L’histoire d’Abrau-Durso, qui propose aujourd’hui neuf gammes de vins et de mousseux, débuta en 1870. Le tsar Alexandre II donna alors l’ordre de bâtir un domaine viticole sur les bords de la mer Noire. La région fut choisie pour son climat doux, mais on ne savait pas encore qu’elle donnerait naissance à l’un des meilleurs vins de Russie. Pour ce faire, l’on importa divers cépages et l’on invita des œnologues du monde entier, dont des experts français, à participer au développement du petit domaine. Parmi eux, figurait notamment le chef de cave Victor Dravigny, qui quitta la France en 1905 afin de conseiller les vignerons russes. Pour lui rendre hommage, la maison donna d’ailleurs son nom à l’une de ses gammes. Les résultats ne se firent pas attendre et Nicolas II demanda à ce que le vin soit servi à sa cour, l’inscrivant ainsi dans les annales.
Contrairement à tant d’autres entreprises, celle-ci survécut par la suite au tourbillon de la révolution et de la guerre civile qui marquèrent le début du siècle passé en Russie. Le nouveau pouvoir nomma en 1920 Edouard Vedel, un œnologue de la région, directeur d’Abrau-Durso, devenu entretemps sovkhoze (entreprise agricole d'État en URSS). Anton Frolov-Bargueïev, qui chaperonnait la production depuis l’époque tsariste, inaugura alors au sein du domaine un centre de recherches consacré aux mousseux. C’est par ailleurs justement lui qui inventera quelques années plus tard le légendaire Sovetskoïé champanskoïé, « Le Champagne soviétique », tandis que l’une de ses licences, portant sur la méthode de fabrication des mousseux, sera même achetée par Moët & Chandon.
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Bien qu’ayant lourdement souffert de la Seconde Guerre mondiale, le domaine connut par la suite un intense et fructueux développement. Cependant, au milieu des années 1980, Abrau-Durso fit face à une crise profonde, probablement la plus dévastatrice de toutes et dont les raisons lui étaient extérieures. Tout commença le 7 mai 1985, lorsque fut adopté par les autorités soviétiques le décret Sur les mesures de renforcement de la lutte contre l'ivrognerie et l'alcoolisme. Si l’abattage de la vigne ne fut pas entrepris aussitôt et que le remplacement des anciens pieds et la plantation de nouvelles parcelles continuèrent après la signature de ce texte, la surface exploitée finit inéluctablement par décroître. Combiné aux décisions aussi ravageuses que contestées prises durant la tumultueuse décennie 90, suite à la chute de l’URSS, ce processus suivit un rythme tel, qu’au début du XXIe siècle environ la moitié du vignoble était perdu.
Renaissance et consécration
Néanmoins, malgré les houleux aléas de l’histoire ainsi que les terribles inondations de 2002, des jours radieux attendaient le domaine. En 2006, l’oligarque russe Boris Titov racheta la plantation, avec pour désir de protéger les traditions et le savoir-faire russes des vins et mousseux. Il offrit à Abrau-Durso une nouvelle vision et décida de le faire connaître à l’international. Le succès fut imminent : en 2010, ce mousseux russe remportait ses premiers titres à la Compétition internationale des vins et spiritueux de Londres (IWSC). On élargit également la carte du domaine, qui propose aujourd’hui des mousseux, du chardonay et des vins de coupage.
Les vins Abrau ont en outre reçu le titre d’indication géographique, preuve que le mousseux russe doit bel et bien sa qualité aux spécificités de la région et du village duquel il a hérité le nom. Une valeur ajoutée supplémentaire, qui ouvre de nouvelles possibilités d’exportation. Vin préféré de tant de Russes, il est en effet également disponible à l’achat dans plusieurs pays, dont la République tchèque, la Grèce, la Hongrie, le Japon, la Chine, l’Allemagne, la Finlande et le Danemark, principalement par vente en ligne. Plus de 31 millions de bouteilles ont ainsi au total trouvé acquéreur en 2017.
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Son histoire est également très liée à la France puisque, aujourd’hui encore, on y fait appel à des experts français. C’est le cas notamment d’Hervé Jestin, grand spécialiste des mousseux biodynamiques, qui conseille la production et a lancé la prestigieuse gamme Imperial Cuvée l'Art Nouveau Brut.
La Maison a d’ailleurs plusieurs projets dans l’Hexagone. Par exemple, en 2010, la famille Titov a racheté le Château d’Avize, domaine se trouvant en Champagne-Ardenne. On y produit à présent du champagne de qualité issu de l’agriculture biologique. Boris Titov souhaite également y développer un complexe hôtelier axé sur l’œnotourisme. Enfin, un projet de coopération, auquel prennent part le Lycée des métiers de l’hôtellerie de Bazeilles, le restaurant rémois Les Crayères, et le groupe vinicole Abrau-Durso, a même été créé entre la région Champagne-Ardenne et le domaine russe.
En ce qui concerne le marché intérieur, la maison ne compte en outre pas se reposer sur ses lauriers. La Russie se place en 9ème position des pays consommateurs de vins avec 890 millions de litres écoulés en 2017. Si le choix des Russes se porte souvent sur les demi-doux et demi-secs, la Maison se lance le défi de rééduquer leurs goûts en matière de vin, en leur proposant principalement du brut. Titov espère par ce biais en finir avec le « sucré qui pétille » pour faire apprécier à ses compatriotes le goût du véritable mousseux.
La région Abrau-Durso, un terroir made in Russia
Les vins Abrau-Durso tirent leur nom d’un village se trouvant en réalité au cœur d’une région rassemblant toutes les caractéristiques propices aux cultures viticoles. Au bord de la mer Noire, elle est en effet caractérisée par « la rose des vents », zéphyr ramenant des notes de saveurs et d’arômes de la nature avoisinante. Les pierres chauffées par le soleil jouent quant à elles le rôle de panneaux solaires naturels, réchauffant les vignes, tandis que les vents de mer régulent les températures trop hautes. Tous ces éléments s’ajoutent à un sol riche en minéraux, permettant la culture de cépages spécifiques.
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Le vin doit également sa qualité aux techniques de production et au savoir-faire hérités par la région. On utilise ainsi des méthodes biodynamiques et traditionnelles. Engrais synthétiques et herbicides ont été abandonnés et les récoltes réglementées et encadrées.
À noter qu’Abrau-Durso apparait par conséquent comme l’une des régions les plus visitées par les adeptes de l’œnotourisme, très en vogue en Russie. Ainsi, en 2015, elle a accueilli quelque 300 000 touristes russes et étrangers, qui ont pu apprécier ce vin dans sa région natale, découvrir caves et champs de vigne, participer aux ateliers de l’école de cuisine et visiter le musée qu’abrite le domaine.
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