Les Russes sont de grands amateurs de thé. Ils font infuser 170 000 tonnes de feuilles sèches par an, soit plus que les Britanniques. Non contents de ce record, ils s’arrangent pour cultiver des théiers dans leur pays froid.
La Russie produit le thé le plus septentrional du monde dans la région du Caucase, à une heure de route de Sotchi, la ville des JO 2014 et d’un circuit de Formule 1. Toutefois, sur les millions de touristes qui viennent tous les ans dans la principale station balnéaire russe, à 1 400 km au sud de Moscou, seuls quelques-uns visitent les plantations de thé. D’ailleurs, presque personne ne sait que la Russie pratique la culture du théier, cet arbuste qui pousse essentiellement sous les climats tropicaux et subtropicaux.
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Iouda et son épouse étaient d’anciens ouvriers de la fabrique de thé à Soukhoumi (aujourd’hui capitale de la République d’Abkhazie ayant proclamé son indépendance). Ils ont acheté une petite maison et ont aménagé autour une plantation d’arbustes inconnus, apportés dans leurs sacs à dos. Trois ans plus tard, ils ont invité leurs voisins à déguster du thé de leur propre fabrication.
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Aujourd’hui, Solokh-Aoul compte une cinquantaine de maisons agrippées au versant de la montagne Ficht dont le sommet reste couvert de neige même en juillet. Ses rues sont des passages de pierre et l’une d’elles conduit à une maisonnette en bois blanchi avec un toit de tôle ondulée : le musée de Kochman.
« C’est la maison des Kochman », déclare la conservatrice, Elena Zavirioukha, en pénétrant dans une chambre minuscule avec seulement deux lits, une malle en bois et les portraits des propriétaires accrochés aux murs : un homme aux cheveux blancs et à la barbe frisée et une femme avec un foulard blanc sur la tête.
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« C’est ici qu’ils faisaient le thé », indique Elena en ouvrant la porte de la chambre voisine dont la moitié est occupée par un four russe et l’autre par une table de bois avec, au milieu, un tas de feuilles enroulées sur elles-mêmes. La petite fenêtre donne sur les arbustes plantés par le couple en 1901.
C’est ici, sur leur plantation, que le mari et la femme reposent. « Ce sont les plus vieux théiers de Russie, explique Elena. Mais s’ils sont bien entretenus, ils vivront 500 ans. Tous les ans, ils nous fournissent une récolte qui nous permet de faire notre propre thé ».
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La Russie est plutôt adepte du thé noir obtenu par fermentation des feuilles. Cette fermentation est encouragée par le flétrissage et le roulage, qui stimulent les réactions d’oxydation.
« Aujourd’hui, l’opération est réalisée par des machines spéciales, mais au début du XXe siècle, les Kochman faisaient tout à la main, avec leurs paumes nues, poursuit Elena. Ma fille et moi nous avons décidé un jour d’essayer : nous avons roulé un kilo de feuilles fraîches. Les mains nous ont fait mal pendant une semaine ! C’est un travail très dur ».
Les feuilles qui avaient donné leur suc étaient ensuite chauffées au four puis séchées à l’air sous un toit. Ainsi préparé, le thé était porté par Iouda Kochman dans son sac à dos au marché de Sotchi, à 40 kilomètres, par la route montagneuse.
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Ayant appris d’où l’homme venait avec son thé, les marchands de Sotchi se sont moqués de lui. En effet, même en été, les montagnes de Sotchi sont couvertes de neige, tandis que le thermomètre peut afficher moins 10 degrés. Comment un arbuste subtropical pourrait-il y survivre ?
En réponse à la lettre d’Iouda Kochman, accompagnée d’échantillons de son produit, l’Académie des sciences de Russie a affirmé qu’il était impossible de faire pousser du thé plus au nord que la Géorgie et lui a conseillé d’abandonner ses fantaisies. Ce n’est que dans les années 1920, après la révolution d’Octobre, que l’État soviétique a soutenu l’œuvre d’Iouda Kochman. Les plantations de thé autour de Solokh-Aoul se sont élargies pour fournir dans les années 1970 jusqu’à 7 000 tonnes de feuilles par an, les spécialistes soviétiques ayant sélectionné des espèces résistant au froid.
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Dans le café du musée, Elena ébouillante une théière de porcelaine blanche, jette l’eau et y dépose une poignée de feuilles dorées pour verser dessus de l’eau chaude d’un samovar en cuivre. Le thé russe n’est pas trop corsé, il est de couleur assez claire, mais il possède toute une gamme de goûts d’arrière-bouche, allant de notes fruitées aux arômes fleuris.
La société Thé de Solokh-Aoul fondée par Iouda Kochman dispose aujourd’hui de 60 hectares de plantations, soit beaucoup moins qu’il y a 25 ans, quand l’industrie a été frappée de plein fouet par une crise économique.
La récolte du thé commence au printemps, dès la fonte des neiges dans la montagne. La saison est toujours ouverte par le directeur qui cueille les premières feuilles sur les arbustes poussant près de la tombe d’Iouda Kochman. Il est relayé par les saisonniers qui, d’avril à octobre, récoltent à la main plusieurs dizaines de tonnes de feuilles transformées par la suite dans une fabrique dotée de matériel moderne.
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Jusqu’ici, le thé local, vert et noir, ne pouvait être acheté qu’à Solokh-Aoul et commandé via Internet. Mais il y a deux ans, le thé russe a fait sa réapparition dans les magasins.
« Toutefois, le thé préparé dans son pays natal, dans la propriété d’Iouda Kochman, est toujours autre que le produit acheté en magasin », affirme Elena qui, diplômée d’un centre de formation à Sotchi, est retournée dans son village natal.
Selon elle, un ou deux touristes venus à Solokh-Aoul restent chaque année pour travailler une quinzaine de jours à la cueillette du thé. Les plantations se trouvent dans la montagne et certaines ne sont accessibles qu’à cheval. Les feuilles sont cueillies à la main, comme du temps d’Iouda Kochman : c’est une expérience authentique, une tradition vivante qui a survécu par miracle dans le Sud de la Russie.
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