Français ou Russes: qui a incendié Moscou en 1812?

Christian Johann Oldendorp
Les Russes croyaient que la ville avait été détruite par les troupes de Napoléon. Cependant, les Français eux-mêmes étaient convaincus qu'elle avait été brûlée par les habitants. Qui est vraiment responsable de cette tragédie?

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« C'était une mer de feu, le ciel et les nuages ​​semblaient flamboyer, des montagnes de flammes rouges tourbillonnantes, comme d'énormes vagues de la mer, se sont soudainement élevées, se sont élevées vers le ciel enflammé puis sont tombées dans l'océan de feu. C'était le spectacle le plus majestueux et le plus terrifiant jamais vu par l'humanité », c'est ainsi que Napoléon Bonaparte a décrit l'immense incendie qui a embrasé Moscou le 14 septembre 1812, le jour où la Grande Armée a occupé l'ancienne capitale russe.

Le feu a détruit six des neuf mille bâtiments et presque la moitié des églises de la ville, l'université avec ses archives uniques et les manoirs avec leurs inestimables collections d'art. En outre, ont péri plus de deux mille soldats russes grièvement blessés, laissés aux soins de l'ennemi, selon la coutume de l'époque, en raison de l'impossibilité de les évacuer.

Le feu a brûlé pendant cinq jours et, à certains endroits, a continué à couver jusqu'au départ des Français de la ville à la fin du mois d'octobre. Les deux parties ont immédiatement commencé à se rejeter la responsabilité de cette barbarie, mais qui était le véritable coupable ?

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Les Russes sauvages ?

« Les incendies se déclarent sans cesse dans la ville et il est maintenant clair que leurs causes ne sont pas accidentelles, a rappelé César de Laugier, officier napoléonien. Il s'avère que les incendiaires ont agi sur les ordres de Rostoptchine et du chef de la police Ivachkine. La plupart des personnes arrêtées s'avèrent être des agents de police, déguisés en cosaques, prisonniers, fonctionnaires et séminaristes... Ceux qui sont capturés sont immédiatement fusillés sur place ».

Les Français désignaient en effet le gouverneur général de Moscou, Fiodor Rostoptchine, comme le principal responsable de la tragédie. Philippe-Paul de Ségur, qui faisait partie de la suite de Napoléon, a écrit que c'est sur ses ordres que de nombreuses fusées et autres substances incendiaires avaient été fabriquées : « Moscou devait être transformée en une énorme machine infernale, dont l'explosion nocturne soudaine engloutirait l'empereur et son armée ».

En effet, le gouverneur de la ville avait souvent exprimé avec émotion qu'il préférerait détruire Moscou plutôt que de la céder à l'ennemi. En août, dans une lettre au prince Piotr Bagration, il avait écrit que si l'ennemi se manifestait, le peuple « réduirait la ville en cendres, et Napoléon obtiendrait au lieu du butin l'endroit où se trouvait la capitale [Russia Beyond fait référence à l'ancienne capitale puisque Saint-Pétersbourg était alors la capitale en exercice de l'Empire]. Il n’est d’ailleurs pas sot de lui faire savoir cela, ainsi il ne comptera pas sur des millions et des entrepôts de pain, car il ne trouvera que charbon et cendres ».

Rostoptchine a par ailleurs ostensiblement brûlé son domaine de Voronovo près de Moscou, et a également ordonné à la dernière minute de mettre le feu aux réserves de nourriture « autant que possible à la vue de l'ennemi » (les Français ont cependant pour la plupart aussitôt éteint ces foyers). Toutefois, une mesure telle que la destruction totale de la ville ne pouvait être prise par le gouverneur général que sur l'ordre direct du commandant en chef de l'armée russe, Mikhaïl Koutouzov, ou de l'empereur Alexandre Ier lui-même. Or, il n'existe aucun document contenant ces ordres ni aucun rapport des exécuteurs testamentaires.

La police de Moscou n'a de son côté pas eu le temps ni l'occasion de se livrer à un quelconque sabotage. Immédiatement après le conseil du village de Fili, le 13 septembre, où le commandement a décidé de quitter Moscou, Koutouzov a demandé à Rostoptchine de « [lui] envoyer avec le même adjudant Montrésor autant d'officiers de police qui pourraient conduire l'armée par différentes routes jusqu'à la voie de Riazan », c'est-à-dire de conduire les troupes, que les Français talonnaient littéralement, à travers la ville vers le sud-est.

Enfin, Rostoptchine était bien conscient des milliers de soldats russes blessés restés dans la ville, qui mourraient inévitablement si un incendie général éclatait. Comme cela s'est finalement produit.

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Les méprisables Français ?

La partie russe, pour sa part, a rejeté la responsabilité du désastre de Moscou sur les Français. Déjà dans les rapports gouvernementaux d'octobre, ils sont qualifiés de « méprisables pyromanes », et l'incendie criminel est décrit comme l'œuvre d'un « esprit corrompu ».

Après l'entrée de l'armée russe dans la capitale française en 1814, le diplomate Semion Vorontsov déclarera d’ailleurs : « Nous sommes considérés comme des barbares, et les Français sont, pour des raisons inconnues, vus comme le peuple le plus instruit. Ils ont brûlé Moscou, alors que nous avons préservé Paris ».

Dans une de ses lettres à Vorontsov, Rostoptchine a écrit que Napoléon « a livré la ville aux flammes afin d'avoir un prétexte pour la piller ». « Bonaparte, pour rejeter son infamie sur un autre, m'a attribué le titre d'incendiaire, et beaucoup le croient », note-t-il dans un autre message.

L'empereur français n'avait cependant aucune raison de brûler une ville dans laquelle ses nombreuses troupes étaient logées. En outre, il a personnellement participé à l'extinction des incendies, et a lui-même failli mourir dans le feu.

La cause de cette tragédie pourrait donc être le pillage effréné des soldats de la Grande Armée. Selon l'un des Français venus à Moscou, ils « se sont livrés au pillage et à toutes sortes de violences ; beaucoup d'entre eux ont payé de leur vie leur avidité : plus de 6 000 soldats ont suffoqué à cause de la fumée des édifices ayant pris feu après qu'ils y soient entrés pour piller ».

Même de Ségur, avant que les Français n'attrapent et n'abattent des « hommes au visage bestial et aux vêtements en loques » armés de torches, rendait ses compatriotes responsables du désastre : « Il semblait à la plupart que l'indiscipline et l'ivresse de nos soldats avaient commencé ce désastre, et que la tempête l'achevait. Nous nous regardions nous-mêmes avec une espèce de dégoût. Le cri d'horreur qu'allait jeter l'Europe nous effrayait. On s'abordait les yeux baissés, consternés d'une si épouvantable catastrophe : elle souillait notre gloire, elle nous en arrachait le fruit, elle menaçait notre existence présente et à venir ; nous n'étions plus qu'une armée de criminels dont le ciel et le monde civilisé devaient faire justice ».

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Une culpabilité partagée

Les témoignages des contemporains sont pleins de rapports contradictoires sur la culpabilité de l'une ou l'autre partie dans les événements de Moscou. Les historiens qui se disputent depuis deux siècles ne sont pas non plus parvenus à un consensus.

Ces dernières années, cependant, les chercheurs ont commencé à privilégier l'hypothèse selon laquelle la vérité se situerait quelque part au milieu, et que les deux camps ont été responsables de l'incendie dévastateur de Moscou en 1812.

Rostoptchine était indubitablement d'une manière ou d'une autre à l’origine de la catastrophe qui a éclaté. C'est sur ses ordres que les entrepôts ont été incendiés et, surtout, que toutes les brigades de pompiers ont quitté la ville. « Le feu de nuit n'a pu être arrêté car il n'y avait pas de matériel de lutte contre l'incendie à portée de main et nous ne savions pas où trouver des pompes à incendie », a témoigné le général Armand de Caulaincourt.

Les torches ont par ailleurs été prises à la fois par les habitants patriotes et par ceux qui, dans le chaos général, avaient décidé de se livrer au pillage et aussi de régler de vieux comptes. Un rôle pourrait également avoir été joué par les espions de l'armée russe déguisés et entrés dans la ville, mais ils ont commencé à y apparaître surtout après la fin de la catastrophe.   

Une raison importante de l'apparition de nombreux foyers a toutefois été l'action des soldats de la Grande Armée, qui, dans le contexte de l'effondrement général de la discipline, ont soumis la ville à un pillage total, sans se soucier le moins du monde de la sécurité incendie, et en mettant parfois délibérément le feu aux demeures et échoppes. Les vents forts ont ensuite réussi à transporter à travers la cité le feu, qui, en raison du départ de la majorité de la population et de l'absence de toute autorité unifiée, a très vite acquis un pouvoir destructeur.

Moscou a souffert plus que toute autre ville de l'Empire russe pendant la guerre patriotique de 1812. Il lui a fallu deux décennies pour s'en remettre complètement. Bien qu'il soit aujourd'hui difficile de désigner le principal responsable de cette tragédie, une chose est sûre : ni les Russes ni les Français n'en avaient besoin.

Dans cet autre article, nous vous expliquions pourquoi Napoléon Bonaparte a attaqué Moscou et pas Saint-Pétersbourg, alors pourtant capitale de l’Empire.

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