Trois conversations surréalistes avec ma petite copine russe

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BENJAMIN DAVIS
Un écrivain américain vivant à Saint-Pétersbourg raconte ses conversations souvent mystérieuses et hilarantes survenues avec sa petite amie russe.

Ma petite amie et moi sommes ensemble depuis plus d'un an maintenant. Je suis américain et elle est russe. Elle s’appelle Y. Nous communiquons presque exclusivement en anglais car je ne trouve rien de particulièrement romantique à trébucher sans cesse sur la belle voie, pourtant parsemée d’épines, de la langue russe.

Or, j'ai remarqué qu'un type de conversation récurrent se répète encore et encore. Je prends alors conscience que ma compagne est parfois complètement et totalement folle. Mais c’est mon problème, pas le sien.

Y. avait des pansements au bout des doigts.

« Pourquoi tu as des pansements? »

Elle a tenu ma main et a dit : « Je me fais faire les ongles demain, donc je veux que rien ne leur arrive avant. 

- C'est bizarre.

- Non, ce n'est pas bizarre ».

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Je me suis versé un gin tonic. Elle a regardé ses doigts. « Tu me conseilles quelle couleur ? ».

J'ai haussé les épaules : « Noir ? 

- Euh, non.

- Rouge?

- C'est l'été.

- Et alors ?

- Alors, quelque chose d’estival ».

J'ai essayé de penser à l'été : « Des pastèques ? ».

Elle a froncé les sourcils : « Blanc ».

« Tu vas les peindre en blanc ? »

Elle a acquiescé.

« Tu réalises qu'il y a une équation mathématique quand tu me demandes mon opinion ?

- Quoi ?

- Ben oui, ça se passe comme ça : demander mon opinion + suggestions au carré = l’opinion de Y. Ça donne l’avis que tu as eu tout le temps ».

Elle a croisé les bras. « Tu aurais pu simplement dire "blanc" ».

J'ai pris sa main, regardé ses doigts bandés et soupiré : « Comment pourrais-je savoir que tu voulais entendre "blanc" ? Si je savais que tu voulais entendre "blanc", alors j’aurais dit "blanc", mais tu ne m’as pas dit ce que je devais dire, alors pourquoi ne pas simplement dire que tu vas te faire les ongles en "blanc" ? Pourquoi as-tu même besoin de me demander mon avis ? 

- Je n'ai pas besoin de ton avis !

- Alors pourquoi le demander ? ».

Elle m’a jeté un regard qui m’a renvoyé à mon enfance, alors que le monde entier était un mystère et que j'étais le seul qui semblait ne rien savoir. Elle m’a regardé et elle a dit : « Je n'ai pas besoin de ton opinion, j'ai besoin que tu confirmes mon opinion ».

J’ai ensuite commencé à rechercher d’autres thèmes peu communs dans les conversations que nous avions eues et j’en ai trouvé un nouveau, être trop réaliste à propos de l'argent : le type de conversation où les choses que je crois être convenables et comprises dans le monde sont considérées comme enfantines et naïves. Comme dans cette situation :

Au cours de l'une des vagues touristiques estivales à Saint-Pétersbourg, Y. m’envoie une vidéo via Facebook avec le commentaire « WTF ? ».

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Lorsque je l'ai ouverte, j'ai vu un homme plonger frénétiquement dans l'un des canaux alors que les passants s'arrêtaient pour regarder. Il avait l'air d’être un sans-abri.

« WTF ? », ai-je écrit en réponse.

« J'ai demandé à mes parents, m'a-t-elle dit. Ils ont dit que c'était l'endroit où les Européens allaient jeter de l'argent et qu'il allait prendre les pièces de monnaie ».

Encore une fois, j'ai écrit « WTF ? » Et elle a répondu: « Nous devons y aller ! Les Européens sont si stupides »

« WTF? »

« Pas vrai ? Ce mec doit être riche maintenant, un euro équivaut à 75 roubles. Pouvons-nous y aller demain et repêcher de la monnaie ? Nous gagnerons tellement d’argent… »

À ce moment, je n’ai pas pu m'empêcher de secouer la tête et de lui répondre : « Non, nous avons plein d’argent, je ne vais pas me jeter dans ce foutu canal pour quelques euros ».

Mais elle n’a pas compris : « Ils ne font que dilapider de l'argent !, a-t-elle protesté. À quoi sert cet argent dormant au fond d’un canal ? ».

Je n’avais pas vraiment de réponse, alors au lieu de cela, j’ai simplement demandé quel film elle aimerait voir demain soir et espéré que ce sujet ne reviendrait pas.

Apparemment, contrairement aux deux conversations précédentes, je me retrouve souvent assis, dans le rôle d’un enfant, alors que ma copine m'explique une vérité de l'univers que je dois respecter, telle que regarder dans le miroir si je reviens soudainement chez moi après être parti, m'asseoir avant de partir en voyage ou… prendre des douches de sel.

C'était l'hiver à Saint-Pétersbourg. J’étais dans ma chambre et je regardais le radiateur. Je lui ai donné un coup de pied, ce qui n’a fait que causer une vive douleur à mon pied froid. Quelqu'un a sonné. Je me suis dirigé vers la porte et j’ai laissé Y. entrer. Elle est passée droit devant moi, filant tout droit en direction de la cuisine. J'ai boité derrière elle.

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« Tu as un problème ? ai-je demandé alors qu'elle fouillait dans mes armoires.

- Tu as du sel ? »

J'ai haussé les épaules. « C'est une cuisine ».

Elle a levé les yeux au ciel et continué à regarder. Je me suis assis et j'ai commencé à me frotter les orteils.

« Pourquoi as-tu besoin de sel ?

- J'ai besoin de prendre une douche ».

J'ai arrêté de me frotter le pied. « Quoi? »

« Je dois prendre une douche, une douche de sel ».

J'ai complètement oublié mon pied. « Bon sang, qu'est-ce que ça signifie? ».

« Je dois prendre une douche avec du sel, a-t-elle dit en trouvant le sel derrière une boîte de thé. « Une con*e en classe m’a fait beaucoup trop de compliments ».

Je ne savais pas quoi demander ensuite, alors j’ai juste dit : « Hein ? »

Elle a enlevé sa veste et l’a jetée sur une chaise.

« Elle m'a jeté le mauvais œil, alors j'ai besoin de prendre une douche avec du sel. Personne ne vous complimente autant à moins d’avoir l'intention de vous faire du mal, alors vous devez vous doucher avec du sel pour vous protéger contre le malheur ».

Elle a correctement lu l’expression de mon visage confus et a expliqué : « Mon frère doit le faire tout le temps - il est très beau, il doit donc prendre des douches de sel quand les femmes au travail le draguent, car elles iront chez une voyante et tenteront de l’envoûter pour qu'il tombe amoureux d’elles. Mais il aime sa femme ».

« Hum… »

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Je baissai les yeux sur mon pied, il était meurtri autour de l’ongle et saignait un peu. Y. l’a regardé plus près.

« Le gouvernement n'a pas encore allumé le chauffage ? ».

J'ai soupiré : « Non. Est-ce qu'on peut envoûter le gouvernement ? ».

Elle a secoué la tête : « Je suis sûre qu’ils n’oublient jamais leurs douches salées. Au cas où, ils gardent un shaker juste à côté du savon ».

Sur ce, elle a pris la boîte de sel et s’est dirigée vers la salle de bain. Je suis retourné dans ma chambre pour regarder d'un air maussade mon radiateur froid et mort. 

Benjamin Davis est un journaliste américain, auteur de The King of Fu, vivant à Saint-Pétersbourg, en Russie, où il a passé une année à travailler avec l’artiste Nikita Klimov sur leur projet Flash-365. À présent, il rédige principalement des micronouvelles magico-réalistes au sujet de la culture russe, des mésaventures autodévalorisantes et des babouchkas, en partageant ses exploits par le biais de l’application Telegram.

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