Cinq des plus anciens restaurants de Moscou toujours ouverts 

Gastronomie
MARIA BOUNINA
Dans quel restaurant le poète Sergueï Essénine déclara-t-il sa flamme à la danseuse Isadora Duncan? Où Joseph Staline aimait-il dîner hors du Kremlin? Nous espérons vous donner ici l’envie de découvrir ces établissements toujours en activité et de goûter la cuisine que leurs chefs proposent aujourd’hui.

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Yar

Adresse : Leningradski prospekt N°32/2, hôtel Sovietski

Le plus ancien restaurant de Moscou à accueillir aujourd’hui des gastronomes fut ouvert à l’angle de la rue Neglinnaïa et de celle du pont des Forgerons (Kouznetsky most) en 1826 par le Français Tranquille Yard qui lui donna son nom. L’établissement déménagea à plusieurs reprises. En 1910, il s’installa sur la route de Saint-Pétersbourg (aujourd’hui Leningradski prospekt).

Le restaurant Yar était célèbre pour son décor luxueux, ses chanteurs tziganes et ses plats raffinés confectionnés par des chefs français. L’élite intellectuelle russe s’y pressait. Alexandre Pouchkine (1799-1837) immortalisa dans un de ses poèmes « les truffes de chez Yar ». La légende veut que Fiodor Chaliapine (1873-1938) aimait venir chez Yar les veilles de premières au Bolchoï. Il chantait du haut du balcon de la salle principale puis se livrait à une beuverie avec les autres clients. Le lendemain, tout Moscou en parlait, le public se précipitait au théâtre et assurait le succès du nouveau spectacle du chanteur lyrique. Le propriétaire du restaurant n’avait rien à craindre pour son établissement : tout dommage causé à ses biens devait être réparé selon un barème bien précis. Par exemple, briser un miroir vénitien à coup de bouteille coûtait cent roubles. Mieux encore : les atteintes physiques portées aux employés faisaient également l’objet d’amendes. Pour avoir badigeonné de moutarde le visage d’un serveur, il fallait se départir de cent vingt roubles.

Dans le restaurant avait été aménagée une loge pour l’empereur Nicolas II (1868-1918) et ses proches. Elle ne fut jamais occupée. En revanche, Grigori Raspoutine (1869-1916) et les écrivains Maxime Gorki (1868-1936) et Alexandre Kouprine (1870-1938) étaient des habitués.

L’établissement fut fermé après la Révolution de 1917. Le bâtiment qu’il occupait fut transformé en salle de cinéma, puis en salle de sport, puis en hôpital. En 1952 y furent ouverts l’hôtel Sovietski et le restaurant du même nom. Joseph Staline (1879-1953) aimait y banqueter avec ses amis. Le restaurant Yar reprit son nom d’origine dans les années 1990.

Il a depuis retrouvé sa magnificence d’antan : douze mètres de hauteur sous plafond, moulures, dorures à la feuille, lustre comme au théâtre Bolchoï et fontaine sous la véranda d’été.

À la carte du restaurant Yar aujourd’hui, des plats de cuisine russe et européenne : salade de corégone cru, macédoine de légumes selon la recette traditionnelle de Lucien Olivier (1838-1883), poêlon de crabe et d’esturgeon en sauce au fromage, pirojki. 

Metropole

Adresse : Téatralni proezd N°2 

Le restaurant Metropole ouvrit en 1905 dans l’hôtel du même nom qui se trouve en plein centre de Moscou. Le bâtiment qui abrite aujourd’hui encore les deux établissements avait été construit sur commande du millionnaire Savva Mamontov (1841-1918) .

L’hôtel et le restaurant dirigé par un chef français attirèrent rapidement des clients fortunés et en vue. Les cuisines étaient équipées selon le dernier cri de l’époque : on y trouvait des fours pour cuire des pains français, des biscuits et pirojki, ainsi que des réfrigérateurs avec de la glace. Des ascenseurs permettaient aux clients de monter et descendre sans se fatiguer. Ils s’émerveillaient de la somptuosité de la décoration intérieure : grand escalier d’honneur, verrières, vitraux et fontaine en marbre.

Ce fut entre ces murs qu’Igor Sévérianine (1887-1941) composa son poème Ouverture. Ananas dans du Champagne et que Sergueï Essénine (1895-1925) se déclara à la danseuse Isadora Duncan (1877-1927) ; puis, durant la seconde moitié du XXe siècle, que le violoncelliste Mstislav Rostropovitch (1927-2007) et la cantatrice Galina Vichnevskaïa (1926-2012) se rencontrèrent . Mais l’hôtel Métropole ne se résume pas à la richesse de ses décors et aux histoires d’amour qui s’y nouèrent.

Après la Révolution de 1917, plusieurs institutions gouvernementales et des fonctionnaires s’installèrent dans son bâtiment gravement endommagé par des bombardements. Une partie de l’hôtel fut transformée en appartements communautaires. Sur la scène du Métropole, Vladimir Lénine (1870-1924) et Léon Trotski (1879-1940) prononcèrent plusieurs discours. Le restaurant perdit de son lustre pendant plusieurs décennies mais continua de fonctionner.

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Depuis que l’établissement a retrouvé ses lettres de noblesse, chacun de ses hôtes peut déguster une cuisine russe et européenne raffinée tant lors d’un petit déjeuner que de grandes réceptions. On conseillera en particulier le sterlet fumé à chaud, la soupe de poisson et le coulibiac aux trois poissons.

Savoy

Adresse : rue Rojdestvenka N°3/6, bât. 1 

Un autre grand hôtel abrite un restaurant de renom : le Savoy. L’établissement se trouve également non loin du théâtre Bolchoï et fut construit en 1913. À son ouverture, l’hôtel portait le nom de Berlin et le restaurant, celui de Café Viennois. Le conflit avec les pays de la Triple- Alliance provoqua le changement de ces noms en Savoy.

L’hôtel et le restaurant furent longtemps fréquentés par la bohême moscovite : danseurs de ballet, journalistes et écrivains. Comme les clients de l’hôtel aujourd’hui, ils admiraient les fresques, les moulures, les miroirs de plafond et surtout la fontaine de marbre à trois vasques dont on doit l’esquisse à Mikhaïl Vroubel (1856-1910).

Les représentants de la jeunesse dorée venaient au Savoy boire du brandy ou du champagne Veuve Clicquot, déguster des plats de cuisine étrangère, écouter de la musique et danser.

Aujourd’hui, les clients du restaurant l’apprécient pour ses plats de fruits de mer : ceviche de saint-Jacques sauce framboise et truffe, pattes de crabe à la stracciatella, ravioli de truite et caviar rouge sauce bisque. 

TsDL (ЦДЛ, Центральный дом литераторов)

Adresse : rue Povarskaïa N°50/53, bât. 1

À peine les gastronomes franchissent-ils le seuil de ce musée-restaurant qu’ils plongent dans l’atmosphère aristocratique d’un hôtel particulier meublé de pièces du XIXe et du début du XXe siècle. Dans la salle dite de chêne, ils s’extasient devant l’immense vitrail et le grand lustre en cristal ; dans celle dite de la cheminée, il se réchauffent l’hiver près d’un feu allumé dans une cheminée du XIXe siècle.

Le restaurant ouvrit ses portes dans les années 1930, mais ne devint célèbre qu’une trentaine d’années plus tard quand de jeunes poètes venaient y déclamer leurs vers. Parmi eux, Andreï Voznessenski (1933-2010), Robert Rozdestvenski (1932-1994), Evgueni Evtouchenko (1932-2017) .  On peut encore voir aujourd’hui leurs dessins et leurs autographes accrochés aux murs de la salle « bigarée ».

Les gourmets apprécieront le sandre en gelée, la pomme glacée fourrée au pâté de pintade, la soupe de champignon et d’orge perlée, la salade chaude d’aubergine et de fromage, les ravioli de renne, la viande hachée à la pojarski aux pleurotes et pommes de terre. Et en dessert, les beignets au fromage du Kremlin et le gâteau Kievski avec sa glace aux noix.

Ouzbékistan

Adresse : Rue Neglinnaïa N°29, bât.5

Quels établissements de restauration n’occupèrent pas l’emplacement où se trouve actuellement le restaurant Ouzbékistan ? Une taverne (трактир / traktir), puis un café français ; après la Révolution de 1917, un mess d’officiers. Après la Grande Guerre patriotique, beaucoup de Républiques soviétiques ouvrirent dans la capitale des restaurants de cuisine traditionnelle. En 1951 vint le tour de l’Ouzbékistan.

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Jusqu’à la fin de la période soviétique, le restaurant Ouzbékistan jouit d’un très grand succès. Acteurs, chanteurs et poètes aimaient venir y manger. Il était difficile pour les Moscovites lambda de pouvoir y trouver une table et ils devaient se contenter des feuilletés à la viande frits (чебуреки / tchébouriéki) du traiteur alimenté par les cuisines du restaurant.

En 1997, le restaurant fut rénové. Il fait depuis plus typique qu’à l’époque soviétique. Ses hôtes peuvent se prélasser sur de confortables divans, admirer les meubles sculptés et les tapis faits mains. À la carte, des plats de cuisine ouzbèke, caucasienne et asiatique : riz pilaf, brochettes de viande, saucisson de cheval, laghman, pain plat, feuilletés à la viande, samsa, sans oublier le thé ouzbek servi dans les coupelles traditionnelles et les gâteaux orientaux. Un orchestre et des danseuses du ventre se produisent régulièrement dans cet établissement.

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