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En discutant de la notion de « rêve russe » au sein de l'équipe éditoriale de Russia Beyond, nous avons vite compris que nous avions tous en tête quelque chose de similaire, mais que chacun le décrivait à sa manière. Voici donc trois visions exprimées par nos journalistes russes.
« Tous les citoyens russes auront trois ans de vacances aux Canaries ! »
Cette phrase est l'incarnation amusante du rêve russe que l'on peut trouver dans Chirli-Myrli, une comédie de 1995 sur la fin de l'ère post-perestroïka. Un seul des personnages du film, Lucienne, l'épouse du protagoniste, dit raisonnablement : « Pourquoi diable devrais-je en avoir quelque chose à faire de ces îles Canaries, je viens juste de mettre mon linge dans la machine à laver ! ».
Ce dialogue, à mon avis, résume parfaitement le rêve russe. C'est génial de rêver de quelque chose de grand et de beau, quand c'est encore un rêve. Mais lorsque cela commence à devenir réalité, mille raisons et questions distrayantes apparaissent. S’amuse-t-on aux Canaries ? Qu'est-ce qu'on peut y faire ? Et où serons-nous après la fin de ces trois ans de vacances ? On retournera en Russie ou quoi ?
Les serfs russes ont durant des siècles rêvé de liberté. Ils se sont révoltés et ont protesté, certains d'entre eux ont même tué leurs maîtres et se sont battus contre la loi. 30 ans après l'abolition définitive du servage, ces paysans russes qui étaient autrefois des serfs (environ 9 millions) avaient encore une éthique du travail de... eh bien de serfs. Les historiens ont calculé qu'après la réforme du servage en Russie, les travailleurs à salaire libre travaillaient plus efficacement que les paysans qui étaient d'anciens esclaves. Les travailleurs salariés étaient motivés par l'argent et les pénalités pour ne pas avoir terminé le travail à temps. Les anciens serfs, qui étaient maintenant obligés de subvenir à leurs besoins, travaillaient encore comme s'ils servaient encore leur propriétaire, ne faisant que le strict minimum de travail, sans avoir conscience qu’en fait, ils se volaient eux-mêmes par oisiveté.
Parce qu'un Russe a besoin d'un rêve brillant, beau et inatteignable, dès que celui-ci devient réalisable, il n'est plus aussi fantastique et attrayant. Peut-être parce qu'il faut travailler pour obtenir des résultats ? Quel ennui, n'est-ce pas ? Heureusement, nous avons toujours autour de nous une femme travailleuse et terre-à-terre, qui dira : « Hé, chéri, laisse tomber ces bêtises, on a des enfants à nourrir. Au travail ! ».
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Selon moi, le rêve russe a toujours été fait de choses petites mais réalisables. Adopter un chien, voyager à l'étranger, acheter une petite maison de campagne, etc. Mais souvent ces rêves ne se réalisent pas pour deux raisons : 1) le manque d'argent, 2) la non-préparation au changement.
J'ai un tas d'amis qui ne rêvent que d'acheter une maison, d'y déménager, d'adopter un chien et de vieillir en paix. Mais ils trouvent mille raisons qui les empêchent de le faire : « Je dois gagner plus d'argent, donc je dois changer de job, et le nouveau travail pourrait être loin de chez moi, et qu'en est-il des collègues là-bas... alors peut-être, au diable tout ça ? ».
Ainsi, la majorité des Russes ne sont pas prêts à sortir de leur zone de confort pour réaliser même un rêve simple et réaliste. Par exemple, selon un récent sondage, seulement 6 % des Russes sont partis en vacances à l'étranger en 2018.
Se pourrait-il que le rêve russe soit exactement cela, se lever du canapé et commencer à faire quelque chose ?
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Quand j'entends les mots « le rêve russe », c'est difficile de les séparer du concept américain moderne. Je pense que cela se produit parce que, pour la première fois depuis un certain temps, un pays (les États-Unis) a réussi à marier l'idée de la liberté individuelle et de poursuite de l'enrichissement avec celle de la santé d'une nation. En d'autres termes, en Amérique, votre désir personnel de posséder des choses est synonyme avec le « chemin » national. C'est une façon très puissante de construire une identité nationale.
La Russie est différente, et alors que l'expression « chemin national » nous est répétée sans cesse (Dieu, famille, sacrifice, service national), le concept de « rêve national » n'apparaît guère dans la conversation, à moins que deux personnes ne parlent des États-Unis. Pourquoi est-ce que c'est comme ça ? Parce que dans notre culture, l'individu est absorbé par l'idée nationale. Son « rêve » est relégué au second plan. C'est pourquoi, pour nous, ou pour moi personnellement, c'est une expression purement américaine.
Les processus historiques ayant forgé la mentalité russe ont conduit à un manque de motivation, qui est renforcé par l'absence de promesse d'une juste compensation de nos efforts. Par conséquent, contrairement à l'Amérique, nous n'avons qu'un « chemin » national, c'est-à-dire ce qui devrait (théoriquement) nous rendre tous heureux collectivement, une approche très orientale.
Mais, parce que la Russie est prise en sandwich entre l'Est et l'Ouest géographiquement (et donc culturellement), nous sommes également enclins à la désobéissance et à la révolte. La différence ici est que notre « poursuite du bonheur » et des gains individuels n'est pas synonyme du chemin national, mais plutôt une tentative de surmonter les injustices systémiques en faisant tout ce que l’on peut pour arriver aux mêmes résultats matérialistes qu'une nation capitaliste occidentale : une voiture cool, une maison et tous les autres biens. Les Russes sont des « arnaqueurs ». Nous faisons ce que nous pouvons pour nous emparer d’une part du gâteau, ce n'est juste pas inscrit dans notre Constitution, contrairement aux États-Unis.
Par conséquent, pour moi, le concept d'un « rêve russe », distinct de tout autre désir humain normal d'enrichissement, n'existe pas.
Dans cet autre article, retrouvez le témoignage d’étrangers, pour qui le « rêve russe » s’est exaucé en s’installant dans la province du pays.
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