Comment fonctionne le «face control» dans les boîtes de nuit russes?

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Pendant les années 1990 et 2000, le contrôle à l’entrée était un attribut indispensable de la vie des nightclubs russes. Et ce, à tel point que ce phénomène s’est infiltré dans la culture de masse et que les personnes scrutant l’apparence à l’entrée des établissements sont devenues des héros de la rubrique People. La rédaction est allée inspecter dans quelle mesure ce processus reste d’actualité dans le Moscou contemporain.

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Deux blondes vêtues de leggings en cuir guettent devant l’entrée du club ICON sans oser s’approcher du point de contrôle. Avec une amie, on attend aussi non loin des lieux, mais dans le but de recueillir des informations pour cet article.

« Jeunes femmes, vous venez au club ? », s’adresse à nous avec un sourire agréable un jeune homme de 25 ans environ, vêtu d’un costume et d’un manteau.

« Oui, mais pourquoi ? »

« L’entrée est à 3 500 roubles (50 euros), une table à partir de 30 000 roubles (425 euros). Car il sera difficile de passer le contrôle », dit-il en jetant un regard sur nos doudounes et bottes sans talon. « Promoteur », lit-on sur la carte de visite qu’il nous tend.

« Bon essayez, puis revenez vers moi », nous lance-t-il avant de mettre le cap sur les deux blondes.

Les gens commencent à affluer et une vingtaine de personnes piétinent près de l’entrée. Toutefois, l’on n’y observe aucune trace de glamour et il est impossible de comprendre les principes régissant la sélection. Ainsi, un jeune bien habillé et, à en juger par sa coiffure, tout juste sorti de chez le barbier, se voit refouler sans aucune justification, tandis qu’une minute plus tard un homme à l’apparence plus qu’ordinaire se voit autorisé d’entrer. Juste après lui, on laisse passer deux jeunes femmes en basquets et vêtues de pantalon large couleur argent. Une langue étrangère, apparemment l’italien, résonne du côté de la zone VIP. Nous tentons notre chance, mais nous heurtons à un refus.

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« Mais qu’est-ce que je vous ai dit ? Vous voulez que je vous aide à passer ? », nous dit le promoteur qui semble vouloir à tout prix vendre les billets d’entrée. Après notre refus, il se redirige vers les blondes.

« Nope, on va maintenant faire connaissance avec quelqu’un et passer », lui répond l’une d’entre elle. L’autre allume avec des mains tremblantes une cigarette.

Tandis qu’elles continuent à attendre depuis une quarantaine de minutes, nous prenons congé.

Pacha-Facecontrol et le club où il est impossible d’entrer

Si aujourd’hui le mot « glamour » s’applique très peu aux accoutumés des clubs de la capitale, les choses étaient bien différentes il y a encore 10 ans. À l’époque, entrer dans un établissement au contrôle très strict était une sorte de culte pour les Moscovites branchés. Or, il fallait s’habiller et se maquiller d’une manière appropriée.

« Je suis suffisamment sexy ? Tu me laisseras entrer ? », demandait sur un ton osé l’héroïne de Club, cette série populaire pendant les années 2000.

« Oui, tu as fait des efforts, mais tu as oublié le maquillage. Et où est la manucure ? Pas prête ? Va », répondait le vigile, cachant à peine son rire.

En effet, la boîte de nuit montrée dans la série était une parodie de l’établissement Shambhala, ouvert à Moscou en 2001 (et fermé depuis). Il s’agissait d’un projet du principal promoteur et propriétaire des clubs de la capitale, Alexeï Gorobiy. C’est cette institution qui a jeté les bases de la vie glamour de Moscou – des queues se formaient devant ses clubs invitant des DJs étrangers et proposant des tables en terrasses des plus onéreuses.

Le club Diaghilev, appartenant à ce même Gorobiy, a joui d’une popularité encore plus importante. Il se distinguait par des loges situées aux étages supérieurs et rappelant un amphithéâtre. Une place y coûtait des dizaines de milliers de dollars. Ceux qui y sont allés, se souviendront sans doute de foules de célébrités et de jeunes femmes devant l’entrée.

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Pacha Facecontrol (de son vrai nom Pitchouguine) était l’un des symboles du club. De ses propres aveux, Pacha laissait entrer dans l’établissement les hommes d’affaires venus à bord de véhicules chers, les travestis et les jeunes femmes qui cousaient elles-mêmes leurs vêtements.

Un jour, il a vendu une table du Nouvel An à 40 000 euros. Cela étant dit, il pouvait interdire l’entrée à une vedette ou à un fonctionnaire d’État. Son image de face-contrôleur sévère a laissé une empreinte sur le monde du show-business russe, si bien que DJ Smash lui a même dédié l’un de ses clips, le rendant célèbre à travers le pays.

Le Diaghilev a été dévoré par les flammes en 2008, après quoi Gorobiy a lancé plusieurs autres projets avant de décéder en 2014 en Bolivie des suites d’un infarctus. Le 10 novembre 2019, c’est Pacha qui a quitté ce monde. Il n’avait que 38 ans.

Les nouvelles règles du contrôle

« Aujourd’hui, on laisse entrer à ICON les jeunes filles en mini-jupes et à talons et les mecs ventrus, souvent des étrangers qui se paient une fille pour une nuit. Avant en entrant dans un club on avait un sentiment d’exclusivité, maintenant il n’y a plus de contrôle humain », se plaint Diana, un mannequin.

Son amie Maria soutient par ailleurs que le temps du face control strict en Russie est révolu.

« Pour entrer, il suffit d’être propre, majeur et sobre. Même si on ne vous laisse pas passer, il y a toujours d’autres endroits », assure-t-elle.

Mais, poursuit-elle, à Gipsy, cet autre club branché, la situation est très différente et les vigiles optent pour une jeunesse active habillée à la mode.

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À l’entrée du Gipsy, on n’observe pas de foule. Deux contrôleurs expliquent à un groupe de Chinois qu’ils peuvent entrer s’ils achètent des billets pour un concert du rappeur LSP. La musique résonne, se mêlant aux cris des fans. Les Chinois tendent une somme d’argent aux vigiles et passent. Nous, on se voit également proposer de nous procurer des billets.

Alternatives aux clubs branchés

Pour ceux qui, pour une raison ou une autre, se voient refuser l’entrée au Gipsy, il y a des endroits plus authentiques. À l’entrée du club Rock-n-roll bar, populaire chez les jeunes, se dressent un jeune homme et une jeune femme très fine, tous deux vêtus d’un t-shirt noir. La mélodie de Personal Jesus de Depeche Mode, est audible depuis l’extérieur.

Une jeune femme en manteau classique essaie de les persuader de la laisser entrer avec ses deux amies. Mais les causes du refus sont évidentes. Le collant glisse systématiquement de la jambe de l’une des trois, qui parvient à peine à se tenir debout. Par souci de rendre son amie plus présentable, la troisième jeune femme essaie de le lui remonter.

« Je vous aurais laissées entrer, mais votre amie doit rentrer chez elle et dormir. C’est interdit aux personnes ivres », explique gentiment la jeune femme à l’entrée.

« Mais qui se saoule la gueule aussi vite ? Viens, l’ivrogne », lance non sans irritation l’une des trois, et elles prennent la route du métro.  

À 30 minutes à pied se trouve encore un club, Maïak. Ouvert en 1993 il fait partie des plus anciens de la ville. Alors, il se positionnait comme un lieu de rencontre d’artistes, journalistes, acteurs.

Dès l’entrée, on voit une jeune femme éméchée chanter du jazz. La plupart des visiteurs dorment déjà et toute l’ambiance rappelle celle d’un mariage bon marché.

« L’essentiel, c’est que le visiteur ne soit pas trop bourré. Sinon on laisse entrer tout le monde. Montrez vos pièces d’identité », nous dit l’un des deux vigiles.

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Quelques jours plus tard, j’ai reçu un texte de la part du promoteur d’ICON.

« Écris-moi lorsque tu auras envie de venir, je fais des tables et des promos sur des boissons gratuites », m’a-t-il écrit.

« Et le contrôle ? » 

« On s’arrangera, il faut bien faire rentrer l’argent », m’a-t-il répondu.

Russia Beyond a contacté tous les clubs mentionnés dans le texte. Aucun n’a répondu à sa requête d’information. 

Dans cet autre article, nous vous présentons cinq boîtes de nuit prouvant que Moscou est un paradis de la techno. 

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