Comment les Russes ont-ils choisi les prénoms de leurs enfants au cours de l’histoire?

Russia Beyond (Photo: Sergueï Fadeïtchev/TASS; Legion Media)
Au gré des siècles, la tradition et la mode pour choisir le prénom d'un nouveau-né ont considérablement changé. Voyons comment les Russes ont tranché la question au fil du temps.

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Il existe une blague courante en Russie à propos d'un enfant portant un prénom traditionnel, comme Ivan, mais qui est le mouton noir à l'école. De nos jours, tous ses camarades de classe portent des prénoms sonnant « exotiques » aux oreilles des Russes, comme Mark, Platon et Miroslav. De même, une fille portant le nom autrefois populaire d'Olga est aujourd'hui perdue parmi les Orora, Atena et Mia, qui ne sont pas du tout des prénoms russes.

De plus en plus de parents russes préfèrent en effet des prénoms occidentaux, comme Simon ou Olivia. D'un autre côté, il y a aussi une tendance à donner à son enfant un nom slave ancien, comme Sviatogor ou Fevronia. Avec la mondialisation et l'intérêt croissant pour le passé historique de la Russie, l’on peut par conséquent désormais trouver dans la même classe un mélange d'enfants portant des prénoms de héros populaires slaves et de stars d'Hollywood.

Bien sûr, les choses étaient différentes dans le passé. Comment les Russes choisissaient-ils les prénoms de leurs enfants il y a des décennies et des siècles ?

L'influence de la religion

L'une des plus anciennes icônes de Russie, représentant les saints Boris et Gleb, trouvée à Novgorod, mais probablement réalisée à Tver au XIVe siècle

Pendant des siècles, les Russes ont eu l'habitude de porter deux prénoms. L'un était donné à la naissance, et l'autre au moment du baptême dans l'orthodoxie. Le premier était le prénom officiel – celui que la personne portait dans la vie et dans les documents officiels. Le second, celui du baptême, était plus intime, une sorte de prénom secret connu seulement de Dieu. C'est par ce nom que Dieu « communiquait » avec l’individu pendant la prière et la vie d'Église.

Dans l'ancienne Russie, les gens ne célébraient par ailleurs pas les anniversaires. Au contraire, ils célébraient la fête dite du prénom, consacrée à leur saint patron. Un nom de saint pouvait éventuellement être célébré plusieurs fois par an.

La règle principale pour choisir un prénom était de regarder le calendrier de l'Église orthodoxe et de voir quel saint était célébré à une date donnée. L’on considérait comme un signe de piété le fait d'appeler un enfant par le prénom d’un saint, car l’on croyait qu'il devenait son saint patron.

Le tsar Michel (Mikhaïl) Ier, premier de la dynastie Romanov

Parmi l'aristocratie, il était courant d'utiliser les noms de famille comme prénom séculier. Cette règle a fonctionné pour la dynastie des Riourikides au Moyen Âge, ainsi que pour les premiers Romanov à la fin du XVIe siècle. Avant le règne de Pierre le Grand (et son adoption des coutumes et manières européennes), les prénoms séculiers et les prénoms d'Église étaient fréquemment utilisés, notamment parce que l'Église était chargée de l'enregistrement des naissances et des décès.

« Dans les sources historiques, l'utilisation de deux prénoms chrétiens apparaît non seulement chez les membres de l'aristocratie, mais aussi chez les clercs moins nobles, voire de basse naissance, les marchands, les artisans, les paysans et les serfs, les veuves et les jeunes filles, les jeunes enfants et les personnes âgées », ont écrit les chercheurs Anna Litvina et Fiodor Ouspenski dans leur étude sur la tradition des doubles prénoms chrétiens russes.

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Engouement pour les prénoms européens

Pierre Ier avec sa femme Catherine, ses trois filles Anne, Élisabeth (la future impératrice Élisabeth Ire) et Nathalie, et son petit-fils Pierre (le futur Pierre II)

Pierre le Grand a transformé la tradition du double prénom, et a lancé un plus large choix, y compris des prénoms de style européen. L'un des exemples les plus connus est celui des fils de son ami le plus proche, Alexandre Menchikov, qui se sont appelés Piotr-Lucas et Pavel-Samson.

Toutefois, à partir de la fin du XVIIe siècle, cette tradition est devenue moins courante et, à compter du tsar Alexis (Alexeï en russe) et de Pierre (Piotr) le Grand, les souverains russes n'ont plus utilisé leur second prénom. Dans le même temps, un grand nombre d'étrangers sont venus en Russie et ont été baptisés dans le christianisme orthodoxe, prenant de nouveaux prénoms, parfois peu communs.

Durant une cérémonie de baptême en Russie

Le prénom de naissance de l'épouse de Pierre le Grand, l'impératrice Catherine Ire (Ekaterina), était Marthe (Marta) Skavronskaïa. Catherine II est quant à elle née sous le nom de Sophie (Sofia). À la même époque, Pierre a appelé ses filles Élisabeth (Elizaveta) et Anne (Anna), des prénoms qui n'étaient pas utilisés auparavant dans la dynastie Romanov (et qui n'étaient pas très connus en Russie). Cependant, lorsque ces femmes sont montées sur le trône, ils sont devenus populaires, et le sont toujours.

Les anciens prénoms, comme Ivan et Vassili, qui étaient courants chez les tsars, n'étaient plus en vogue au sein de la famille régnante Romanov, et à partir du XVIIIe siècle, il y a eu trois Piotr (Pierre), trois Pavel (Paul), puis trois Alexander (Alexandre) et deux Nikolaï (Nicolas) sur le trône. Ces prénoms ont fini par se répandre parmi les gens ordinaires.

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Le point de vue soviétique

Clara Zetkin et Rosa Luxemburg en 1910

La révolution de 1917 a bouleversé le pays, et les changements ont également touché les traditions et les tendances en matière de choix de prénoms. Dans le cadre de la campagne antireligieuse soviétique, ils n'étaient plus liés au calendrier de l'Église, bien que certains croyants aient continué à le faire secrètement sans célébrer ouvertement la date du prénom religieux.

Des prénoms sont en outre apparus pour mieux s'adapter à la nouvelle culture soviétique. Tout d'abord, le nombre de Vladimir (nommés d'après Vladimir Lénine, le leader révolutionnaire) a augmenté de manière significative, et de 1932 à 1950, Vladimir figurait parmi les noms masculins les plus populaires. Dans le même temps, certaines modifications de « Vladimir Lénine » sont apparues. Des enfants s'appelaient en effet Vilen (utilisant les initiales V. I. Lénine), Vladlen (Vladlena au féminin) et Ninel (Lénine orthographié à l'envers).

Il existe également toute une série d'autres noms révolutionnaires, certains assez créatifs mais d'autres plutôt bizarres. Par exemple, il y a eu le prénom rare mais très soviétique Dazdraperma, une forme abrégée de « Da Zdravstvouïèt Pervoïé Maïa » (« Gloire au Premier Mai », la Fête du Travail). Stalik, Staliv et Stalen ont été des prénoms créés en s’inspirant de « Staline », tandis que Mels l’a été à partir des premières lettres de Marx, Engels, Lénine et Staline. Aussi, le prénom Elina est apparu après l'ÉLectrification et l’INdustrialisation de l'URSS.

Des enfants étaient également nommés en l'honneur de communistes étrangers : des filles étaient souvent appelées Roza et Klara (d'après Rosa Luxemburg et Clara Zetkin) ; et des garçons – Karl et Ernst (d'après Karl Marx et Ernst Thälmann).

Les Soviétiques ont également inventé des noms créatifs en utilisant des éléments de base du tableau périodique – Radi (Radium), Wolfram (Tungstène) et autres. L’on trouvait même des prénoms géographiques, comme Volga. Après 1961 et le vol spatial de Iouri Gagarine, son prénom est devenu incroyablement populaire, suivi de Valentina, en l'honneur de Valentina Terechkova, la première femme dans l'espace.

Dans le même temps, l'ère soviétique a stimulé de manière inattendue un regain d’intérêt pour le passé de la Russie, en particulier les histoires folkloriques préchrétiennes et les prénoms non inscrits au calendrier de l'Église. Certains vieux prénoms slaves désuets sont ainsi réapparus, comme Sviatozar.

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Pourquoi tant de prénoms grecs en Russie

Une employée d'un centre périnatal et des nouveau-nés dans la région de Moscou

Alexander, Alexeï, Anatoli, Andreï, Vassili, Evgueni, Nikolaï – tous ces prénoms russes emblématiques ont en réalité des origines grecques. Même Ivan est une forme du prénom grec ancien « Ioann » (Jean). L'explication est simple. L'Église orthodoxe russe est devenue l’héritière de l'Église grecque byzantine, et les gens étaient alors appelés d'après les saints grecs.

Ce n'est que lorsque de nombreuses années ont passé et que des saints russes autochtones sont apparus avec de véritables prénoms russes (Olga, Vladimir, Boris et Gleb), que ceux-ci se sont répandus dans tout le pays.

Pourtant, près de la moitié des prénoms russes modernes ont des racines grecques. D'ailleurs, en 2022, le prénom grec Alexander était le plus populaire pour les nouveau-nés masculins (et Sofia le plus populaire pour les filles).

Durant une fête du Nouvel An dans une école de Novgorod

Certaines personnes, cependant, continuent de vérifier les prénoms dans le calendrier de l'Église. « Quand j'ai pensé au prénom de ma fille, j'ai vérifié quel saint est fêté à sa date de naissance dans le calendrier et il n'y avait pas de prénom féminin. J'ai donc choisi un prénom qui me plaisait et nous avons simplement marqué une autre date qui correspond à ce saint », raconte Elena, 33 ans.

Néanmoins, de nombreuses personnes choisissent les prénoms en fonction de leurs préférences personnelles ou suivent la tradition consistant à donner aux enfants le nom de leurs grands-parents et de leurs proches. « Je m'appelle Sergueï, mon père était Boris et mon grand-père Sergueï. Je voulais aussi appeler mon fils Boris, mais ma femme n'aimait pas ce prénom, alors j'ai choisi Anton, le nom de mon arrière-grand-père. Mon fils a décidé de ne pas s'en tenir à cette tradition, et ils ont nommé leur fils en l'honneur du grand-père de sa femme », confie un sexagénaire.

Dans cet autre article, nous vous présentions dix anciens prénoms slaves que les Russes donnent encore à leurs enfants.

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