En août, le parc VDNKh, dans le nord-est de la capitale, a accueilli le Festival russe du fromage, un événement des plus symboliques puisque coïncidant presque aux quatrième anniversaire de l’embargo alimentaire, décrété le 6 août 2014 par Vladimir Poutine.
Plus de 50 fromagers originaires de 20 régions du pays ont, en cette occasion, fait la promotion de leur production. Ont également été organisés ateliers gastronomiques, concours du meilleur fromage, et autres conférences et discussions au sujet de ce délicieux produit laitier.
Par ailleurs, l’Hexagone étant l’une des grandes nations fromagères, il n’est pas surprenant d’avoir assisté dans ce cadre à la venue d’une délégation française. Ces spécialistes au savoir-faire aiguisé en ont profité pour, une semaine durant, visiter diverses exploitations agricoles et rencontrer différents décideurs et acteurs locaux de ce secteur en pleine ébullition.
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L’importation de fromages français, italiens et néerlandais notamment ayant été proscrite en réponse aux sanctions imposées par les États-Unis et l’Union européenne, la Russie s’est retrouvée dans l’obligation de développer ses propres filières de production. Depuis quelques années, un véritable essor de certaines filières agroalimentaire nationales est par conséquent constaté, et le fromage n’y fait pas exception.
« Les Russes sont des grands amateurs de fromage et cette histoire d’embargo a créé quelques problèmes, mais je pense que c’est surtout une chance pour la Russie, puisque ça a obligé les gens à combler le vide. Grâce à ça on voit émerger des fromagers et certains commencent à faire de très bons produits », commente Christian Merle-D'Aubigné, l’un des fondateurs de la Guilde russe des fromagers, structure cherchant à fédérer les amateurs du fromage en Russie et à y promouvoir le modèle des fermes familiales.
Si lors de leur séjour, ces experts ont eu l’occasion de déguster d’excellents produits, et notamment des équivalents locaux du gorgonzola, du fromage de chèvre et du langres, ils ont toutefois noté un fréquent manque de maîtrise de l’affinage, que ce soit au niveau du contrôle de la température ou de l’humidité, rendant par exemple difficile l’art de la formation de croute. De plus, selon eux, il est à présent primordial que la Russie se mette en quête d’une identité propre.
« On s’aperçoit en fait qu’ils ont étudié les fromages d’Europe, mais qu’ils n’ont pas su retrouver leurs traditions anciennes de vrais fromages qui existaient en Russie, avance en effet Gérard Petit, Meilleur Ouvrier de France fromager et responsable de l’Institut international du fromage. Je pense qu’il faut qu’ils se réapproprient quelque chose qui existait dans le temps. Je pense qu’il y avait des fromages un peu sec, en pâte pressée, puisque j’ai découvert des moules à fromage, des outils qu’on a aussi en France pour les fromages de garde, bien qu’un peu différents ».
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Et d’ajouter : « C’est compliqué il faudrait vraiment aller dans le passé pour voir ce qu’ils faisaient. Et est-ce que les Russes aujourd’hui sont prêts à manger les fromages du passé ? Ils peuvent améliorer ce qu’ils font actuellement pour leur donner une personnalité autre ».
Convaincus du potentiel de la Russie en la matière, les différents intervenants mettent en avant l’immensité de son territoire, permettant naturellement l’expansion de la production. Ils notent toutefois que cela sous-entend l’existence d’une demande suffisante, et à cet égard, l’exportation semble, à terme, être une solution envisageable.
« Les fromageries françaises seraient vendeuses de ce fromage s’il avait une caractéristique russe bien identifiée. Justement, j’ai proposé à certains producteurs fermiers de prendre leurs fromages au sein de ma boutique. Cela permettrait de faire découvrir aux Français ce que les Russes sont capables de faire. On a des fromages étrangers chez nous, pourquoi pas des fromages russes ? », déclare ainsi Pascal Luc, crémier, fromager, affineur et propriétaire d’un point de vente dans le VIIe arrondissement de Paris.
Au cours de son voyage, la délégation française a eu l’opportunité de découvrir différentes fermes situées dans la région de Moscou et aux alentours. Si certains efforts et investissements sont encore nécessaires en matière de gestion des déchets organiques des animaux, de rénovation des bâtiments, ou encore de réhabilitation des terres abandonnées, les fromagers russes semblent globalement suivre le bon chemin.
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« Ils ont un superbe territoire, ils n’ont plus qu’à réaliser des bâtiments qui correspondent à l’hébergement des vaches, des chèvres. On en a visité un hier qui était extraordinaire, qui vient d’être refait complètement. Même en France il y a beaucoup de fermiers qui n’ont pas ça, confie Gérard. Ils ont un potentiel d’animaux énorme car ils peuvent avoir 500 ou 1 000 vaches, chez nous ce n’est pas possible ».
Cette modernisation de l’industrie fromagère pourrait d’ailleurs se réaliser grâce à l’aide des autorités locales, dont ces visiteurs venus de France ont rencontré plusieurs représentants, tels que les ministres de l’Agriculture des régions de Riazan et de Moscou.
« Nous sommes sur la même ligne », résume Gérard Petit, dont l’avis est rejoint par Christian Merle-D'Aubigné : « Il en est ressorti que, maintenant, les différents ministres des régions commencent à s’intéresser justement aux petites exploitations familiales. Avant, ils ne parlaient que d’agro-business, de grosses structures, sur le modèle américain. Et là, ils ont mis en place toute une série d’aides à l’installation et je pense qu’on est vraiment sur la bonne voie. En Russie vont donc pouvoir vivre deux systèmes : celui des fermes à 5 000 vaches et celui, comme en France, des exploitations familiales ».
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Cette assistance venue d’en haut, la délégation française a pu en comprendre la portée au travers de l’exemple de Philippe Camus. Cet agriculteur a en effet fait le choix audacieux de quitter son exploitation normande pour traverser le continent et s’installer dans le petit village de Lotochino (152 kilomètres au nord-ouest de Moscou). Bourgade qui, riche d’anciennes traditions laitières, arbore d’ailleurs un fromager sur son drapeau municipal. Ici, il ambitionne de créer un cluster de fromagers français. De plus, s’il comptait auparavant opter pour la race bovine française des pies rouges des plaines, il s’est finalement reporté sur la kostroma, afin de prouver que les vaches russes étaient, elles aussi, en mesure de produire un lait de qualité.
Ainsi, si un considérable travail de fond reste à entreprendre pour que le marché fromager russe atteigne sa maturité, les espoirs sont nombreux.
« On peut faire quelque chose de merveilleux en Russie, on pourrait y faire les meilleurs fromages du monde parce que la terre est pure, on a vu des grenouilles partout, on se retrouve aux origines, on est très optimistes », s’enthousiasme enfin Christian.
« Moi si j’avais 25-30 ans, je serais venu tout de suite », plaisante même Gérard.
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Les producteurs pourraient par ailleurs ne pas être les seuls à profiter de cet essor de l’industrie fromagère russe. En effet, des entrepreneurs des plus divers tentent à leur tour de surfer sur la vague. C’est le cas de Valentin Pasquier, jeune cuisinier suisse s’étant établi à Moscou il y a un an.
Ce jeune homme a développé sa propre société, « Buffet Raclette ». Le concept ? Se positionner comme une marque de street-food se basant sur l’utilisation de fromages locaux de haute qualité, le tout, en misant sur l’aspect écologique et éthique.
« On a regardé en France si on pouvait lancer ça, même en Suisse, mais il y a tellement de concurrence. En Russie, si on a de bonnes idées et un concept qui tient la route, on peut vite faire quelque chose, c’est l’avantage », assure-t-il.
Si son activité s’est pour l’instant limitée à quelques festivals culinaires, ce passionné de cuisine espère bien développer son entreprise et a d’ores et déjà entamé des démarches en vue de potentiels partenariats, et notamment auprès de la chaîne de magasins fermiers Syr i Maslo (Fromage et Beurre), au sein desquels il souhaiterait ouvrir de petits stands. Côté fromages, malgré sa récente installation, Valentin constate d’ores et déjà une évolution de leur qualité.
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« Il y en a un par exemple qui ressemble à un reblochon et qui est bien meilleur que lui, qui est crémeux et puissant. Ils commencent à faire des choses vraiment sympas. Après, on les aiguille, on leur dit qu’il faut l’affiner un peu plus, qu’il faut changer les ferments, et on arrive à développer de bonnes choses », illustre-t-il.
Originaires du Lot, Pascale et Philippe Fraunié ont également fait le déplacement en Russie. À la tête de l’entreprise familiale Lendou Bois Emballage, ils conçoivent et fabriquent des packagings et conditionnements alimentaires de présentation, en peuplier : caisses, plateaux, boîtes à couvercle et autres assiettes de dégustation. S’ils ont pénétré les marchés d’Europe du Nord, d’Italie, du Canada, des États-Unis, ou encore de Suisse, c’est à présent le pays des tsars qu’ils ont en ligne de mire.
« Il y a matière à faire, s’exclame Pascale, dont la société est d’ores et déjà partenaire du Mondial du fromage à Tours ainsi que du Concours fromager de la Lyre d’Or. L’idée était d’accompagner nos amis et clients fromagers pour voir si on ne pouvait effectivement pas faire bénéficier les fromagers russes de notre offre ».
Ayant bien préparé sa venue, le couple a ainsi offert à plusieurs professionnels russes des échantillons de leur gamme, estampillés du nom et logo de ces derniers. S’il faut que l’idée fasse encore son chemin, les magasins Syr i Maslo se sont d’emblée montrés fortement intéressés par leurs présentoirs, d’autant plus que les deux Occitans, gérant l’entier processus de fabrication, se disent tout à fait prêts à s’adapter aux besoins du marché local.
Enfin, ils évoquent une possible future création d’un pavillon russe au sein du Mondial du fromage de Tours. Si cette idée venait à germer, cela pourrait être un moyen supplémentaire de familiariser l’Hexagone à cette prometteuse industrie fromagère venue de l’Est.
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