Pourquoi Trump a-t-il trouvé pendant sa campagne un si grand nombre d’admirateurs en Russie ?
ReutersTout ce qui avait trait à la présidentielle aux États Unis partait comme des petits pains en Russie : l’élection était suivie par plus de 90% des Russes. Heures de grande écoute le matin et le soir, mèmes dans les réseaux sociaux, mises chez les bookmakers et pronostics politiques formulés dans les cuisines et les files d’attente : la Russie a intensément réagi à ces élections à l’étranger.
Un même nombre de Russes s’intéressait de près aux Jeux olympiques de Sotchi, mais l’événement avait été financé par chaque contribuable de Russie. Ni la campagne syrienne, couverte tous les jours depuis plus d’un an, ni les élections législatives nationales ne peuvent se vanter d’avoir attiré tant d’attention.Il est évident que la législative ne peut être comparée à une présidentielle, mais la dynamique de l’intérêt public pour les scrutins russes se profile nettement : moins de la moitié des électeurs se sont rendus aux urnes, tandis que le taux de participation à Moscou a été le plus bas depuis quinze ans.
Le prochain président des États-Unis intéresse-t-il davantage le Russe lambda que les institutions politiques de son propre pays ? Oui et non, disent les observateurs : la situation est symptomatique et s’inscrit dans la logique de ces dernières années.
En août dernier encore, la campagne présidentielle aux États-Unis n’intéressait pratiquement personne en Russie. Le tournant n’est le fruit ni de la rhétorique très libre de Donald Trump, ni de l’énorme scandale sexuel qui a touché l’équipe d’Hillary Clinton. Il est lié à la téléréalité.
« La propagande russe de ces deux ou trois dernières années tournait autour de la politique étrangère. Les débats télévisés et les bulletins d’information étaient consacrés à la situation en Ukraine, en Syrie et bien sûr aux États-Unis en tant que grande puissance qui tire les ficelles et gère tous les autres, a indiqué à RBTH Leonid Byzov, expert de l’Institut de sociologie de l’Académie russe des sciences.
Ceci était fait dans une grande mesure pour détourner l’attention des Russes de la situation économique loin d’être radieuse et dans une moindre mesure pour créer l’illusion d’un « ennemi extérieur », ce qui est en soi un puissant facteur mobilisateur ».
Mais modifier l’humeur des Russes, même en l’espace de quelques jours, n’est pas chose impossible. Il suffit de se souvenir de John Kennedy : ce représentant de l’Amérique détestable est devenu du jour au lendemain le « chouchou » des Soviétiques, sa cote de popularité devançant celle de leur propre leader Nikita Khrouchtchev. « Son meurtre fut un malheur national. Et ces cas d’amour et de haine « deux en un » sont assez nombreux », a rappelé Leonid Byzov.
Combien durera cet amour pour Donald Trump ? Personne ne le sait. Il se peut que très bientôt, il n’intéresse la Russie que dans un contexte diamétralement opposé, celui de « la fin de l’expérience américaine », a-t-il estimé.
Cette téléréalité transforme facilement l’indifférence en profonde inquiétude et vice versa, fait remarquer un journaliste de la radio Écho de Moscou, Anton Orekh. C’était le cas de la Syrie quand, il y a à peine dix-huit mois, le Russe moyen savait à peine où se trouvait ce pays et ce qui s’y passait.
« Aujourd’hui, tout le monde a entendu parler d’Alep et chacun perçoit le drame au Proche-Orient comme un malheur personnel… C’est pareil ici : à un moment donné, tous les journaux télévisés sur toutes les chaînes se sont mis à parler de Donald Trump et Hillary Clinton », a-t-il expliqué.
Ainsi, un mois avant la présidentielle, la population avait un favori incontestable : Donald Trump avait les sympathies de 44% des Russes, tandis qu’Hillary Clinton n’était soutenue que par 7% d’entre eux. Mais sont-ils nombreux à connaître les programmes des deux candidats ? « Non. Seulement on nous répète tous les jours qu’elle, c’est la méchante. Et que Donald Trump est finalement un mec pas mal », a constaté Aton Orekh.
Et si Donald Trump cherchait encore à se contenir un tant soit peu, la Russie ne cachait pas ses sympathies. Après l’annonce de la victoire du candidat républicain, Margarita Simonian, rédactrice en chef de la chaîne de télévision Russia Today et de l’agence d’information Rossiya Segodnya, a annoncé« d’avance » la paix, tandis que la Douma (chambre basse du parlement russe) a accueilli la nouvelle en applaudissant le choix du peuple américain.
Les Américains possèdent l’art de faire de la démocratie un show, et c’est ce qui explique l’effervescence des Russes, estime l’observateur de Kommersant FM, Stanislav Koutcher. « La campagne présidentielle aux USA méritait notre attention même si son résultat n’avait eu aucune importance pour la Russie. Si on n’arrive pas à commenter de manière aussi libre et éperdue la politique de son propre pays, éclatons-nous au moins concernant la politique des autres », a-t-il dit.
Toutefois, il est peu probable que les élections dans un autre pays puissent attirer autant d’attention. Car aux yeux de la plupart des Russes, l’Amérique reste le pays dont tout dépend, souligne Leonid Byzov. Ni la Grande-Bretagne, ni la France ne peuvent prétendre à ce rôle.
D’après les sociologues, il n’y a eu rien de tel lors du Brexit et l’intérêt restera faible lors de la prochaine présidentielle en France. Le sort de l’actuel président français est triste et il est d’ores et déjà évident que le pouvoir reviendra au candidat de l’opposition que la propagande russe présentera au public un autre « meilleur ami de la Russie », a-t-il affirmé.
Ce pourrait être le leader des Républicains Nicolas Sarkozy, que les Russes ont eu le temps d’oublier un peu, mais qui a certains « mérites ». « C’est grâce à Nicolas Sarkozy que la Russie a évité en 2008 les sanctions pour avoir reconnu l’Abkhazie et l’Ossétie du Sud », a rappelé Leonid Byzov. Il est vrai aussi qu’il a été l’un des initiateurs du renversement de Mouammar Kadhafi en Libye, « mais on préférera ne pas s’en souvenir ».
« Il sera en effet facile de présenter Nicolas Sarkozy comme un ami de Vladimir Poutine avec qui il est bien plus facile de s’entendre qu’avec l’intransigeant François Hollande. L’amour des Russes lui est d’ores et déjà garanti. C’est important pour la Russie, car c’est ainsi que nous prouvons au monde entier que nous avons des amis et qu’il n’est pas question d’isolement », a-t-il noté pour conclure.
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