Veliki Novgorod, un phénomène unique de la Russie ancienne

Veliki Novgorod était très différente des autres villes de la Russie ancienne (Rus’) dans presque tous les domaines. L’histoire de son ascension et de sa chute a constitué pendant des siècles une source d’inspiration pour le monde de la culture et les partisans de la démocratie.

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Attirant marchands et marins venus de terres lointaines, Novgorod, un avant-poste situé au nord-est de la Russie, ne ressemblait à aucune autre cité du pays. Traditionnellement, les villes se développaient autour d’un centre, souvent une forteresse. Quant à Novgorod, elle est née de la fusion de trois colonies où vivaient des tribus différentes. C’est par rapport à elles qu’elle est devenue une « ville nouvelle » - car tel est le sens du mot « Novgorod ».

Aux XIVe et XVe siècles, à son apogée, Novgorod contrôlait des territoires s’étendant de la mer Baltique à l’ouest aux monts Oural à l’est, et de la mer Blanche au nord jusqu’aux sources de la Volga au sud.

Une ville marchande

Veliki Novgorod du XVIIe siècle, 1901

C’est au commerce, base de sa prospérité, que Novgorod doit sa grandeur. Les artisans de Novgorod - tisserands et tanneurs, bijoutiers et souffleurs de verre, potiers et fondeurs, armuriers et serruriers - étaient célèbres dans toute la Russie. Grâce à la Baltique, Novgorod entretenait des liens commerciaux actifs avec l’Europe occidentale. Dès le milieu du XIIe siècle, une représentation de marchands de l’île de Gotland, grand centre commercial de la mer Baltique, est apparue à Novgorod. Au XIIIe siècle, les Novgorodiens ont également ouvert une représentation à Gotland, construisant une cour commerciale et l’église orthodoxe Saint-Nicolas, qui prospéra pendant deux siècles.

À la fin du XIIIe siècle, une représentation des marchands hanséatiques est apparue à Novgorod. La Ligue hanséatique, la plus grande association de villes marchandes d’Europe du Nord, ne disposait que de quatre comptoirs à l’étranger - à Novgorod, Bruges, Bergen et Londres, par l’intermédiaire desquels elle protégeait ses intérêts lors de la conclusion de contrats. D’importantes transactions de gros ont été effectuées à Novgorod et, du côté russe, seuls les résidents de Novgorod pouvaient y participer ; les représentants d’autres terres russes en étaient exclus.

Des visiteurs d'outre-mer

Les marchands étrangers apportaient à Novgorod des produits de luxe et des matériaux nécessaires à la production artisanale : du vin, des tissus coûteux, des pierres ornementales et des métaux, y compris précieux. Novgorod fournissait des fourrures, de la cire (dont l’Occident manqait cruellement pour fabriquer des cierges), du miel, du cuir et de l’ivoir de morse.

Un système politique unique

Le système politique de Novgorod était unique sur les terres russes. La société de Novgorod était dirigée par un cercle restreint de familles de boyards, qui possédaient d’immenses domaines à la fois près de la ville et dans les volosts (régions) reculés du Nord. Il était impossible de devenir un boyard de Novgorod sans naître avec ce statut. Ce fait distinguait Novgorod du reste de la Russie, où les boyards étaient des compagnons du prince, et constituait la clé de la démocratie propre à cette ville.

Veliki Novgorod, 1901

L’autorité la plus élevée était le vétché (assemblée), qui comprenait au moins 300 boyards issus des familles les plus nobles et les plus riches de Novgorod ; comme le rapportent des sources allemandes du XIVe siècle, l’assemblée principale de Novgorod était appelée « 300 ceintures d’or ». Le vétché se réunissait sur la place située près du marché et sa convocation était annoncée par la célèbre cloche du vétché de Novgorod, symbole des libertés de la ville. Il existait des vétché dans d’autres villes de Russie avant que le pouvoir princier ne s’y répande. Mais il n’y a qu’à Novgorod qu’il a existé jusqu’au XVe siècle, ne faisant que se renforcer.

Le vétché élisait et expulsait les princes (à peine vainqueur des Suédois lors de la bataille de la Néva, Alexandre Nevsky a connu ce sort en 1240), émettait des jugements et édictait des lois, déclarait la guerre et concluait la paix, créait les impôts et les taxes. En outre, le chef de la ville était élu parmi les membres du vétché. Il vérifiait que le prince respecte les conditions de l’accord avec la ville, gérait les possessions de Novgorod, et était responsable du maintien de l’ordre public, de la justice et de la conclusion des traités diplomatiques. Le prince était quant à lui uniquement chargé de représenter Novgorod auprès des autres terres russes et de défendre la ville.

Cependant, la vie politique des Novgorodiens ne se limitait pas à ce vétché : les Novgorodiens ordinaires participaient à des vétché des rues et des quartiers de la ville. Les boyards profitaient de ces réunions pour promouvoir leurs intérêts et combattre leurs adversaires.

Les autorités ecclésiastiques de la ville jouissaient également d’une grande liberté. Les Novgorodiens ont ainsi obtenu l’autonomie de leur archevêque. Dès le début du XIIe siècle, le métropolite de Kiev ne faisait qu’approuver le candidat proposé par les Novgorodiens à ce poste. L’archevêque possédait son propre régiment, participait aux négociations diplomatiques et apposait son sceau sur les accords internationaux.

Une ville où les princes n’avaient pas tous les droits

Iaroslav le Sage, 1941-1942

Les restrictions des droits des princes ont commencé à Novgorod du vivant de Iaroslav le Sage, qui a accepté que les boyards de Novgorod ne soient pas jugés par le prince en échange du soutien des Novgorodiens dans la lutte pour Kiev. Novgorod n’a pas obtenu de dynastie princière propre après la mort de Iaroslav, car, étant à l’origine de la route commerciale « des Varègues aux Grecs », elle était très étroitement liée à Kiev. Iaroslav le Sage, mort en 1054, a légué Kiev et Novgorod à son fils aîné. En conséquence, un représentant de la lignée princière la plus forte se retrouvait généralement sur le trône de Novgorod.

Mais en 1136, un soulèvement a éclaté à Novgorod ; le prince fut expulsé. Par la suite, les Novgorodiens ont eux-mêmes invité les princes et concluaient avec eux un accord stipulant qu’ils ne pouvaient pas s’immiscer dans la gestion de la ville, remplacer les hauts responsables et acquérir des terres en périphérie de Novgorod.

En cas de violation de l’accord, le prince était expulsé de la ville et vétché choisissait un nouveau prétendant. De tels changements ont eu à plusieurs reprises un impact sérieux sur la vie de l’ensemble de la Russie. Par exemple, la campagne d’Andreï Bogolioubski contre Kiev a eu pour prétexte l’expulsion de l’un des princes de Novgorod.

Malgré une tel degré de liberté dans la relation avec les princes, toutes les grandes figures de la Russie kiévienne, bâtisseurs du futur État russe uni - de Vladimir le Soleil Rouge à Vladimir II Monomaque - ont régné à Novgorod avant de monter sur le trône de Kiev. Fait symbolique, le premier lieu où Riourik, appelé à régner en Russie, a exercé son pouvoir était Novgorod.

La ville où l’on écrivait le plus

Manuscrit sur écorce de bouleau

Le 26 juillet 1951, lors de fouilles archéologiques menées à Novgorod, la première lettre sur écorce de bouleau avec un texte gravé visible a été découverte. Au total, plus de 1 100 documents de ce type ont été trouvés à Novgorod et environ 100 dans d’autres villes de la Rus’.

L’analyse des lettres sur écorce de bouleau de Novgorod a permis de mieux comprendre la vie quotidienne de la ville et de ses habitants aux XIe-XVe siècles, période durant laquelle a existé la République de Novgorod.

Les textes gravés sur écorce de bouleau témoignent d’un niveau d’alphabétisation élevé parmi les habitants de Novgorod : les Novgorodiens s’écrivaient souvent sur un vaste éventail de sujets, discutant des affaires du foyer, des contrats, des décisions de justice et simplement des rumeurs qui circulaient dans la ville. De plus, les hommes et les femmes étaient alphabétisés.

Les lettres sur écorce de bouleau ont montré que la position des femmes dans la société de Novgorod était assez élevée à cette époque. Elles menaient leurs affaires de manière indépendante, concluaient des transactions financières, envoyaient des instructions à leurs maris, pouvaient intervenir elles-mêmes devant les tribunaux, y compris sur des questions financières, et étaient dans l’ensemble activement engagées dans l’activité économique.

Dans les lettres, on trouve avait aussi des confessions amoureuses touchantes, comme le célèbre message d’une inconnue du XIIe siècle : « Je t’ai envoyé chercher trois fois. Quel genre de mal éprouves-tu contre moi pour que tu ne sois pas venu à moi ? » ; c’est en outre l’un des premiers exemples connus d’argot russe.

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Héros de Novgorod et chute 

Sadko, 1876

La structure politique particulière et la nature de l’économie de Novgorod ont favorisé l’émergence de héros culturels et réels. Contrairement aux personnages épiques russes qui passent leur temps allongés sur le poêle et attendent une occasion de défendre la patrie, le héros de Novgorod Sadko - bel homme, joueurs de gousli et marchand – se démène pour s’enrichir et obtenir la gloire. Il réussit à duper un tsar et, devenu riche, il jure d’acheter tous les biens de Novgorod. Dans certaines versions de l’histoire, il y parvient même.

Marfa Possadnitsa

Un autre héros atypique, cette fois non pas épique, mais tout à fait réel, est la chef de la résistance de Novgorod contre Moscou Marfa Boretskaïa (ou Marfa Possadnitsa - le deuxième mari de Marfa était un possadnik, c’est-à-dire un chef). Marfa était issue d’une influente famille de boyards ; elle possédait de vastes terres qui appartenaient à sa famille ainsi qu’à elle-même après la mort de son premier mari.

Lorsqu’au XVe siècle, le grand-duc de Moscou Ivan III a commencé à unir les terres russes autour de Moscou, Marfa a entamé des négociations sur l’entrée de Novgorod dans le Grand-duché de Lituanie en échange d’une autonomie.

Ayant eu vent de ces négociations, Ivan III a déclaré la guerre à la République de Novgorod. En 1478, elle a cessé d’exister. En symbole de l’abolition du vétché de Novgorod, la cloche de son siège a été emportée à Moscou et les citoyens influents ont été victimes de répressions. Les terres de Marfa ont été confisquées et elle-même est morte peu après.

Cette ville, qui au début de l’histoire russe avait accepté le règne de Riourik et ainsi jeté les bases de l’État russe, a montré que la voie vers une centralisation stricte et le pouvoir absolu du prince n’était pas la seule option pour les terres russes du Moyen Âge. L’expérience de Novgorod s’est par exemple avérée importante pour plusieurs siècles après sa chute, lorsqu’au début des années 1990, l’État russe a cherché à renouer avec les valeurs démocratiques.

Dans cette autre publication, découvrez les dix villes les plus anciennes de Russie.

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