Quand les physiciens soviétiques faisaient pousser des pierres précieuses artificielles

Sciences & Tech
ELEONORA GOLDMAN
Les rubis et émeraudes synthétiques étaient initialement des déchets de la production militaro-industrielle, mais sont devenus d'ingénieuses inventions de joaillerie.

Suivez Russia Beyond sur Telegram ! Pour recevoir nos articles directement sur votre appareil mobile, abonnez-vous gratuitement sur https://t.me/russiabeyond_fr

Pendant l'ère soviétique, les bijoux en or massif avec d'énormes pierres multicolores jouissaient d’une grande popularité. Les bagues en alexandrite ou les boucles d'oreille en rubis figurent encore dans les boîtes à bijoux de nombreuses femmes vivant sur le territoire de l'ancienne Union soviétique. Beaucoup n'ont probablement aucune idée que la plupart de ces pierres ont été créées dans des institutions scientifiques, et que leur vocation initiale était loin d'être la bijouterie.

La zircone cubique, meilleur ami des femmes

En Russie, l’alternative la plus populaire au diamant est la zircone cubique, un cristal presque aussi dur et brillant, mais au coût très faible. À l'étranger, on l'appelle zircone cubique (ou cristal de dioxyde de zirconium), tandis que dans les pays de la CEI, elle est exclusivement désignée sous le nom de fianite.

Elle tire son nom du FIAN, acronyme russe de l'Institut de physique de l'Académie des sciences, situé à Moscou, qui compte sept lauréats du prix Nobel.

Les scientifiques y œuvrant développent des conceptions optiques pour l’industrie civile et militaire, les cristaux n’étant pas seulement destinés aux bijoutiers. Ils sont en effet également utilisés pour les instruments médicaux (par exemple, les dentistes disposent de scalpels revêtus de zircone cubique) et les dispositifs optiques. Toutefois, en vue du développement de l’industrie, il était nécessaire d’inventer un cristal peu coûteux et exempt de défauts, doté de certaines propriétés optiques similaires à celles des diamants. Dans les années 1960, au FIAN, a donc été créé le département des monocristaux afin de produire des matériaux vitreux pour les lasers.

La fianite a été synthétisée en 1970 en chauffant du dioxyde de zirconium à 2500°C. Le groupe de scientifiques était dirigé par l'académicien Viatcheslav Ossiko, qui a attiré l'attention sur les différentes utilisations de cette nouvelle pierre. C'est ainsi que les bijoutiers ont eux aussi commencé à utiliser ce cristal.

La pierre s’est avérée parfaite : inaltérable, robuste, transparente et, lorsque bien taillée, elle ressemble à un diamant. En Russie, la zircone cubique est particulièrement populaire sertie dans l’or, et même associée à de véritables pierres précieuses. Le prix d'un tel bijou se révèle alors deux ou trois fois inférieur à un équivalent orné de diamants.

En plus des pierres incolores, on peut trouver des zircones cubiques roses, noires et jaunes pour tous les goûts. Elles sont obtenues en ajoutant certains métaux. Par exemple, la verte nécessite un mélange de chrome, celle couleur cognac a besoin du titane, et la bleu – du cobalt.

Bien sûr, il est possible de distinguer une fianite d'un diamant même à l'œil nu : la première est transparente, sans aucun défaut ni « bulle » à l'intérieur, et si vous respirez dessus, elle devient brumeuse ; un véritable diamant ne réagirait pas de la sorte.

Lire aussi : Ces chefs-d'œuvre de la joaillerie soviétique conservés au Fonds des diamants du Kremlin

Alexandrite et rubis synthétiques

Les pierres rouges ont toujours été considérées comme onéreuses dans l'art de la joaillerie, car elles ne sont extraites que dans un nombre limité de lieux. Dès le XIXe siècle, des scientifiques européens ont par conséquent tenté de synthétiser des rubis et des corindons. L'Union soviétique a à son tour connu un grand succès dans la production de masse de pierres synthétiques : pratiquement toutes les pierres rouges utilisées en bijouterie étaient synthétiques. Comme dans le cas de la zircone cubique, les pierres rouges devaient être utilisées dans l'industrie – pour la production de montres et lasers.

Le premier corindon soviétique est apparu en 1939 à l'Institut de cristallographie de Moscou. Dès 1947, les chimistes Alexeï Choubnikov et Savva Popov ont mis au point une méthode permettant la production de masse de ces pierres, ce qui leur a valu le prix d'État.

Plus tard, l'Union soviétique a appris à cultiver des alexandrites artificielles – des pierres capables de changer de couleur, de l'émeraude au rubis, en fonction de la lumière. Elles ne sont extraites que dans quelques endroits du Globe, et les pierres de l'Oural sont considérées comme celles de référence.

Il convient de mentionner que les alexandrites de fabrication soviétique étaient également très demandées par les bijoutiers étrangers, car elles étaient très bien faites. La méthode mise au point à l'Institut de cristallographie était appelée « cristallisation directionnelle horizontale » (parfois appelée « méthode Bagdassarov », du nom du chef du groupe de scientifiques). En termes simples, elle peut être décrite comme suit : une feuille de molybdène est pliée en forme de bateau. Un mélange de produits chimiques y est alors placé et envoyé vers une unité de chauffage. En une semaine, une alexandrite poussera ensuite à partir de ce mélange.

D'autres pays utilisent des technologies différentes : aux États-Unis, par exemple, les alexandrites sont « tirées » d’un bain de fusion. L'alexandrite de fabrication soviétique apparaît cependant au final plus résistante.

Aujourd'hui, les pierres rouges synthétiques se déclinent en différentes nuances et sont aussi populaires que les pierres naturelles. Elles sont distinguées par un spectromètre spécial, car les pierres réelles et synthétiques présentent des spectres d'absorption de la lumière différents. Les pierres naturelles sont également rarement mouchetées.

Émeraude géothermique

Bien que la Russie dispose d'un important gisement d'émeraudes dans l'Oural, l'industrie avait également besoin d'analogues bon marché. Les scientifiques de l'Institut de géologie et de géophysique de Novossibirsk ont donc réalisé une véritable percée dans la création d'émeraudes artificielles au début des années 1970, sous la direction de Vladimir Kliakhine. Ils ont principalement réussi à obtenir, à partir de solutions géothermiques, une croissance stable des cristaux d'émeraude, qui se sont révélés de couleur très saturée et sans aucune fissure. À la fin des années 1980, l'entreprise mixte russo-thaïlandaise TAIRUS a été fondée dans le but de produire des cristaux sous la marque « Russian emerald » (Émeraude russe), notamment pour l'exportation. Il faut environ un mois pour produire cent grammes d'émeraude géothermique.

Cette production continue à fonctionner avec succès aujourd'hui, produisant non seulement différents types d'émeraudes, mais aussi des alexandrites, des rubis et des saphirs. Comme l'a expliqué le personnel de TAIRUS, les pierres géothermiques ont les mêmes propriétés que les naturelles, sauf qu'elles sont cultivées par l'homme.

Dans cet autre article, nous vous présentions différentes technologies soviétiques ayant par la suite été développées en Occident.

Chers lecteurs,

Notre site web et nos comptes sur les réseaux sociaux sont menacés de restriction ou d'interdiction, en raison des circonstances actuelles. Par conséquent, afin de rester informés de nos derniers contenus, il vous est possible de :