Quand le «style russe» n’est plus synonyme de déballage de luxe

Culture
MARIA TCHOBANOV
Nous assistons aujourd’hui en Russie à l'avènement d'une nouvelle vague de stylistes, une jeune génération ayant grandi dans un pays libre. Le correspondant de Russia Beyond à Paris a rencontré à l’occasion de la Fashion Week quelques créateurs moscovites ayant participé au programme Mode: Moscou Showroom. Les chemins qui les ont menés dans l’univers de la mode sont très différents, autant que leurs approches et philosophies.

Bohème chic de la Maison Esve

Les jeunes fondatrices de la marque Maison Esve, Elysa et Svetlana, préfèrent rester en retrait : elles ont crypté leurs prénoms dans l’appellation de la marque, mais ne dévoilent pas leur identité au grand public pour conserver le focus sur leurs créations.

Elysa, directrice de création, a fait ses études au Central Saint Martins College of Art and Design à Londres. Elle a enseigné par la suite à l’École supérieure britannique de design à Moscou. C’est son élève Svetlana qui a eu l’idée de créer en 2015 sa propre marque de vêtements. 

Depuis sa toute première présentation, la Maison Esve a su trouver son public unique et se faire remarquer par le monde de la mode. Spectaculaires, à la manière d'une société bohémienne, les articles, souvent en tissus translucides, sont généreusement décorés de broderies, franges, dentelles, fleurs et perles. Une des cartes de visite de la marque sont des pochettes dans le style des années 1920, décorées de franges en soie, de plumes d’autruche aux couleurs vives et de chaînes en métal.

« Nous voulons inciter les jeunes femmes à chercher plus d’occasions d’enfiler de beaux vêtements, de se sentir chaque jour comme des princesses », expliquent les créatrices.

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Chaque collection est élaborée autour d’une histoire particulière, un concept précis. Les points de départ peuvent ainsi être le ballet, le cinéma, les tendances de la mode lors d’épisodes marquants de l’histoire, mais toujours dans le but de valoriser la beauté du corps féminin.

La collection, présentée à Paris a été inspirée par l'esthétique antique de l'Hellas. Elle comprenait des tuniques translucides en mousseline de soie, des robes d'été multicouche décorées de fils de perles et de plumes, ainsi que des robes-nuisettes avec des empiècements en dentelle de couleurs gris clair, nacre, crème et rose poudré. Cette collection très romantique et féminine est accompagnée de sacs à main éclatants en plumes.

Les tissus sont achetés en Italie, en Inde, en France, en Suisse ou en Angleterre, en fonction des collections. Dans la confection des articles, assurée par 10 couturières, le travail manuel représente 50%, le prix moyen d'une robe est de 1000 euros. À Paris, on trouve des produits de la marque dans la boutique Les Suites, avec laquelle les designers travaillent depuis deux ans. Apparemment, les Parisiens sont déjà tombés amoureux des créations d’Elysa et Svetlana, puisque la collection est vendue à 70% avant même les soldes. Même succès dans une boutique à Monaco, fréquentée par une clientèle très internationale.

Un clin d’œil japonais du corbeau en origami

Contrairement à nos interlocutrices précédentes, les fondateurs de la marque White Crow, au logo en forme de corbeau en origami, Anton Maetny et Nata Ly, n’ont pas suivi d’études spécialisées. L’idée de se lancer dans la création de vêtements est venue au premier après un voyage en Inde. Armé d’une expérience acquise en travaillant dans des boutiques de marques et de deux cents euros de capital initial, Anton a commencé par produite des t-shirts et des sweat-shirts imprimés…sur une planche à repasser. La rencontre avec sa future épouse et partenaire Nata fut décisive pour la création de la première collection et de White Crow en 2014.

L’idée fondatrice : du streetwear original, mais pratique et durable, et pour la plupart des modèles unisexe. « Notre client est un samouraï urbain, il devrait être à l'aise toute la journée dans nos vêtements, peu importe les endroits et les gens qu’il fréquente », affirme Anton.

L’ADN de la marque est le minimalisme agrémenté d’un clin d’œil à la culture vestimentaire traditionnelle japonaise, la coupe postmoderne, l’esthétique de l'uniforme. White Crow crée des vêtements faciles à porter aux prix démocratiques (de 30 à 300 euros) : robes-t-shirts, jupes-tabliers, sweats, hoodies, t-shirts imprimés, pantalons indestructibles de coupe inhabituelle, combinaisons, manteaux et parkas.

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Aujourd’hui, White Crow a son propre atelier à Moscou, qui produit environ 500 articles par mois.  L’assortiment est actualisé tous les deux mois et vendu dans la boutique de la marque, dans un quartier central de la capitale russe.

Les contes de fées de Lesia

Lesia Paramonova, plus connue sous le nom de Les’, présente chaque collection comme une nouvelle histoire magique, avec ses personnages, son atmosphère et son scénario incarnés dans les dessins sur les tissus et les coupes.

Depuis son enfance, elle écrivait des contes de fées et voulait devenir écrivain. Adolescente, elle a cependant compris qu’elle se consacrerait à la création de vêtements. Aujourd’hui, ses deux passions ont donné vie à la signature très particulière de ses collections, qui ont chacune un message visuel propre et puissant.

Celle présentée à Paris, appelée FLAWS (« défauts, imperfections » en français) est une histoire sur la destruction comme moyen de transformation vers une nouvelle réalité.

Lesia s'est inspiré des images de murs dégradés sous l'influence du temps et de l'activité humaine pour créer les dessins des tissus. Des couches de peinture écaillée, des fissures et des taches de moisissure se sont transformées en un monde magique avec des personnages fantastiques, imprimés sur de la soie jacquard, de la soie sauvage et du coton. Lesia ne travaille qu’avec des étoffes imprimées imaginées par elle-même.

Pour la collection précédente, elle a fait tisser des tapisseries dans une fabrique à gobelins de St-Pétersbourg, qui existe depuis 1812 et a été le fournisseur de la cour impériale russe. Le designer ne dispose pas de son propre atelier, et confie donc, en fonction des taches et compétences nécessaires, les commandes à des artisans individuels locaux, qui travaillent, de manière générale, à domicile.

Lesia formule son approche comme la Slow Fashion. Elle n’adhère pas aux normes habituelles des designers et commerciaux, et ne produit qu’une collection par an. Ce ne sont pas les délais qui comptent, mais les idées et la perfection, et les clients acceptent de patienter, selon l’artiste.

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« J'aime beaucoup les robes, les coupes romantiques et historiques, de taille unique. Mes vêtements font revenir en enfance, parce qu’il s'agit de la magie. Chaque femme adulte a une petite fille en elle qui veut devenir une princesse. Je veux qu’on admire mes vêtements, qu’on ait un plaisir esthétique, comme lors d'une représentation au théâtre. Mes collections sont hors des tendances et du temps », explique Lesia.

Les articles de la marque Les’ sont vendus dans de grands magasins ou enseignes multimarques, et via une boutique en ligne. Environ 30% des commandes viennent de l’étranger. Comme l’a précisé la créatrice, ce sont souvent des femmes russes qui sont parties vivre ou travailler dans d’autres pays, qui deviennent de fidèles clientes. « Ce sont mes ambassadrices dans le monde entier », se réjouit Lesia Paramonova.

Culottes en silicone et esthétique de la contestation de Subterranei

Après des cursus à Londres et Paris, Alina Tsyganova, 22 ans, est en train de poursuivre ses études de design de mode à New York, tout en créant depuis deux ans et demi ses propres collections de vêtements sous la marque Subterranei (« souterraine » en français). Le showroom Mode: Moscou a présenté sa cinquième collection. Des culottes et drop-tops en silicone, une mini-jupe en plastique transparent, des bustiers minimalistes, tant d’articles ne correspondant clairement pas à la mode de masse.

La collection renvoie au film Matrix Revolutions et rend hommage à Keith Flint, chanteur et danseur du groupe électronique britannique The Prodigy. Le noir mat avec des éclats de néon prévaut dans la palette. Cette dernière est cependant diluée avec des couleurs bordeaux et blanc crème. Les articles ont des silhouettes strictes, propres et angulaires. Certaines pièces sont conçues pour choquer plutôt qu’habiller.

En créant ses collections, Alina essai d’évoquer les thèmes qui la touchent personnellement. Elle aime l'esthétique des clubs de nuits underground et du street art. « Aujourd’hui à Moscou de nombreux clubs ferment leurs portes, ils subissent des descentes de police et les jeunes n’ont plus de lieux pour se réunir et passer le temps et écouter la musique qu’ils aiment. J'ai dédié cette collection à la contestation et à la nostalgie pour les années 90, à la culture des night-clubs. D’ailleurs, les images du dernier Lookbook ont été fait dans un club abandonné à Moscou », avoue Alina.

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Elle est consciente qu’il n’existe pas encore de marché pour ce style de vêtements à Moscou, mais se promet de l’introduire, malgré les difficultés comme l’absence de base technique et de matériels adaptés (pour sa dernière collection, Alina a apporté du latex de New York dans ses propres valises).

La cliente de Subterranei est une femme de 18 à 35 ans, érudite, une résidente de métropole moderne, qui sort beaucoup et s’intéresse à la mode, à l’art, à la musique et à l’histoire.

Discothèque - couture par Arut

La collection de la marque ARUT MSCW est une fête continue où le concepteur encourage tout le monde à briller comme une boule disco. C’est le street chic dans toutes ses manifestations.

Arut Arustamyan a créé sa propre marque indépendante de vêtements pour hommes et femmes en 2016 après avoir terminé des études spécialisées en Europe : Saint Martins et Instituto Marangoni à Londres, Polimoda à Florence et enfin Scuola Politecnica di Design à Milan. « J'ai donné mon nom à la marque parce qu’elle reflète ma perception personnelle du beau. J’aime beaucoup Moscou avec sa nouvelle culture qui m’inspire. J'appelle mon style disco couture ou élégance disco, car c’est évident, qu’on ne va pas chercher du pain habillé de la sorte. Mes vêtements sont conçus pour les événements festifs, les soirées, mais le plus important, c’est la célébration de la femme. Elles sont ma source d’inspiration et je veux les encadrer comme un diamant précieux », avoue Arut. 

Il précise néanmoins qu’il est adepte de l’extravagance modérée, sans excès. La dernière collection est inspirée par l’Italie des années 50, mais on peut y voir également l’ambiance son et lumière des discothèques des années 80 et 90. Il s’agit aussi d’un hommage à Donna Summer. Arut puise en réalité souvent ses idées dans la musique.

« Ma cliente est une muse, elle a un don d’inspirer, c’est une femme dans le sens le plus noble du mot. Elle est sure d’elle, parce que ce n’est pas évident d’assumer ce genre de vêtements. Elle doit être à l’aise, sans peur ni hésitation, et avoir du gout », explique le styliste.

La marque produit deux collections par an, de 30 à 60 pièces chacune. Il a son propre showroom à Moscou, mais les vêtements sont également vendus dans des espaces multimarques dans d’autres villes. Ses robes de soirée extravagantes à silhouettes sculpturales ont trouvé leur public dans des pays arabes, où Arut livre régulièrement des commandes.

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Dvamiatcha - back to the USSR

Les premières chaussures de sport en toile ont fait leur apparition en Union soviétique dans les années 60, conséquence heureuse du passage à Moscou, en 1957 à l’occasion le VIe Festival mondial de la jeunesse et des étudiants, des délégations de 131 pays. C’est à ce moment que les Soviétiques ont découvert un nouveau type de chaussures, pratiques et légères. Quelque temps plus tard, l'URSS commençait à produire ses propres modèles, appelés « kedy » (« baskets ») et vendus au prix d’un rouble. Mais les plus recherchées ont été les modèles fabriqués en Chine sous la marque Dvamiatcha (« Deuxballons »), dans le cadre d’une coopération, qui coutaient quatre fois plus cher

Avec l’arrivée des baskets dans les années 80 et la pénétration sur le marché russe des marchandises occidentales, l’ère des kedy s’est éteinte progressivement et leur production a été arrêtée. 

En 2016, l'entrepreneur Evgeny Raikov a toutefois décidé de parier sur un produit avec une histoire et un message patriotique et de faire renaitre la marque Dvamiatcha de ses cendres. Il a pour cela acheté des modèles d'origine, datant des années 1965 à 1976 sur le site de petites annonces Avito et a fait copier les patrons par un atelier de chaussures orthopédiques à Moscou.

Un investisseur a été trouvé et la production a été lancée en Chine selon les mêmes technologies qu'à l'époque soviétique, dans la même usine et avec le même équipement. Pour le confort des consommateurs, certains détails ont été améliorés, particulièrement au niveau des semelles, pour un amorti optimal.

Tous les modèles historiques, au nombre de huit, ont été décortiqués, analysés et recréés à l’identique, mais avec un plus large choix de coloris. La technologie de vulcanisation à chaud permet de se passer de colle et de fils, assurant un confort maximal et la durabilité de ces chaussures, héritières de l’esthétique soviétique.

Au prix de 75 euros la paire, les chaussures Dvamiatcha commencent à se faire une place sur le marché : au Japon, elles sont vendues avec succès dans 5 villes. Les détaillants européens commencent à s’y intéresser également, selon les représentants de la marque.

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Outlaw - le style de la liberté

Derrière ce nom explicite se trouvent deux jeunes designers, Maxim Bashkaev et Dilyara Minrakhmanova, qui ont créé en 2014 leur marque de vêtements de ville, mais aussi toute une philosophie, réunissant des personnes qu’ils qualifient de hors-la-loi, créatives et intelligentes, pour qui la loi principale est l’amour et l’égalité.

La marque est devenue célèbre après avoir remporté le Fashion Film Award organisé par Nick Knight, le célèbre photographe de mode britannique, qui a produit par la suite le deuxième court métrage d’Outlaw. Une autre étape médiatisée a été une très fructueuse collaboration avec Puma-select ayant permis la création de collections d’été et d’hiver vendues sur le marché international. Certains articles conçus par les designers russes pour Puma ont été vendus en quelques jours après le lancement.

La marque ne produit pas de collections régulières, elle renouvelle ses modèles quatre fois par an. Sa spécialisation sont les manteaux, parkas et bombers de coupes complexes et de fabrication manuelle. L’article de référence est le gilet « à la pare-balle », pour homme et les gilets-corset pour femmes. À la jonction du décontracté et de l’avant-garde, les articles Outlaw ne sont toutefois pas toujours vraiment pratiques, comme ce blouson aviateur se composant uniquement de manches. Bien qu'il existe des t-shirts et des suites basiques, la marque ne vise pas la production de masse. Certains articles sont reproduits en 5 ou 10 exemplaires, car le prix est élevé, 1 200 dollars en moyenne.

Actuellement Outlaw entre dans la trajectoire des nouvelles technologies et intègre des puces dans tous ses produits. À l'aide d'une application spéciale, ces puces doivent permettre d’authentifier les articles, confirmer l'affiliation et fournir des services supplémentaires au client, comme l’accès à des offres spéciales de la marque ou l’envoie d’invitations à des événements via le compte Facebook du client.

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