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La version intégrale de l’article a été publiée en russe dans la revue Nation.
Humberto est issu d’une famille colombienne ordinaire. Son frère est parti étudier aux États-Unis et lui aussi voulait gagner l’étranger, mais plus particulièrement la Russie : « Je me suis toujours demandé comment on vivait dans un système politique différent, que nous diabolisions ».
Dans le cadre du quota éducatif colombien, il s’est inscrit à l’Université de l’Amitié des peuples Patrice Lumumba de Moscou. « Dans mon pays, on m’a dit que l’on y formait des partisans qui, une fois rentrés chez eux, mèneraient une lutte de libération ».
En Russie, ou plutôt en URSS à l’époque, Humberto est tombé immédiatement et pour toujours amoureux de la langue russe, réalisant que c’était son destin.
« Vous ne pouvez pas imaginer à quel point j’étais fier de moi lorsque j’ai enfin prononcé "oulitsa Krjijanovskogo [rue Krjijanovski]" », s’amuse le Colombien.
« C’était en 1982. Je suis descendu de l’avion à Moscou et je me suis retrouvé dans un autre univers. Les gens, les coutumes, la nourriture, le climat, l’architecture, tout était différent. J’ai été frappé par le fait que tout le monde lisait dans le métro.
Bien sûr, il y a eu dans les premiers temps des difficultés. J’ai été placé dans une résidence universitaire et j’ai eu l’impression d’être dans une prison. De longs couloirs, de faibles ampoules, des visages sévères...
Les Russes sont en général très sérieux au début, on a même l’impression qu’ils sont offensés ou en colère contre nous, sans que l’on sache trop pour quelle raison. Le premier choc a eu lieu à la douane : moi, un gars joyeux et heureux, j’ai été accueilli par des gens très sérieux... Mais ensuite, tu commences à comprendre pourquoi tout le monde est si recueilli : à cause du fardeau historique qui pèse sur eux. Et je suis conscient de ce fardeau, je respecte et j’accepte le pathos qui accompagne souvent les Russes.
Cependant, il suffit d’entrer dans l’âme du Russe par une petite fenêtre, et il devient absolument véritable, amical, ouvert, prêt à tout donner.
En outre, le Russe veut toujours te nourrir, ce qui est aussi une conséquence de son histoire difficile ».
La première année, de nombreux compatriotes de Humberto sont partis, incapables de supporter le climat et le rude tempérament russe. Notre héros, lui, est resté. Aujourd’hui, il possède la double nationalité et il lui semble qu’avec le temps, il est devenu plus Russe que Colombien. Il est devenu plus posé, plus responsable, il est devenu un homme de parole, qui ne cherche pas d’excuses. Et plus calme.
Selon Humberto, en Amérique latine, de nombreuses personnes s’en remettent uniquement à Dieu, à des puissances supérieures. Ils espèrent seulement, mais ne font rien eux-mêmes. Les Russes sont des combattants qui décident de leur propre destin. « En tant que Russe, je crois toujours qu’il faut espérer en Dieu, mais ne pas échouer soi-même ».
Humberto a toujours été actif et créatif. Dans son pays, il a travaillé au théâtre, à la radio, dansé et chanté dans une chorale. C’est pourquoi, en Russie, il a rejoint un ensemble universitaire où des étudiants de différents pays présentaient leurs danses traditionnelles. C’est là qu’il a rencontré sa future épouse, Elena, et qu’il a décidé de rester en Russie. Avec cette ravissante brune originaire de Saratov, ils vivent toujours à Moscou. Ils ont des enfants, des amis, une maison de campagne, un jardin, des chats, un chien...
Humberto avait besoin d’argent pour pouvoir se rendre dans sa famille en Colombie. Il a donc décidé de s’inscrire dans une équipe de construction. C’est ainsi qu’il a été autorisé, en tant qu’étranger, à construire la ligne ferroviaire de la Magistrale Baïkal-Amour, puis, à l’instigation de ses amis, il a rédigé une déclaration : « Je vais en Sibérie pour aider à construire le communisme ».
« Je plaisante encore aujourd’hui en disant que c’est moi qui vous ai construit le communisme », s’amuse Humberto.
Le voyage lui a permis non seulement de gagner de l’argent, mais aussi d’enrichir considérablement son vocabulaire de la langue russe, en particulier le mat (nom donné à l’ensemble des jurons russes).
« J’étais intéressé par un vocabulaire familier vivant. Avec des cahiers, je me promenais dans la résidence universitaire de Moscou et je prenais avidement des notes sur les étudiants des différentes républiques de l’Union. Lorsqu’en Sibérie, le commandant de l’équipe de construction a appris mon intérêt pour le mat russe, il m’a envoyé dans une brigade de poseurs de traverses. Là, j’ai de suite rempli deux cahiers ! ».
Après l’effondrement de l’URSS et le début du libre-échange, de nombreuses personnes en Russie ont essayé de faire des affaires. Humberto s’est lui aussi essayé à diverses activités. Il a notamment conduit des touristes russes à l’étranger et des étrangers en Russie.
« Lorsque les touristes s’apprêtaient à prendre l’avion pour rentrer chez eux, je les avertissais à chaque fois : ne prenez pas trop de caviar noir, il y a une limite stricte à la douane. Mais les gens n’écoutaient pas, ils fourraient ces boîtes dans leur bagage à main, dans leur pantalon, dans leur chapeau. On trouvait le caviar et on exigeait de le déposer. Et puis les touristes, pour ne pas laisser les boîtes aux douaniers, me les donnaient. Vous n’allez pas le croire, nous mangions ce caviar du matin au soir », se souvient Humberto.
Toutes sortes de choses se produisaient. Racket, faillite. Finalement, Humberto est revenu à ce qui comptait le plus : la langue. Il a commencé à enseigner l’espagnol. Après avoir analysé tous les manuels existants, il s’est rendu compte qu’ils ne lui convenaient pas. Il a donc écrit le sien, ou plutôt toute une série de manuels : Planeta Español.
Dans cet autre article, découvrez le témoignage de l’Indienne Medona Tomi, docteur en ayurveda, vivant à Saint-Pétersbourg depuis plusieurs années.
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