Vivant à Moscou, j’ai décidé de mettre à profit un week-end de quatre jours pour partir à l’aventure dans une contrée reculée de Russie. Manon, une amie résidant également ici, est familière des expéditions de par son travail au sein d’une agence de voyage, et s’est donc tout naturellement imposée comme partenaire idéale pour celle-ci ! Ensemble, nous avons rapidement arrêté notre choix sur la péninsule de Kola, au bord des mers Blanche et de Barents, point le plus au nord de Moscou. Administrativement, elle fait partie de la région de Mourmansk, ville située, à vol d’oiseau, à 1 487 kilomètres au nord de la capitale russe. Notre but ? Les aurores boréales, ces lueurs fantasmagoriques animant la voute céleste en cette période.
Décompression en 31h de train
Billets en mains, nous nous lançons donc dans un trajet de plus de 31 heures en train-couchette pour rejoindre la petite ville d’Apatity. Nous aurions pu opter pour l’avion afin de gagner du temps, mais les chemins de fer offrent plusieurs avantages : tout d’abord un prix très attractif (4 160 roubles - 59 euros par personne), mais surtout la possibilité de se défaire progressivement du rythme de la bouillonnante Moscou, en admirant les paysages défilant le long des rails, en s’accordant quelques siestes ou en prenant le temps de s’adonner à la lecture (la traduction d’Anna Karénine pour Manon, la version russe d’un album de Picsou pour moi).
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Afin de nous dégourdir les jambes, nous profitons également de quelques arrêts à rallonge pour sortir du wagon et observer, l’espace de quelques minutes, les environs des gares de Svir et de Petrozavodsk. Le décor y est déjà bien différent. Sur les quais, nous attendent de petites babouchkas munies de paniers et de cageots sur roulettes, venues interpeler les voyageurs pour leur vendre des baies, des pirojki chauds, des pots de confiture maison ou encore des poissons (et notamment des anguilles). Sur la route, nous avons aussi tout le loisir de contempler de petits villages et d’interminables forêts, tous recouverts d’une épaisse couche de neige. Ces images passent sous nos yeux tel un film en noir et blanc, les couleurs semblent comme aspirées et évincées par ces deux teintes. Le vert des conifères, le bleu du ciel, tout cela semble avoir disparu.
À peine arrivés à la gare d’Apatity, un homme nous aborde et nous propose, pour 150 roubles (2 euros), de nous conduire à Kirovsk, notre destination, à 17 kilomètres de là. Bien que cela serait moins onéreux (60 roubles – 85 centimes) de prendre le bus, encore somnolents nous cédons à la facilité et acceptons. Nous prenons donc place dans sa camionnette rouge, avant d’être rapidement rejoints par plusieurs touristes russes, amateurs de ski. Notre chauffeur décide de nous déposer en dernier devant notre auberge de jeunesse, afin que nous puissions avoir un aperçu de la ville le temps que les autres passagers descendent. Il nous présente ainsi le jardin botanique polaire et alpin, jardin le plus septentrional au monde, un complexe sportif, la gare abandonnée, et évoque les montagnes entourant cette ville de près de 27 000 âmes.
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Kirovsk, sublime capitale du silence
L’auberge est singulière, probablement un bâtiment soviétique, avec ses portes immenses, ses larges pièces et son décor on ne peut plus authentique. La chambre où l’on nous dirige est remplie de matériel et de combinaisons de ski, activité qui a visiblement poussé nos colocataires à se rendre dans cette petite cité lointaine.
Nous sommes finalement transférés dans une autre chambre, dotée de quatre lits, d’un frigo, d’une télé, d’un micro-onde, et de tout un tas de choses qui laissent supposer que quelqu’un y vit de manière permanente. Nous décidons alors d’aller explorer les environs. Enfilant bonnets, gants, épais manteaux et écharpes, nous franchissons le pas de la porte et sommes aussitôt frappés par un phénomène qui nous était depuis longtemps étranger : le silence absolu. Pas un bruit ne résonnait dans cette bourgade encerclée par des montagnes blanches parsemées d’arbres noirs.
Nous prenons alors la direction du téléphérique permettant d’atteindre l’un des sommets du massif de Khibiny. Nous traversons pour cela une petite forêt, où nous apercevons de nombreux abris et mangeoires artificiels fabriqués de bric et de broc pour les oiseaux, qu’une petite grand-mère vient approvisionner en graines, emmitouflée dans plusieurs couches de vêtements. Nous atteignons alors la station de ski Bolchoï Voudiavr, semblant sortie de terre il y a peu. Avant d’entamer l’ascension, nous nous accordons une pause dans un petit chalet pour profiter d’un thé bien chaud et d’une appréciable collation.
Nous grimpons ensuite dans une cabine (350 roubles – 5 euros par personne pour un seul aller-retour), et nous retrouvons rapidement à 850 mètres de haut. Le blizzard y est si puissant que l’on distingue à peine la ville en contrebas. Le froid extrême et les vents violents ont raison de nous (et surtout de Manon, dont les tremblements se transforment rapidement en spasmes hilarants) et nous forcent à regagner le pied de la montagne.
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Après une pause bien méritée à l’auberge, nous partons découvrir la ville. Une bonne partie des bâtiments sont en mauvais état, voire abandonnés, et ne sont plus que les vestiges d’un faste passé. Des efforts sont néanmoins visiblement entrepris pour apporter une touche de couleur dans cet environnement dominé par le blanc, le noir et le gris. L’hôtel Severnaïa (Nordique) en est le meilleur exemple et en ferait presque oublier le colossal Palais de la culture ou la monumentale mairie. Nous arpentons de petites ruelles bordées de garages et finissons par découvrir un point de vue sublime, devant lequel s’étalent les montagnes parcourues par des trains chargés de minerais. Même si le tourisme, hivernal notamment, semble s’y développer activement ces dernières années, Kirovsk est en effet avant tout une cité minière, et les installations industrielles sont légion dans les environs.
D’ailleurs, après un repas animé à l’auberge, rythmé par les rires et les exclamations des skieurs et d’autres résidents sur fond de musique russe, nous faisons la connaissance d’une dizaine de mineurs biélorusses venus de Soligorsk, dont deux partagent notre chambre. Ils sont ici depuis plus d’un mois pour un projet censé durer 15 ans. Ils auraient dû recevoir un appartement à leur arrivée, mais tout ne s’est pas passé comme prévu et les voilà logeant dans cette auberge. Fort chaleureux, ils nous invitent à apprécier quelques verres de vodka, à chanter, à participer à une compétition de bras de fer et nous font part de leur histoire. Alors que nous avions rêvé de passer une soirée au calme, nous voici embarqués dans plusieurs heures de discussions et de festivités. Nous scrutons tout de même de temps à autre l’obscurité alentour, à l’affût d’une quelconque aurore boréale.
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Le lendemain matin, après une nuit finalement courte, nous plions bagage, faisons nos adieux à nos amicaux camarades et prenons la direction du monastère pour femmes de Khibinogorsk, dont nous avons aperçu le panneau durant la visite improvisée la veille par notre chauffeur. Pour cela, nous longeons à pied et sur plusieurs kilomètres le lac gelé de Bolchoï Voudiavr (qui a donné son nom à la station de ski). La vue est encore une fois époustouflante, une vaste palette de noirs et de blancs égayée ici et là par des hangars et véhicules colorés. Après une bonne heure de marche sous la neige, nous voici dans l’église du monastère, richement décorée, où nous sommes rapidement incités à allumer une bougie.
De retour en ville, nous faisons une halte au café Ofelia, tout près de la statue de Sergueï Kirov, révolutionnaire bolchevik dont la ville a hérité le nom, afin de savourer des blinis au lait concentré et une boisson. Alors que nous nous apprêtons à quitter les lieux, la serveuse s’approche de moi, semble-t-il quelque peu gênée, et me demande un autographe. Surpris, j’accepte sans chercher à en savoir plus. Peut-être suis-je le premier Français qu’elle rencontre. Nous nous dirigeons ensuite vers l’arrêt de bus pour rejoindre Apatity, que nous comptons visiter au pas de course avant de prendre notre train pour Mourmansk.
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Bien que plus développée (56 000 habitants), cette ville ne nous fait pas grande impression, avec ses barres d’immeubles soviétiques et ses avenues identiques, elle fait bien pâle figure après Kirovsk. Nous prenons donc le chemin de la gare, indiqué par une passante. Ce raccourci nous fait traverser un terrain vague recouvert d’un épais manteau neigeux, qui nous donne bien du fil à retordre, mais nous voilà bientôt confortablement installés dans notre wagon, direction la capitale régionale, située à 3h45 au nord d’ici (748 roubles – 11 euros par personne).
Mourmansk, porte de l’océan Arctique
La gare de Mourmansk nous apparait magnifique, vert pomme surmontée d’une étoile rouge. Après quelques pas, nous arrivons sur ce qui semble être la place centrale de la ville, où ont été installés des sculptures et un toboggan de glace, merveilleusement mis en lumière. Je ne résiste pas longtemps à la tentation de m’y lancer, aux côtés des gamins qui, malgré l’heure tardive, s’y amusent encore. Sans luge cependant, la glissade se fait lente, jusqu’à ce qu’une fillette de 4-5 ans me fonce dedans, nous faisant dévaler la pente plus rapidement, sous les rires moqueurs de Manon.
Le calme de l’auberge est apprécié et avant de nous coucher, nous sortons quelques instants dans l’espoir de discerner une once d’aurore boréale, en vain. Après une bonne nuit de sommeil et après avoir déterminé notre itinéraire du jour, le dernier de notre voyage, nous rejoignons le Start-up Cafe, lieu de restauration prisé de la ville.
Sur le chemin, nous admirons les imposants bâtiments colorés bordant les immenses boulevards de Mourmansk. Si l’état de certains laisse à désirer, ils ne permettent aucun doute quant au passé glorieux de la ville. Le café nous enchante aussitôt : un décor moderne, cosy, et arrangé avec goût. La cuisine dépasse elle aussi nos espérances, et notamment les blinis aux champignons de la forêt et aux épinards, un véritable régal.
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Nous partons alors pour le port, où nous découvrons le légendaire brise-glace Lénine, premier navire civil à propulsion nucléaire au monde. Des visites à son bord y sont proposées et les curieux se font nombreux. Mais nous n’avons pas le temps de nous y attarder, notre programme étant déjà bien chargé. Nous grimpons alors la colline, sur la pente de laquelle se dresse fièrement le mémorial, en forme de phare, aux marins morts en temps de paix, lieu où résonne le fracas de vagues déchaînées. À ses abords, nous contemplons la vue panoramique sur cette ville, la plus grande du globe au-delà du cercle polaire.
Nous marchons enfin vers les hauteurs où domine la pharaonique statue aux défenseurs de l'Arctique soviétique pendant la Grande Guerre patriotique. Du haut de ses 35,5 mètres, elle est la deuxième plus grande de Russie après celle de La Mère-Patrie, à Volgograd. En chemin, nous croisons quelques magnifiques huskies, qui ne semblent pas apeurés à l’idée de venir nous saluer. Au pied de ce gigantesque soldat de pierre au regard figé vers le lointain horizon, oscille une flamme éternelle. La vue y est encore une fois spectaculaire : la cité enneigée, le golfe de Kola et un lac gelé.
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C’est par ce dernier que nous choisissons de rebrousser chemin. Pensant avoir trouvé un raccourci à travers une petite vallée boisée, nous nous retrouvons finalement à lutter pendant près d’une demi-heure pour nous frayer un chemin à travers un mètre de neige, parsemé de trous et de branches. Fous rires assurés. Trempés, nous retournons au Stand-Up Cafe et commandons de succulents blinis au chocolat, banane et kiwi, assaisonnés d’une sauce à la cerise.
Après avoir récupéré nos affaires à l’auberge, nous prenons le bus pour l’aéroport (4 312 roubles – 60 euros pour un vol Mourmansk – Moscou), où nous passeront de longues heures à ressasser tous ces souvenirs dépaysants et inoubliables. À travers les baies vitrées de l’édifice, toujours pas d’aurore boréale, mais c’est au final un soulagement. En effet, n’est-ce pas là un prétexte supplémentaire pour revenir un jour dans cette contrée enchanteresse ?
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