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En URSS, les poètes soviétiques ont conquis le cœur du public en insufflant de l'espoir et du changement. Ils étaient « rock 'n' roll » à leur manière, sur un mode intellectuel.
Poètes du dégel
À la fin des années 1950-1960, la poésie était extrêmement populaire parmi la jeunesse soviétique. Le dégel de Khrouchtchev a apporté une bouffée d’air frais après le régime totalitaire de Staline. Les lectures de poésie étaient l'un des rares rayons de lumière que l’on pouvait entrevoir derrière le rideau de fer étouffant. Ce fut une période sans précédent, marquée par de grandes promesses et de grands espoirs, qui ont pris la place des horreurs de la Seconde Guerre mondiale et des débuts du communisme.
La génération qui a atteint la majorité au début des années 60 était en quête de nouveaux défis, de nouvelles opportunités et de nouvelles raisons d’être.
Les choses ont commencé à changer à la fin des années 1950, après que Nikita Khrouchtchev a prononcé son discours secret au XXe congrès du Parti communiste (durant lequel il a critiqué les crimes de Staline et le culte de la personnalité).
La poésie, comme toute forme d'art, est devenue un puissant moyen d'expression pour les artistes et leurs auditeurs.
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Leurs recueils de poèmes se vendaient à plusieurs millions d'exemplaires. À l’instar des vedettes de la chanson à notre époque, les poètes étaient si populaires qu'ils attiraient d’énormes foules d'admirateurs qui se rassemblaient dans des stades de football bondés.
Poésie de la protestation
Evgueni Evtouchenko (1933-2017) a atteint un statut presque divin parmi les poètes et est devenu la figure de proue de la soi-disant « génération des années soixante » en Union soviétique. Il a fait des vagues en 1961 lorsque son poème Babi Yar a vu le jour. Évoquant l'un des pires massacres de la Seconde Guerre mondiale - le massacre de juifs à Kiev par les nazis - le poème a été traduit en 72 langues, ce qui a rendu Evtouchenko mondialement connu. Le poème a inspiré Dmitri Chostakovitch à créer sa Treizième symphonie.
Le poème était une protestation tonitruante contre l'antisémitisme soutenu par l'État et le refus de l'Union soviétique de rendre hommage aux milliers de victimes de la tuerie de masse de Babi Yar, principalement des juifs, ainsi que des prisonniers de guerre soviétiques, des communistes et des tsiganes. Plus de 33 000 juifs ont été assassinés à Babi Yar, un ravin de Kiev, les 29 et 30 septembre 1941.
Non, Babi Yar n’a pas de monument.
Le bord du ravin, en dalle grossière.
L’effroi me prend.
J’ai l’âge en ce moment
Du peuple juif.
Oui, je suis millénaire.
Traduit par Jacques Burko
Voici ce que Evtouchenko écrit dans son poème révolutionnaire.
Dans mon sang, il n’y a pas de goutte juive,
Mais les antisémites, d’une haine obtuse
comme si j’étais un Juif, me poursuivent
Et je suis donc un véritable Russe !
Traduit par Jacques Burko
Son appel très émouvant a retenti hors des frontières de son pays natal.
La poésie était, entre autres, une forme de protestation politique et de critique ouverte pour Evtouchenko et les autres poètes.
Le jeune poète a fait grincer des dents en publiant son œuvre suivante, très audacieuse. Les héritiers de Staline dépeignait l’ombre obsédante du dictateur qui, selon Evtouchenko, persistait encore sur l’Union soviétique.
J'ai l'impression qu'il y a un téléphone dans le cercueil.
Staline donne à nouveau ses instructions.
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Le poème a été publié dans le quotidien soviétique Pravda en 1962. Les gens le lisaient, et étaient incapables d'en croire leurs yeux ! Il a été répété maintes et maintes fois par des milliers de personnes, devenant finalement une sorte d’hymne à la liberté.
Evtouchenko était un influenceur et une véritable superstar, selon les notions actuelles. Les foules venaient l’écouter lire ses poèmes en direct pour une raison simple. Ses paroles allaient droit au cœur (à l'époque de la censure d'État, Evtouchenko utilisait habilement un langage allégorique pour faire passer son message). Il était convaincant et charismatique. À l’apogée de sa popularité, Evtouchenko a attiré des dizaines de milliers de personnes qui se rassemblaient dans des stades de football bondés.
Il n’était pas le seul poète à être aussi éloquent, mais le seul à être reconnu à l’étranger. Evtouchenko a eu la chance de rencontrer le 37e président des États-Unis, Richard Nixon, tandis que Pablo Picasso et Marc Chagall ont offert leurs tableaux au poète soviétique. En 1963, Evtouchenko a été nominé pour le prix Nobel de littérature.
Poésie populaire
Dans les années soixante, la poésie possédait clairement une dimension thérapeutique en Union soviétique. Robert Rojdestvenski (1932-1994) était l'un des poètes russes les plus expressifs et les plus influents de sa génération.
Beaucoup de ses poèmes ont été mis en musique, donnant naissance à des chansons populaires. Son recueil le plus connu, intitulé Requiem, était dédié à ceux qui sont morts pendant la Seconde Guerre mondiale.
Peuple !
Tant que bat ton cœur -
Souviens-toi !
Le prix payé
Pour le bonheur -
Souviens-toi s’il te plaît !
Comme ses amis poètes, Rojdestvenski a fait des lectures de poésie devant des foules impressionnantes. Il avait des rêves ambitieux, un grand talent et un charisme indéniables ; des milliers de fans affluaient vers le stade de football Loujniki à Moscou pour écouter l’auteur du Requiem.
Les poètes se fixaient l’objectif de faire bouger les choses et d’éveiller les consciences, leurs rêves et idées entrant en résonance avec la génération d'après-guerre.
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Les soirées poétiques au Polytech de Moscou, où Robert Rojdestvenski partageait la scène avec Evgueni Evtouchenko, Bella Akhmadoulina, Andreï Voznessenski et Boulat Okoudjava, sont devenues le symbole du dégel, avec sa liberté de parole et d’expression tant attendue. Marlen Khoutsiev a montré ces poètes soviétiques émergents dans son film phare, La Porte d’Ilitch (1962). Tous faisaient partie d'un groupe qui organisait des lectures publiques à côté de la statue de Vladimir Maïakovski à Moscou. Leurs poèmes étaient destinés à être lus à haute voix.
L'un des poètes soviétiques les moins orthodoxes, Andreï Voznessenski (1933-2010) remplissait lui aussi les stades de football. Ses poèmes étaient à la fois profondément personnels, novateurs et provocateurs. En 1963, Khrouchtchev (qui détestait l'art d'avant-garde) a lancé des propos acerbes à l'encontre du poète de 30 ans. « Regardez ce nouveau Pasternak ! » s’est-il emporté, demandant à Voznessenski de prendre son passeport et de « partir ». Heureusement, cela n'est jamais arrivé.
Au cours des années 1960, Voznessenski a été autorisé à voyager en Europe et aux États-Unis. Le sénateur américain Robert F. Kennedy en personne a traduit certains de ses poèmes, tandis que le poète soviétique a dédié ses œuvres à l’une des plus grandes icônes de style du XXe siècle (et Première dame des États-Unis), Jackie Kennedy.
Poésie de l'empathie
Bella Akhmadoulina (que Joseph Brodsky a décrite comme une héritière de la tradition de Lermontov et Pasternak dans la poésie russe) et Andreï Voznessenski (salué par Robert Lowell comme « l'un des plus grands poètes vivants dans toutes les langues ») ont également attiré des foules de jeunes admirateurs.
La première épouse d'Evtouchenko, Bella Akhmadoulina (1937-2010), était la seule femme du « groupe des quatre ».
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Charmante, sensuelle et sans chichis, elle illuminait les foules avec ses poèmes d'amour sincères et sa voix inimitable.
Bien que ses poèmes fussent apolitiques, Bella prêtait toujours main-forte à ceux qui faisaient face à des persécutions. Elle a notamment publié une lettre ouverte en faveur du physicien dissident Andreï Sakharov lorsqu'il a été envoyé en exil par les autorités soviétiques.
En fait, les poètes soviétiques étaient des militants des droits de l'homme avant l’heure. Aussi incroyable que cela puisse paraître, des milliers de personnes se rendaient dans les stades sportifs pour des lectures de poésie parce qu'elles voulaient entendre un langage de vérité. La poésie a prospéré en Union soviétique dans les années 1960. Elle a apporté une élévation morale à des millions de personnes, leur donnant de la force, du courage et de l'espoir (même si la plupart de ces espoirs se sont finalement avérés vains).
Et bien que Khrouchtchev ait critiqué Staline, sur le long terme, le stalinisme s'est avéré être la seule méthode de gouvernement qu'il connaissait. Mais c’est une toute autre histoire…
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