Pourquoi a-t-on extrait le cerveau de Lénine et que lui est-il arrivé ?

Sciences & Tech
GUEORGUI MANAÏEV
Immédiatement après la mort de Lénine, son cerveau a été retiré de son crâne. Pourquoi les bolcheviks ont-ils dû extraire et étudier cet organe du leader de la Révolution russe ?

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Voici un extrait de l'autopsie du corps de Lénine le 21 janvier 1924 : « La partie frontale de l'hémisphère gauche, par rapport à celle de droite, est légèrement enfoncée. [...] Le cerveau – sans la membrane – pèse 1 340 grammes. Dans l'hémisphère gauche, dans les zones du gyrus précentral, des lobes pariétal et occipital, des fentes paracentrales et du gyrus temporal se trouvent des zones de fort enfoncement de la surface du cerveau. [...] À la dissection du cerveau, ses ventricules sont dilatés, en particulier celui de gauche, et contiennent du liquide. Dans les zones de piégeage est observé un ramollissement du tissu cérébral avec de nombreuses cavités kystiques ».

De toute évidence, Vladimir Lénine avait eu quelques lésions cérébrales ou problèmes physiques, du moins dans les années ayant précédé sa mort. De quoi s’agissait-il et comment cela a-t-il affecté son cerveau ?

Pourquoi étudier le cerveau de Lénine ?

On peut avoir des opinions différentes sur Vladimir Lénine, mais il est difficile de remettre en cause ses capacités intellectuelles exceptionnelles. Il a obtenu une médaille d'or à son école de Simbirsk, il écrivait facilement en anglais, français et allemand et parlait le grec ainsi que l'italien. L'homme d'État soviétique Alexander Schlichter (1868-1940), qui a travaillé avec Lénine, s'est souvenu qu'il était en outre capable de rédiger un article qui occupait toute une colonne de journal en une heure seulement. Son camarade de classe Alexandre Naoumov (1868-1950) l'a quant à lui qualifié d'« encyclopédie ambulante » et a écrit que Lénine avait « des capacités extraordinaires : une mémoire exceptionnelle, une curiosité scientifique insatiable et une productivité hors du commun ».

Enfin, le but apparent de la vie de Vladimir Lénine – la destruction de la monarchie Romanov et la création de l'URSS – a été merveilleusement accompli par lui grâce à de longues années d'activité clandestine, de travail acharné, de propagande, de spéculation financière et d'intrigues. Cela a donné à Lénine un statut d'icône, même de son vivant. Les bolcheviks et les Russes qui soutenaient ses idées croyaient en effet que Lénine était une sorte de surhomme. Par conséquent, les médecins ont naturellement désiré étudier son cerveau pour déterminer les raisons possibles de ses capacités exceptionnelles.

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Qu'est-il arrivé au cerveau de Lénine ?

Non loin de la gare de Koursk, à Moscou, dans la ruelle Oboukha, se trouve le bâtiment de l'ancien Hôpital évangélique luthérien, construit en 1903-1914 par l'architecte Otto von Dessien. Dans ce bâtiment se trouvait l'Institut de recherche sur le cerveau de l'Académie des sciences médicales de l'URSS (aujourd'hui nommé Département de recherche sur le cerveau du Centre scientifique de neurologie de l'Académie des sciences médicales de Russie). C'est là que le cerveau de Lénine est conservé, séparément de son corps, qui se trouve toujours exposé dans le mausolée de la place Rouge, en plein centre de Moscou.

Immédiatement après la mort de Lénine, son cerveau a été placé dans une solution de formol, et en 1925, un laboratoire spécial a été fondé pour l'étudier. Oskar Vogt (1870-1959), un médecin et neurologue allemand, a été invité à Moscou pour créer et maintenir ce laboratoire. Le cerveau de Lénine a été disséqué et a commencé à être étudié sous la supervision de Vogt. Selon le rapport final, il a été découpé en 30 953 tranches, chaque plaque ayant une épaisseur de 20 micromètres (0,02 mm).

Cependant, en 1928, après avoir obtenu une seule des plaques du cerveau de Lénine, Vogt a quitté Moscou et n’y est jamais revenu. Il a utilisé l'échantillon de cerveau pour des démonstrations lors de ses conférences européennes. Selon lui, le cerveau de Lénine se distinguait par « de très grandes et nombreuses cellules pyramidales dans la troisième couche du cortex ». Néanmoins, il est apparu plus tard que la cytoarchitecture d’un cerveau n'avait rien à voir avec les capacités intellectuelles de son propriétaire. Depuis 1932, la question des qualités physiques du cerveau de Lénine n'a par conséquent plus été soulevée.

En 1969, Boris Petrovski (1908-2004), le ministre soviétique de la Santé, a écrit dans une note au Comité central du Parti communiste : « Le ministère de la Santé de l'URSS estime que, malgré le fait que les résultats de l'étude cytoarchitecturale du cerveau de Vladimir Lénine présentent un grand intérêt scientifique, ils ne devraient pas être publiés ».

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De quoi Lénine est-il mort ?

Les premiers signes d'une maladie neurologique se sont manifestés chez lui en 1922, deux ans avant la mort de Lénine. Étourdissements, pertes de conscience et insomnie, puis faiblesse des bras et des jambes, et enfin perte de la parole en ont été les symptômes. Les médecins n'étaient pas unanimes sur les raisons de tout cela – ils soupçonnaient soit l'athérosclérose (mais Lénine était bien trop jeune pour cela, seulement 51 ans à l'époque), soit une lésion syphilitique.

Cependant, tous les médecins ont noté une préservation exceptionnelle de l'intellect de Lénine. Parfois, la maladie se résorbait et le chef révolutionnaire reprenait son travail au Comité central. Toutefois, en mars 1923, il a à nouveau perdu le pouvoir de la parole. La maladie n’a alors pas tardé à regagner du terrain et Lénine n'a jamais repris le travail.

Onze médecins étaient présents à l'autopsie, mais celle-ci a été réécrite au moins trois fois. Le diagnostic final a été « athérosclérose commune des artères avec une lésion prononcée des artères du cerveau ». Cependant, peu d'informations sont disponibles, les médecins ayant gardé le silence sur les détails jusqu'à leur mort. De plus, le journal de la maladie de Lénine, créé au cours des deux dernières années de sa vie par les trois médecins qui le soignaient, est resté classé pendant 75 ans après son décès. En 1999, lorsque ce terme a pris fin, Olga Oulianova, la nièce de Lénine, était encore en vie et a demandé à ce que les documents soient classés pour 25 ans supplémentaires – jusqu'en 2024, date du 100e anniversaire de la mort de Lénine.

Le gérontologue Valeri Novosselov semble être le seul médecin à avoir travaillé avec ces journaux, mais il lui a été interdit de les photocopier. Selon lui, Lénine est mort d'une syphilis cérébrale (dans les années 1920, la syphilis était très courante en Russie, et pouvait être contractée non pas par contact sexuel, mais par transmission à partir d'objets touchés ou utilisés par les personnes atteintes).

Toutefois, Max Nonne (1861-1959), un spécialiste international de la syphilis du cerveau à l'époque, qui a surveillé Lénine pendant la phase finale de sa maladie, a écrit qu’« il n'y avait absolument aucune preuve de syphilis ». Récemment, Harry Vinters, Lev Lurie et Philip A. Mackowiak de l'Université de Californie ont suggéré que Lénine aurait pu succomber à une calcification artérielle, causée par des mutations du gène de l’ecto-5'-nucleotidase (NT5E). Il s’agit d’une maladie extrêmement rare, puisqu’avant 2020 moins de 20 individus ont été signalés comme l’ayant contractée. Cependant, jusqu'en 2024, aucune autre enquête sur les causes de la mort de Lénine n'est par conséquent possible et l’énigme reste donc entière.

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