Comment les expatriés français en Russie vivent-ils la pandémie de coronavirus?

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ERWANN PENSEC
Si la Covid-19 ne s’est que tardivement manifestée en Russie, cette dernière occupe d’ores et déjà la dixième place des États les plus touchés en termes de contamination, selon les données de l’OMS. Des Français, installés et confinés à Moscou ou en province, ont témoigné de la façon dont la pandémie a bousculé leur quotidien.

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« J’ai eu assez vite conscience de ce qu’il se passait. J’ai été reporter de guerre, dans un contexte très particulier. Le virus ressemble quelque part à cet aspect de dangerosité, de couvre-feu, avec personne dans les rues. Donc je n’ai pas mal vécu cette mise en confinement », confie Philibert*, installé à Moscou depuis 2010, et faisant partie de ces Français qui, malgré la fermeture totale des frontières du pays, ont fait le choix de demeurer en Russie durant cette crise planétaire.

En dépit d’un essor tardif, le nouveau coronavirus n’a pourtant pas épargné la terre des tsars et y a, en l’espace de quelques semaines seulement, atteint d’inquiétantes proportions. Avec, au 24 avril, 68 622 malades confirmés, la plus vaste des contrées se place en effet désormais au dixième rang des nations les plus infectées.

Une menace sous-estimée

Face à la propagation mondiale du virus, les autorités fédérales avaient en réalité dès fin janvier entrepris l’introduction de mesures diverses, à commencer par la fermeture des frontières avec la Chine, foyer initial de la pandémie. Le 25 mars, alors que le pays ne dénombrait que 658 cas de Covid-19, Vladimir Poutine a ensuite annoncé une première semaine chômée, ultérieurement reconduite, visant à réduire les déplacements et contacts des citoyens. Néanmoins, insouciants à la vue de la faible dispersion de l’infection, de nombreux individus se sont dès le samedi suivant rendus dans les parcs et autres lieux publics afin d’organiser des pique-niques. Comportements qui entraineront, dès le 30 mars, l’entrée en vigueur d’un confinement obligatoire à Moscou et sa région.

« Je crois qu’ils n’ont pas été assez fermes, ce qui est paradoxal dans un pays comme la Russie, Mais pour ceux qui connaissent bien ce pays, il y a ici un côté assez indiscipliné », interprète Philibert, qui signale une certaine indifférence générale, voire un scepticisme à l’égard de la pandémie. Selon lui, devant de nouvelles crises, ce peuple à l’histoire tourmentée a, il est vrai, pour habitude d’affirmer de manière fataliste avoir survécu à bien pire.

Ainsi, même après l’instauration du confinement, il n’était pas rare d’apercevoir dans les rues des familles entières se promener comme si de rien n'était.

« Je ne comprends pas pourquoi c’est si peu strict. Malgré le système de laissez-passer mis en place, tu peux quand même te balader à pied. Tu peux prendre les transports si tu indiques ton objectif. Je trouve que les mesures prises ne sont pas forcément à la hauteur », s’étonne par conséquent Manon, établie dans la capitale russe depuis quatre ans.

Julien, habitant la petite ville de Belebeï, en République du Bachkortostan, non loin de la frontière kazakhe, témoigne lui aussi de la faible préoccupation initiale des locaux : « Tout se produit avec un temps de décalage. Au début, les gens ne se sentaient pas forcément concernés, trouvaient que c’était loin, que ça n’allait pas arriver jusqu’ici », décrit-il, soulignant toutefois avoir récemment noté un meilleur respect, par la population, du confinement ainsi que des distances entre individus dans les magasins.

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Un impact professionnel considérable

De par son ampleur, la pandémie n’a par ailleurs pas tardé à se répercuter sur l’activité de ces expatriés. Passée au télétravail, Manon, directrice marketing au sein de Tsar Voyage, agence spécialisée dans la vente de produits touristiques en Russie pour une clientèle majoritairement francophone, fait état de la mise en difficulté actuelle de son entreprise.

« L’industrie du tourisme a été la première impactée, ce qui fait que depuis plus d’un mois maintenant, on n’a aucun client. Et qui dit zéro client, dit zéro rentrée d’argent, déclare la jeune Nantaise. On a donc dû se mettre en mode survie, limiter le travail d’énormément de personnes, limiter nos salaires, pour ne pas couler, pour que la société ne ferme pas. C’est assez difficile, on est en train de perdre toute notre haute saison, qui représente une bonne partie de notre chiffre d’affaires ».

Manon et ses collègues redoublent par conséquent d’inventivité pour stimuler leurs clients, fidèles ou potentiels, notamment par le biais des réseaux sociaux, en tâchant « de continuer à les faire voyager, mais depuis chez eux ». Une parade qui n’est néanmoins pas accessible à tous, comme le démontre la délicate situation de Philibert.

Autoentrepreneur ultra-polyvalent, il exerce tant comme professeur de dégustation œnologique et de français que comme guide touristique et vendeur indépendant de fromage. Or, ateliers, foires, visites et salons ayant été annulés dans leur totalité en raison du confinement, ce père de famille se retrouve aujourd’hui privé de salaire.

« J’ai perdu l’ensemble de mes revenus, c’est très impactant. Il est possible que si j’arrive à rentrer en fin de crise en France, pour aller faire une campagne de vendanges, à l’ancienne, ce sera peut-être ma planche de salut, confie-t-il. Heureusement, mon épouse a un très bon salaire et peut faire bouillir la marmite, mais je suis dans une situation très peu confortable, le virus a eu un impact terrible dans mon cas ».

De son côté, Julien, jeune ingénieur au sein d’une fromagerie, observe lui aussi des changements survenus sur son lieu de travail :

« À l’entrée de notre site et à différents points stratégiques, on a installé des distributeurs de gel hydroalcoolique. Tout le monde doit obligatoirement porter un masque pour travailler et il y a un contrôle de la température de toutes les personnes qui rentrent le matin », décrit-il, ajoutant qu’un important recours au télétravail est effectué, seuls les employés dont la présence s’avère indispensable ayant à se rendre sur place.

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Un quotidien chamboulé

En dehors de sa routine professionnelle, cet originaire de la métropole lyonnaise est également confronté à des perturbations d’ordre personnel.

« J’avais prévu de me rendre en France au mois de mai, pour revoir ma famille etc, mais évidemment cela ne va pas être possible », livre-t-il, précisant être en outre privé de ses loisirs habituels, tels que ses séances à la salle de sport et son déjeuner du week-end dans l’un de ses cafés favoris. Pour seul réconfort, une coupe de cheveux, les coiffeurs de Belebeï ayant eu l’autorisation de rouvrir leurs portes.

Philibert a quant à lui vécu quelques moments épiques au début de la pandémie. En effet, sa femme, gouvernante au sein d’une riche famille, a vu son employeur devenir l’un des premiers patients atteints de Covid-19 en Russie. Renvoyée chez elle, à l’instar de l’ensemble du personnel, elle s’est vue dans l’obligation de se placer en quarantaine dans une pièce en attendant l’arrivée des résultats du test de dépistage. En parallèle, c’est ainsi à Philibert qu’a incombé la tâche de désinfecter et de nettoyer l’ensemble du foyer. Plus de peur que de mal cependant, les analyses s’étant finalement avérées négatives.

Pour ce qui est de Manon, adepte des sorties entre amis, elle dû, non sans mal, renoncer à ce plaisir.

« D’habitude je suis tout le temps dehors et très active, et là, de me retrouver chez moi, ce n’est pas forcément évident. C’est pour ça que je me force à avoir une certaine routine, à faire de l’exercice tous les jours pour me fatiguer et essayer de garder un rythme correct, relate-t-elle. Je sens que j’ai envie de sortir, mais vu le temps, ce n’est pas trop difficile de rester chez soi quand il pleut ou qu’il neige ».

Avec l’un de ses colocataires, un Allemand, elle a d’ailleurs entrepris de réaliser chaque jour une courte vidéo divertissante, qu’elle envoie ensuite à ses proches.

« Paradoxalement, partout, en France ou en Russie, le fait d’être tous dans la même situation, ça crée peut-être de la solidarité et les gens sont peut-être plus disponibles pour parler et échanger qu’avant le début de la crise. Donc il n’y a peut-être pas que des aspects négatifs », conclut à ce propos Julien, admettant, malgré les milliers de kilomètres, garder un lien avec la France grâce aux technologies modernes.

* À sa demande, son identité a ici été modifiée.

Dans cet autre article, des Russes, contaminés au coronavirus, racontent leur hospitalisation et placement en quarantaine.