Petrik, Barneo ou N-sk: quels sont les surnoms les plus exotiques des villes russes?

Éducation
OLEG EGOROV
Si tout est clair avec Piter ou Novossib, il n'est pas si facile de trouver Glasgow, Gonduras ou Barneo (avec un «a») sur les cartes de Russie.

Les surnoms attribués aux villes russes ne sont pas un phénomène homogène et sont loin de faire l’unanimité. Certains locaux détestent en effet ces appellations familières données à leur tendre cité. C’est notamment le cas des Saint-Pétersbourgeois. « Les habitants de souche ne peuvent pas supporter le "Piter " populaire et informel », assure Elena Bobrova, journaliste et guide du projet d'excursions Peterswalk.

« J'ai vu des débats sur Internet à propos du fait que seuls les "nouveaux arrivants" appellent ainsi notre ville. Et que, soi-disant, les vrais Saint-Pétersbourgeois n'utilisent pas ce mot. Bien sûr, c'est une exagération, mais il y a une part de vérité là-dedans », explique-t-elle. Un point de vue toutefois assez conservateur, puisqu’aux XVIIIe et XIXe siècles la capitale impériale était d’ores et déjà surnommée Piter, et que des "nouveaux venus" comme Alexandre Radichtchev et Ivan Krylov la désignaient de cette façon. D’ailleurs, un nombre important de Saint-Pétersbourgeois utilisent aussi ce terme. Cet avis reflète néanmoins l'opinion des sceptiques quant à tout diminutif.

Cependant, il est impossible de cimenter une langue vivante : mots simplifiés et argot, plus courts ou faciles d’utilisation que les termes d’origine, s’y infiltrent toujours, y compris dans la norme littéraire. Or, c'est précisément ce qui ressort clairement de l'exemple des surnoms inventés pour parler des villes de Russie.

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Plus c'est court, mieux c'est

L'une des principales raisons de l'apparition de noms officieux est qu’il est toujours plus simple d’abréger de longues dénominations, tant à l’oral qu’à l’écrit. C'est pourquoi Saint-Pétersbourg, dans la bouche des locaux, et pas que, se transforme en « Piter », ou encore en « Spb », tandis que Ekaterinbourg devient « Ekat » ou « Ekb » et que Novossibirsk cède sa place à « Novossib » ou « N-sk ».

Il est logique que les noms courts (Moscou, Perm, Penza, Omsk) ne soient pas raccourcis, mais si une ville porte un nom composé, l’une des deux parties est souvent omise. Nijni-Novgorod est ainsi fréquemment désignée comme « Nijni », Khanty-Mansiïsk comme « Khanty », et Bolchoï Kamen (littéralement « Grosse Pierre ») se change en Kamen (Pierre).

N'oubliez pas vos racines

Parfois, le surnom d'une ville est un ancien nom de celle-ci ou une variante en langue minoritaire locale. L'exemple le plus célèbre est celui de Kaliningrad, qui se fait aussi appeler « König » (abréviation de « Königsberg », le nom allemand de la cité). Selon le même principe, Ioujno-Sakhalinsk est parfois nommé « Toïokhara » (nom japonais) et Petrozavodsk – « Petroskoi » (nom carélien), bien que dans ce dernier cas les abréviations traditionnelles de « Petrik » et « Ptz » soient plus communes.

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Exotisme et offense

Certains surnoms de villes russes se réfèrent en outre à d'autres localités, dont le nom est proche du leur mais qui sont beaucoup plus connues dans le monde entier. En règle générale, ces appellations sont exclusivement locales et ne sont utilisées qu'avec ironie. Barnaoul, par exemple, est parfois désignée comme « Barneo » (bien qu’elle ait très peu de choses en commun avec l'île verte d'Asie).

La petite ville de Glazov, en République d’Oudmourtie, est quant à elle parfois fièrement évoquée comme « Glasgow ». Le village de Gondyr, dans la région de Perm, est populairement désigné « Gondouras » (nom du Honduras en russe), et Syzran, dans la région de Samara, devient ni plus ni moins que « San-Fran-Syzran ». Pour cette dernière, il existe aussi la variante « Zasran » (dérivé du mot « zasranny » signifiant de manière  très familière « très sale » en russe), mais pour des raisons évidentes il vaut mieux ne pas l'utiliser si vous n'en êtes pas originaire.

De tels surnoms ironiques et offensants ne sont pas rares pour les villes du pays. « Au printemps et à l'automne, Ekb [Ekaterinbourg] est aussi appelée pour plaisanter Griazbourg [« griaz » signifiant « boue/saleté » en russe]. Un panneau avec ce nom a même été installé à l'entrée de la ville », illustre la journaliste locale Ioulia Chevelkina.

Il existe également des variantes telles que Zasratov (pour la ville de Saratov, là aussi dérivé de « zasranny »), Krasnodyr (pour Krasnodar, « dyra » désignant un « trou »). Le champion du nombre des surnoms ironiques est toutefois Moscou, également connue sous les noms de Nerezinovaïa (« Pas-en-caoutchouc », en référence à un dicton indiquant que la ville ne peut pas s'étirer éternellement pour accueillir tout le monde), Ponaïekhalovsk (du verbe grossier « ponaïekhat » désignant le processus d’arrivée massive) ou encore Moskvabad (« Moskva » étant le nom russe de Moscou, auquel est ajouté le suffixe commun aux villes d'Asie centrale, faisant donc allusion au nombre élevé de migrants de cette région dans la ville).

Bien sûr, en tant qu’étranger ou non-local il est préférable de ne pas mentionner de tels noms. C'est une chose de faire des blagues sur sa ville natale, et une autre d’entendre quelqu’un venu d’ailleurs la traiter avec familiarité.

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Pure absurdité

L'existence de certains surnoms est par ailleurs difficile à expliquer, tellement ils sont étranges. Ainsi, Alexandra Gourianova, native de Samara, assure que sa ville est parfois appelée « Kamapa », ce qui correspond à la façon dont un étranger ne connaissant pas l’alphabet cyrillique lirait son nom (Самара). Selon le même principe, Ivanovo est appelée encore plus sauvagement « Ubahobo » (son nom en russe étant Иваново). Il est néanmoins difficile d'établir dans quelle mesure cet exotisme est réellement utilisé.

Comment ne pas commettre d’impair

De manière générale, tenter, dans une ville qui n’est pas la vôtre, d’utiliser le jargon local n’est pas la meilleure idée. Même si personne n'est offensé, il y a toujours le risque d'être en décalage total avec les usages locaux. « Quand je suis arrivée pour la première fois à Ekaterinbourg, je suis allée à un entretien d’embauche et durant la conversation avec le rédacteur d’un journal local, je disais sans arrêt "Iobourg", "Iobourg" [autre surnom de la ville], jusqu'à ce qu'il me corrige et me dise : "Vous savez, ce n'est plus comme ça qu'on appelle la ville ici, tout le monde dit "Ekat" », témoigne Ioulia Chevelkina. Donc, si vous n'êtes pas sûr d'être compris et de n’offenser personne, contentez-vous du nom officiel.

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