Samizdat, quand les livres contournaient la censure soviétique

Nkrita (CC BY-SA 4.0)
L’Union soviétique était le pays où on lisait le plus de livres. Parfois achetés librement en magasin, ils étaient également édités et diffusés en cachette, au risque de perdre sa liberté.

Qu’y a-t-il de commun entre Le Docteur Jivago de Boris Pasternak et L’Archipel du Goulag d’Alexandre Soljenitsyne ? Aujourd’hui, les deux livres figurent sur le top 20 des œuvres les plus importantes du XXe siècle, ils sont tirés à des millions d’exemplaires et sont étudiés dans les universités des cinq continents.

« Le ministère de la Vérité »

Une censure sévère a toujours existé en URSS et les rares assouplissements du régime, par exemple durant la Seconde Guerre mondiale, n’ont jamais influé sur la situation en général. Pourtant, si sous Staline l’idée même de diffuser des livres et des revues illégales était à prohiber, pendant le Dégel et le développement du mouvement des dissidents, le besoin d’une couverture réaliste des évènements et l’intérêt pour une littérature libre de toute censure ont fortement augmenté.

La censure en Union soviétique était exercée par le Département de la littérature et des éditions (Glavlit) qui examinaient toutes les publications dans le pays et contrôlaient les livres étrangers. Tout ce qui, selon les employés de cette structure, dénigrait le régime soviétique ou semblait être de la propagande antisoviétique était interdit à la publication.

Papier carbone

L’intérêt pour les œuvres interdites et la possibilité de les lire en recevant un exemplaire de la part de l’auteur ou en faisant entrer le livre clandestinement a donné une impulsion au développement du samizdat, qui est devenu extrêmement populaire.

Crédit : http://200.polymus.ru / Musée polytechnique de MoscouCrédit : http://200.polymus.ru / Musée polytechnique de Moscou

« Papa et ses amis diffusaient du samizdat sans doute en provenance de l’étranger, se rappelle Ekaterina Polechtchouk. C’est ainsi que nous avons lu Boukovski, Solonevitch ou Voïnovitch. Mon père s’occupait de la reliure et je me souviens encore de l’odeur de la colle qu’il faisait cuire. Papa serrait les feuilles tapées à la machine ou polycopiées, les enduisait de colle et les insérait quelques instants plus tard dans la reliure qu’il confectionnait lui-même. Voilà, le livre était prêt ».

Le roman de Vladimir Voïnovitch Les Aventures singulières du soldat Ivan Tchonkine n’a été officiellement publié qu’en 1988, quand de nombreux Soviétiques l’avaient déjà lu. « Un jour, mon père prit les pages de ce livre, les rangea dans un sac et les emmena avec lui au bureau, a poursuivi Ekaterina Polechtchouk. Le soir, papa fut abordé par un policier qui le pria de présenter ses papiers. Il n’avait pas sa carte d’identité sur lui, ce qui lui valut une visite au commissariat. Le policer fouilla son sac et ne laissa pas mon père repartir. Papa était assis sur un banc à faire des suppositions sur la peine dont il pourrait écoper pour diffusion de littérature interdite. Soudain il aperçut que le policier ne détachait pas le regard des feuilles et que ses yeux glissaient très vite sur les lignes. L’homme a lu toute la nuit et à l’aube, il soupira, rangea soigneusement les pages dans le sac, serra la main à mon père, lui souhaita succès et lui conseilla d’être plus prudent la prochaine fois ».

Pour aller plus vite, les œuvres étaient tapées à la machine ou recopiées à la main avec du papier carbone. Avec un stylo bille et du papier de journal, il était possible de réaliser trois copies à la main et d’en taper cinq à la machine à écrire. Les années 1970 ont vu apparaître la polycopie et la photocopie. Pour ce qui est de la musique, elle était taillée avec l’aiguille d’un phonographe artisanal sur du papier pour radiographie puis enregistrée et réenregistrée sur magnétophone tant qu’elle était audible.

Propagande antisoviétique

Même le rapport de Nikita Khrouchtchev au XXe congrès du PCUS – qui a marqué la fin du culte de Staline et le début du Dégel – a été publié dans son intégralité et largement diffusé par le biais de samizdat, car les journaux n’en publiaient que des extraits. Les dissidents qui essayaient d’attirer l’attention sur la situation politique dans le pays diffusaient des revues en samizdat. La plus connue, Chronique des évènements en cours, a paru (avec certaines interruptions) pendant quinze ans pendant lesquels plus de la moitié des rédacteurs ont été jugés et déportés. Un certain succès revenait également au tamizdat (compression du mot « tam », là-bas, et « izdat », éditer, qui rappelle le mot samizdat): quand des œuvres qu’on savait d’avance non publiables étaient transférées à l’étranger où elles étaient éditées avant de retourner clandestinement dans le pays.

Iouli Daniel et Andreï Siniavski. Crédit : Image d'archivesIouli Daniel et Andreï Siniavski. Crédit : Image d'archives

L’un des procès les plus retentissants fut le jugement des écrivains Andreï Siniavski et Iouli Daniel dont les nouvelles ont été publiées à l’étranger. Selon l’article 70 du Code pénal de l’URSS – qui figurait souvent dans les verdicts pour diffusion d’œuvres de samizdat – les deux écrivains ont été condamnés « pour propagande antisoviétique », mais ont tous deux plaidé non coupable. Cet article, tout comme l’article № 190–1 (diffusion d’idées mensongères dénigrant le régime soviétique) a été formulé comme chef d’accusation contre plus de 8 000 personnes de 1956 à 1987.

La politique mais également la culture

Grâce au samizdat, les lecteurs soviétiques avaient accès aux derniers romans et nouvelles, pouvaient s’informer des procès politiques et faire connaissance pour la première fois avec les poètes de l’Âge d'argent qui n’étaient pas édités en URSS. Il était impossible d’acheter certains livres, ils n’étaient pas réédités et n’étaient pas vendus en librairie.

« On tapait à la machine les vers de Tsvetaïeva, on les reliait et on les prêtait à des amis », se souvient Mikhaïl Serioguine. Le samizdat ne diffusait pas uniquement la parole, mais également la musique. « On tapait à la machine les portées en y plaçant à la main les notes et les symboles graphiques, avant de les relier », a-t-il fait remarquer. Ainsi, la population avait accès aux vers et aux chansons de Boulat Okoudjava ou Iouri Vizbor.

Succès de samizdat

Dans les années 1970 et 1980, le samizdat n’était plus uniquement l’apanage des dissidents : il était diffusé parmi les étudiants et les amateurs de littérature et de musique. Boulgakov, Tolkien, Akhmatova et Vyssotski ne sont que quelques noms sur la longue liste des œuvres qui trouvèrent leur public grâce aux efforts des éditeurs clandestins.

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