionnaire de l’Académie russe en six volumes.

Toutes les dernières années de la vie d’Ekaterina Dachkova ont été consacrées aux Lumières. À son initiative, les principales œuvres de la littérature mondiale ont commencé à être traduites en russe. Rivalisant avec Catherine la Grande en matière d’érudition, Dachkova a elle-même été l’une des grandes figures des Lumières russes.

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Alexandre Kourakine (1752 – 1818), ami de Paul Ier 

Alexandre Kourakine à 29 ans, 1781, par Richard Brompton

Nikita Panine, le tuteur du grand-duc Paul, n’avait pas d’enfants. Il élevait cependant son petit-neveu, le prince Alexandre Kourakine, qui est devenu l’ami du grand-duc dès leur enfance. Kourakine a reçu son éducation à l’étranger et a ensuite accompagné Paul dans de nombreux voyages, allant même avec lui à Berlin pour rencontrer la future épouse de Paul, Maria Fiodorovna.

Alexandre Kourakine était considéré comme le plus brillant des aristocrates russes. L’empereur romain germanique Joseph II lui-même l’a décrit comme « un homme courtois et ayant l’attitude de la haute société ». Dans les cercles de l’aristocratie européenne, Kourakine était surnommé le « prince aux diamants » en raison de son amour pour les bijoux en diamant. Ses chapeaux, cannes, épaulettes et vêtements étaient ornés d’or et de diamants.

Avec l’accession de Paul au pouvoir, le prince Kourakine a été fait vice-chancelier. Même s’il ne comprenait pas grand-chose aux affaires de l’État, il était un dignitaire chevronné et se distinguait par son âge et son autorité. De 1808 à 1812, Kourakine a dirigé l’ambassade russe en France, qu’il a quittée après le début de l’invasion de la Russie par Napoléon.

Alexandre Kourakine, 1802, par Vladimir Borovikovski

Une légende raconte qu’en 1810, un incident est arrivé à Kourakine à Paris, qui a finalement causé sa mort. Un incendie s’est déclaré lors d’un bal. Kourakine, véritable aristocrate, ne s’est pas permis de quitter la salle en feu avant que toutes les dames ne soient parties. Le « prince aux diamants » était littéralement enveloppé dans des vêtements brodés d’or – cela lui a sauvé la vie, mais il a tout de même subi de graves brûlures, qui ont fini par miner sa santé.

Les dernières années de sa vie, Kourakine a souffert de la goutte et d’autres problèmes, mais il a continué à donner de splendides bals à Moscou et à Saint-Pétersbourg. En étant initié aux plus hauts degrés de la franc-maçonnerie, il a fait vœu de célibat, mais au cours de sa vie, il a engendré plus de 50 enfants hors mariage.

Alexis Tolstoï (1817 – 1875), ami d’Alexandre II

Alexis Tolstoï dans sa jeunesse, 1836, par Karl Brioullov

Conformément à la tradition d’élever les grands-ducs avec les jeunes aristocrates, Alexis Tolstoï, qui deviendra par la suite un écrivain célèbre (à ne toutefois pas confondre avec l’illustre Léon Tolstoï, un lointain parent), est devenu l’ami du futur Alexandre II. Alexis (ainsi que d’autres jeunes aristocrates) a été présenté au tsarévitch Alexandre lorsqu’ils avaient 14 et 13 ans. Ils sont restés amis pendant de nombreuses années.

Alexis étonnait le tsarévitch et tout son entourage par sa force de bogatyr. Il était capable de nouer des couverts et des tisonniers, de soulever facilement l’héritier et de le porter sur ses épaules, et a un jour lutté avec l’empereur Nicolas lui-même. Ce cas est décrit dans ses mémoires par la demoiselle d’honneur Alexandra Rosset. « Pour rire, il a proposé au Souverain de se mesurer par la force. Sa Majesté lui a dit : "Avec moi ? Mais tu oublies que je suis plus fort que toi, beaucoup plus grand". "Cela n’a pas d’importance, je n’ai pas peur de me mesurer avec qui que ce soit, je suis très fort, je le sais" ». Après avoir reçu la permission de frapper de toutes ses forces, Alexis a longtemps lutté contre l’empereur de deux mètres de haut. « Le tsar, repoussant cette attaque d’une main, disait de temps en temps : "Il est fort, ce garçon, fort et agile". S’apercevant enfin qu’il haletait et respirait à peine, l’Empereur le souleva, l’embrassa et lui dit : "Costaud et bogatyr" ».

Alexis Tolstoï, 1879, par Ilia Répine

Alexis Tolstoï est devenu fonctionnaire, bien qu’il soit plus connu comme écrivain. Il n’a pas profité de l’amitié de l’empereur pour faire avancer sa carrière et, après sa retraite en 1861, il ne s’est que rarement rendu à Saint-Pétersbourg. Cependant, Alexis Tolstoï a écrit un jour à l’empereur Alexandre pour lui demander de protéger de la destruction l’ancienne église de Saint-Trifon à Moscou. Alexandre n’a pas répondu à la lettre.

Les dernières années de la vie de Tolstoï ont été consacrées à des voyages en Europe et à des activités littéraires. Son roman le plus important, Ivan le Terrible ou la Russie au XVIe siècle, a été publié en 1863. Pour des maux de tête chroniques, dont Tolstoï souffrait dans sa vieillesse, on lui prescrivait des injections de morphine, ce qui a provoqué sa mort précoce.

Dans cet autre article, nous vous présentions sept enfants illégitimes des empereurs russes.

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