Où et quand est apparu l’État russe?

Kira Lissitskaïa (Photo : Vladimir Smirnov/Global Look Press; Domaine public)
L’arrivée au pouvoir du Varègue suscite de nombreux débats, de son origine à la question de savoir si cet événement peut, en principe, être considéré comme la naissance de l’existence de la Russie ancienne (Rus’).

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Staraïa Ladoga est un village de la région de Leningrad situé sur les rives de la rivière Volkhov, à 120 km de Saint-Pétersbourg. De nos jours, il compte moins de 2 000 habitants, mais au Moyen Âge, c’était une grande ville cosmopolite et animée qui entretenait des liens commerciaux avec l’Asie centrale et l’Europe du Nord. Des fouilles archéologiques ont permis d’établir que Ladoga a été fondée au plus tard en 753. Autrement dit, en 2023, elle a au moins 1 270 ans.

Ladoga s’est vu attribuer le statut de première capitale de la Russie. En effet, selon certaines chroniques, c’est ici qu’a commencé le règne du fondateur de la première dynastie russe, Riourik, que les tribus slaves avaient appelé à régner sur ces terres septentrionales.

Staraïa Ladoga

Où a d’abord régné Riourik?

« En 862, ils chassèrent les Varègues de l’autre côté de la mer, cessèrent de leur verser le tribut et voulurent se gouverner eux-mêmes. Il n’y avait point de justice parmi eux, une lignée se levait contre une autre, des conflits éclataient entre eux, et ils se battaient les uns contre les autres. Alors ils dirent : cherchons un prince qui nous gouvernerait et nous jugerait selon le droit », explique La Chronique des temps passés, l’une des principales chroniques russes, dont les historiens estiment qu’elle a été rédigée au début du XIIe siècle.

Selon ce document, les frères varègues Riourik, Sineus et Trouvor ont répondu à l’appel des tribus slaves orientales et des tribus finno-ougriennes voisines alliées - Tchoudes et Mériens - et commencé à régner sur trois villes. Et si toutes les sources s’accordent sur le fait que Sineus s’est rendu à Beloozero (région moderne de Vologda) et que Trouvor est allé à Izborsk (région moderne de Pskov), les versions concernant Riourik divergent.

Appel aux Varègues

Le fait est que l’original de La Chronique des temps passés a disparu. Cinq exemplaires des XIVe-XVIe siècles nous sont parvenus - des reproductions ultérieures du document, qui n’en étaient pas des copies exactes. En d’autres termes, à la fin du Moyen Âge, plusieurs éditions de la Chronique avaient été publiées.

Selon certaines sources, Riourik s’est effectivement installé à Ladoga en 862. En 864, après la mort de ses deux frères, il a assumé l’ensemble du pouvoir. Il s’est installé sur la rive du lac Ilmen et a fondé sa propre colonie. Ce n’est que plus tard que Novgorod se serait développée à proximité.

Un autre point de vue stipule que Riourik s’est immédiatement installé sur les terres de Novgorod. Ses partisans citent le fait qu’au milieu du IXe siècle, Ladoga était une colonie commerciale non fortifiée, rendant impossible qu’il l’élise comme lieu de résidence. Qui plus est, dans les années 860, à la veille de l’appel des Varègues, un violent incendie a ravagé Ladoga, résultant peut-être de conflits intestins.

Kremlin de Novgorod

La version qui veut que Riourik aurait débuté son règne à Ladoga aurait pu apparaître aux XIe-XIIe siècles dans le contexte de ses relations politiques avec Novgorod : la communauté urbaine de Ladoga cherchait à devenir autonome et à former son propre volost (unité territoriale).

« Les habitants de Ladoga ont forgé un concept historique concurrent selon lequel c’est Novgorod, prétendument fondée par un prince de Ladoga, qui serait une sorte de banlieue de Ladoga, écrit l’historien Maxime Jikh. La formation d’une mémoire historique dans laquelle Ladoga était considérée comme la capitale, comme une ville indépendante dans le passé, et aussi plus ancienne que Novgorod, était censée aider les habitants de Ladoga à obtenir l’indépendance de leur ville dans le présent ».

Riourik a-t-il vraiment existé?

La réalité de la figure de Riourik elle-même est également remise en question. Ceux qui estiment qu’il a réellement existé s’appuient sur des chroniques médiévales qui auraient été compilées 150 à 200 ans après le règne de Riourik.

La question de son origine a également été activement étudiée. Dans les chroniques, les Suédois, les Norvégiens, les Gotlandais et les Anglais sont appelés Varègues. Tous, sauf les derniers, appartiennent aux Scandinaves, ou aux Normands. Les partisans de la théorie normande, qui s’est développée au XVIIIe siècle, associent Riourik à ces derniers. Ils estiment que son nom viendrait du proto-germanique, l’ancêtre des langues scandinaves.

Il convient en outre de noter que le nom « Riourik » fait écho au nom de Rorik du Danemark, ou du Jutland, un vassal des rois francs du milieu du IXe siècle. Dans le même temps, aucune référence au Riourik « russe » ne figure dans les sources occidentales, et la proximité entre les vies de Riourik et de Rorik pousse certains chercheurs à croire qu’il s’agit d’une seule et même personne.

Riourik

Il a existé des versions selon lesquelles Riourik était un représentant des Varègues-Russes parmi les Obodrites - une union de tribus slaves vivant sur le littoral méridional de la mer Baltique. Ce point de vue a été défendu par le scientifique et encyclopédiste du XVIIIe siècle Mikhaïl Lomonossov, qui était froissé par l’idée que le statut d’État ait été apporté au peuple russe par un Scandinave.

Au XVIe siècle, on a même trouvé à Riourik des racines romano-prussiennes : son ascendance aurait remonté à l’empereur romain Auguste. Ainsi, les descendants de Riourik, les grands-princes de Moscou, devaient être traités comme les héritiers d’Auguste, et donc comme une ancienne lignée impériale.

Plus de détails par ici.

« À la fin du Moyen Âge, la personnalité de Riourik a acquis une importance capitale pour la perception de soi de la dynastie régnante. Par la suite, au XVIIe siècle, c’est le portrait de Riourik ouvrira le célèbre Livre titulaire des grands-princes et tsars de l’État russe. Cet ouvrage offre les portraits des dirigeants les plus éminents de toute l’histoire de l’État russe. Riourik y est présenté comme le premier », note l’historien Arkadi Tarassov.

La Rus’ est-elle apparue avec l’arrivée de Riourik au pouvoir?

Les débats autour de la première capitale de la Russie seraient vains s’il n’y avait pas eu d’État en tant que tel à l’époque de Riourik. Mais les avis divergent également à ce sujet.

Les historiens modernes citent 882 en tant que date potentielle de formation de l’ancien État russe, lorsque Oleg, membre de la famille de Riourik, a uni sous son règne Novgorod et Kiev, qu’il avait prise.

Avant sa mort, Riourik transfère le règne à son parent Oleg et le nomme tuteur de son jeune fils Igor.

La position de l’école historique de Moscou consiste à affirmer qu’au sens strict, la Rus’ n’a été formée qu’aux XIVe et XVe siècles sous Ivan III, grand-prince de Moscou qui a commencé à rassembler les principautés russes autour de Moscou. Ivan III a mis fin à la vassalité des terres russes vis-à-vis de la Horde d’Or, a approuvé un ensemble de lois, a élaboré les caractéristiques bureaucratiques de l’État, a introduit le symbole du pouvoir suprême - des armoiries avec un aigle bicéphale - et a accepté le titre de tsar de toute la Russie.

Ivan III

Entre-temps, en 1862, sous l’empereur Alexandre II, le monument au Millénaire de la Russie fut solennellement inauguré à Novgorod la Grande à l’occasion de l’anniversaire de l’appel des Varègues. Riourik, fondateur de l’État, occupe une place centrale dans sa composition.

Figure de Riourik sur le monument Millénaire de la Russie situé dans le kremlin de Novgorod

L’année 862 était officiellement considérée comme le début de la vie étatique de la Russie par Nicolas Ier, père d’Alexandre II. Ce dernier a quant à lui célébré l’anniversaire et organisé une inauguration en grande pompe du monument, qui poursuivait plusieurs objectifs politiques.

Inauguration du monument Millénaire de la Russie

Premièrement, il voulait souligner la continuité du pouvoir : les principaux dirigeants sont représentés sur les bas-reliefs du monument. Deuxièmement, il souhaitait mettre l’accent sur le fait que la gouvernance de la Russie avait commencé par un « accord à l’amiable » entre les autorités et le peuple (c’est-à-dire Riourik et les tribus qui l’ont appelé) – et reposait toujours sur cette entente. Enfin, l’inauguration du monument à Novgorod a rappelé les « premières libertés » dont jouissaient les habitants de la république médiévale de Novgorod. En 1862, il était important aux yeux des autorités d’établir ce parallèle dans le contexte des grandes réformes libérales d’Alexandre II.

Il est évident qu’au fil des siècles, dans les chroniques et les interprétations au sujet de l’histoire russe, la priorité était de défendre des thèses politiques importantes pour l’époque. Et bien qu’il n’y ait pas de réponses claires aux questions concernant les origines de l’État russe, Riourik a acquis le statut de « père fondateur » de la Russie. Quant à l’appel des Varègues, il est considéré comme un jalon important dans l’histoire de l’État russe.

Dans cette autre publication, découvrez l’histoire de la Russie en 14 tableaux célèbres.

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