Portraitiste des tsars et «amante» de Lénine: ces illustres Français reposant en Russie (partie 1)

Histoire
ERWANN PENSEC
Si la France est parsemée de sépultures de Russes, de l’écrivain Ivan Bounine à d’innombrables soldats des Armées blanches, l’inverse est tout aussi vrai. L’on s’étonnera en Russie du nombre de tombes gravées au nom de défunts venus de l’Hexagone, qu’elles se dressent à Sébastopol, où s’étend la plus grande nécropole militaire française à l’étranger, ou… sur la place Rouge elle-même! Portraits de célèbres personnages ayant ici trouvé leur dernière demeure.

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Ernest Loustalot – précurseur du sport en Russie

Joseph Ernest Loustalot, né en 1867 à Bordeaux, a hérité de son père l’amour du sport et, dans ses jeunes années, parviendra à se hisser aux rangs de champion de France de gymnastique et de champion d’Europe de boxe française et anglaise, à établir un record national en natation, ainsi qu’à être réputé pour son talent d’escrimeur.

Professeur d’une multitude de disciplines sportives à Paris et ses environs et ayant servi au sein de la célèbre École normale militaire de gymnastique de Joinville, c’est en janvier 1897 qu’il gagne l’Empire russe, bénéficiant alors du soutien du mécène et comte Gueorgui Ribeaupierre, d’ascendance suisse et activement impliqué dans le développement du sport en Russie. Cette même année, ce dernier inaugure la première Société athlétique du pays, devenant ainsi l’employeur de Loustalot.

À Saint-Pétersbourg, celui-ci commence également à enseigner le sport au sein de l’École impériale de droit, et permet l’organisation de multiples compétitions de boxe, de lutte, de tir, ou encore d’escrime. Loustalot a entraîné plusieurs personnalités célèbres, dont le futur illustre écrivain Vladimir Nabokov, alors encore enfant. Son implication dans l’essor du sport en Russie ne saurait être surestimée, à tel point qu’en juin 1914, lors d’une revue des officiers de l’école principale de gymnastique et d’escrime, Loustalot est présenté à l’empereur Nicolas II en personne.

Suite à la mort de son fils, tué au front de la Première Guerre mondiale, le Français décide, malgré la révolution, de rester en Russie et d’accepter la citoyenneté soviétique. Il intègrera même les rangs de l’Armée rouge au poste de professeur d’éducation physique. Au cours de son existence au pays des Soviets, où il vivra jusqu’à la fin de ses jours, il transmettra son savoir à de futurs grands noms de la boxe, dont Ivan Kniazev, cinq fois champion d’URSS.

Victime d’un malaise alors qu’il se rendait au travail, Ernest Loustalot trouvera la mort le 9 mars 1931à Leningrad. Conformément à son souhait, son corps sera alors transmis à la science afin d’étudier l’anatomie d’un sportif à l’âge avancé. À la suite de l’autopsie, lors de laquelle les experts noteront le considérable développement musculaire du sujet, son squelette sera exposé au Musée d’anatomie de l’Université d’éducation physique Lesgaft de l’actuelle Saint-Pétersbourg, où il est encore observable aujourd’hui.

Louis Caravaque – portraitiste des tsars

Si, né en 1684 dans une vaste famille d’artistes, Louis semblait prédestiné à suivre le même chemin, personne n’aurait pu prédire à cet originaire de Marseille la gloire impériale qui l’attendait en Russie.

Il a tout d’abord marché sur les traces de son père, décorateur spécialisé dans l’ornement des navires, en entrant à l’Arsenal des galères de sa cité natale, avant de se faire, en 1715 à Paris, remarquer pour ses portraits par un certain Jean Le Fort. Or, ce dernier, bien que de lignée genevoise, se trouvait au service du tsar Pierre le Grand et n’était autre que son envoyé en France. Chargé de recruter des artistes étrangers, il a notamment enrôlé l’Italien Carlo Bartolomeo Rastrelli, sculpteur qui sera à l’origine de la première statue équestre de Russie et de nombreuses œuvres monumentales à l’effigie des empereurs.

La même destinée était promise à Caravaque. Ayant conclu un contrat de trois ans pour servir la Russie, il y restera finalement jusqu’à la fin de ses jours, occupant le poste de portraitiste de la cour. Il réalisera en effet le portrait des monarques se succédant, de Pierre Ier à Élisabeth Ire, et de leurs proches, mais s’occupera également de la décoration de grands événements, notamment de la cérémonie de couronnement d’Anna Ivanovna. Sera aussi confiée à Caravaque la mission de superviser les travaux d’ornementation des résidences impériales, si bien qu’il œuvrera tant au palais d’Hiver qu’à Peterhof.

Sa tâche initiale était toutefois de prendre part à l’essor de l’art en Russie, et à cet effet, il a formé plusieurs jeunes talents locaux, parmi les plus éminents desquels figureront Ivan Vichniakov et Alexeï Antropov.

Pour son service à la cour, Caravaque a joui d’avantages considérables. Ainsi, alors que Pierre le Grand lui a offert une demeure sur l’île Vassilievski, en plein cœur de Saint-Pétersbourg, il bénéficiait d’une exclusivité pour ce qui était de peintre les têtes couronnées du pays. Par ailleurs, son salaire annuel s’est élevé jusqu’à 2 000 roubles sous Anna Ivanovna. À titre de comparaison, Francesco Bartolomeo Rastrelli (fils de Carlo Bartolomeo Rastrelli susmentionné), architecte de la cour, auteur notamment des palais d’Hiver et Catherine, était rémunéré à hauteur de 1 200 roubles par an, tandis que le total dépensé en 1734 pour le salaire des enseignants du pays s’avérait de 4 500 roubles seulement.

Le Marseillais rendra son dernier souffle en 1754, à l’âge de 70 ans, après avoir inextricablement lié son nom à celui de la Russie. Il est enterré au cimetière de la cathédrale Saint-Samson de Saint-Pétersbourg.

Inès Armand – probable maîtresse de Lénine

C’est dès le plus jeune âge qu’Élisabeth Pécheux d’Herbenville, de son vrai nom, a vu son destin s’articuler en Russie. Née en 1874 au sein de la bohème parisienne, elle a en effet, à cinq ans seulement, connu la mort de son père, chanteur d’opéra. Sa mère, comédienne de théâtre, n’étant pas en mesure d’élever la fillette et sa sœur cadette, celles-ci ont été recueillies par leur tante, gouvernante chez une riche famille en Russie. Le maître de ce foyer était Evgueni Armand, fortuné fabriquant de textile et descendant d’un officier napoléonien ayant décidé de demeurer en terres russes plutôt que de rentrer dans sa patrie après la campagne infructueuse de Bonaparte.

Là, se faisant appeler Inès (Inessa en russe), Élisabeth reçoit une excellente éducation et bénéficie d’un niveau de vie digne de la grande bourgeoisie. Comme bon nombre de ses semblables à l’époque, la jeune femme s’éprend néanmoins des idéaux progressistes d’égalité sociale et s’efforce de les concrétiser dans sa bourgade d’Eldyguino, dans la région de Moscou, où elle organise un hôpital, une école pour enfants paysans, ainsi qu’une salle de lecture pour les villageois lettrés. Inès n’était pas non plus indifférente à la cause féministe, et a donc pris la tête de la Société pour l’amélioration du sort des femmes, luttant notamment contre la prostitution, organisation qui ne tarde toutefois pas à être interdite par les autorités.

Les déboires avec le pouvoir parsèmeront d’ailleurs le parcours d’Inès, qui se verra arrêtée à plusieurs reprises pour activité révolutionnaire, inspirée notamment par les écrits d’un certain Vladimir Lénine, avec lequel elle entretient une correspondance. En 1907, elle s’avère même exilée dans la région d’Arkhangelsk, bordée par la mer Blanche. De là, munie d’un faux passeport, elle parviendra néanmoins à fuir vers l’Europe de l’Ouest, où elle rencontrera finalement, à Paris, Lénine, lui aussi en exil. Elle y deviendra alors sa proche collaboratrice, traduisant ses publications, effectuant un travail de propagande et d’embrigadement de nouveaux partisans.

Suite à la révolution, elle prendra la tête de la branche féminine du Comité central du Parti bolchévique, organisant la première conférence internationale des femmes communistes. Jusqu’à la fin de sa vie, elle mènera un combat en faveur de l’émancipation des femmes, et notamment contre la notion traditionnelle de la famille, qu’elle considérait comme un vestige de l’ancienne bourgeoisie.

Certains historiens prêtent à Lénine et Armand une romance, bien qu’ils aient été tout deux mariés, se basant sur des lettres particulièrement intimes, mais d’autres réfutent cette possibilité. De toute évidence, Inès semblait, elle, bien amoureuse du leader des bolcheviks, reste à savoir si celui-ci a également succombé à ses charmes. Quoi qu’il en soit, il s’est montré profondément marqué par sa mort, survenue en 1920 après qu’elle a contracté le choléra dans le Caucase russe.

Pour sa lutte en faveur de la révolution communiste, Inès recevra le plus grand des honneurs posthumes – être enterrée dans la nécropole du mur du Kremlin, sur la place Rouge, où reposent d’autres grands noms, tels que Staline, Brejnev ou encore Gagarine.

Dans cet autre article, découvrez la rocambolesque histoire d’un jeune provincial russe ayant prétendu à Paris être un prince d’un royaume inexistant.

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