Comment chassait-on les sorcières en Russie?

Histoire
BORIS EGOROV
Alors que l'Europe brûlait les adeptes de la sorcellerie par dizaines de milliers, de tels incidents étaient très rares en Russie.

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À la fin du XVe siècle, l'Europe occidentale a été saisie d'une frénésie. Partout, des milliers de bûchers étaient allumés, sur lesquels étaient brûlés des femmes et des hommes soupçonnés de sorcellerie. La moindre accusation d'association avec le diable suffisait pour qu'une personne soit instantanément soumise à des tortures atroces, après quoi, le plus souvent, elle était punie d'un châtiment non moins terrible.

Dans la Russie voisine, les sorcières étaient également envoyées sur le bûcher. Néanmoins, ici, la « chasse aux sorcières » n’a jamais eu de caractère aussi massif et systématique. Comment donc expliquer cette différence ?

Une autre approche

La Russie a réussi à éviter l'obsession du style européen occidental principalement en raison de la manière particulière dont l'Église orthodoxe s'est développée. Il n’existait pas ici la démonologie élaborée que les catholiques et les protestants ont héritée de l'Antiquité. Par conséquent, des traités philosophico-religieux aussi monumentaux sur les sorcières et les démons que le Formicarius de Johannes Nider, le Flagellum haereticorum fascinariorum de Nicolas Jacquier et, bien sûr, le Malleus Maleficarum d’Heinrich Kramer et Jacques Sprenger ne pouvaient tout simplement pas apparaître en Russie.

Le christianisme oriental n'était en outre pas fanatique de l'idée selon laquelle les femmes seraient des « vaisseaux du mal » absolus et des « incarnations du péché », qui, en raison de leur « manque de raison », se détourneraient de la foi et concluraient un pacte avec le diable plus rapidement que les hommes. La majorité des personnes jugées pour sorcellerie dans l'État russe étaient d’ailleurs des hommes.

Les Russes ne considéraient pas les sorciers de manière exclusivement négative, comme des malfaiteurs et des auxiliaires de Satan qui tiraient de lui leurs pouvoirs surnaturels. On pensait qu'ils pouvaient très bien être nés avec, et qu'il n'y avait rien de diabolique à cela.

Le christianisme est arrivé en Russie plus tard qu'en Occident, et des vestiges de paganisme y ont été conservés pendant longtemps. Les sorciers, les guérisseurs, les herboristes et les enchanteurs étaient ainsi souvent considérés comme les héritiers des anciens cultes païens – des volkhves (magiciens slaves préchrétiens). Ils étaient craints, mais on faisait souvent appel à eux pour guérir les gens et le bétail. Les sorciers étaient par ailleurs souvent invités aux mariages, afin qu'ils ne nourrissent pas de rancune à l’égard des jeunes mariés et qu'ils protègent le couple des forces maléfiques.  

Néanmoins, la sorcellerie était jugée comme une pratique pécheresse par l'État et l'Église, et était condamnée et poursuivie. Cependant, une sorcière ou un sorcier n'était pas toujours « purifié » sur le bûcher. S'ils ne gênaient personne et qu'il n'y avait pas d'accusations d’atteinte à autrui, l’on fermait généralement les yeux sur leurs activités.

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Des punitions douces

Lorsqu’un procès était engagé, ce n'est pas l'Inquisition (il n'y avait rien de tel en Russie), mais les autorités laïques, comme dans les pays protestants, qui s’occupaient de l’enquête. Contrairement à leurs homologues d'Europe occidentale, elles demandaient rarement aux suspects s'ils volaient sur un balai ou participaient à des sabbats. Elles s’intéressaient surtout à la mesure dans laquelle ils avaient, à l’aide de la sorcellerie, nuit à l'agriculture ou à des personnes concrètes.

L'Église ne se tenait toutefois pas à l’écart de la procédure. Par crainte de la propagation de l'hérésie, elle avait à cœur d’établir quels livres et attributs religieux étaient utilisés dans les rituels.

Le plus souvent, la punition pour un sorcier était plutôt clémente. Dans la Charte de jugement du monastère de la Trinité-Saint-Serge de 1555, adressée aux autorités des terres soumises, il y avait une instruction consistant à « battre, détrousser et expulser de la volost [unité territoriale correspondant à un village] les skomorokhs [musiciens médiévaux itinérants ayant été persécutés], les volkhves et les sorcières ».

Souvent, les personnes accusées de sorcellerie étaient envoyées dans un monastère, où elles devaient se racheter une conduite en jeûnant et en priant. Sous le règne du tsar Alexis Ier, dans la seconde moitié du XVIIe siècle, les personnes accusées de « communier secrètement avec les puissances impures » étaient exilées en Sibérie, où, dans les prisons locales, elles étaient enchaînées aux murs et maintenues au pain et à l'eau.

Peine sévère

En Russie, la « sorcellerie » était cependant parfois punie bien plus sévèrement. En 1411, à Pskov, douze femmes ont par exemple été brûlées, accusées d'avoir « envoyé la peste ». En 1462, le boyard Andreï Dmitrievitch et sa femme ont également fini sur le bûcher pour sorcellerie à Mojaïsk, près de Moscou.

En 1497, le grand-prince Ivan III de Moscou a ensuite reçu une dénonciation selon laquelle trois femmes « malicieuses » munies de « potions » étaient venues voir sa femme Sophie Paléologue. Elles ont alors toutes été retrouvées et noyées dans la rivière.

Les enquêteurs et les juges avaient à leur disposition toute une série d'instruments de torture, du chevalet à l'épreuve du feu, en passant par le perçage des « marques du diable » – verrues et grains de beauté. La seule exception est que l’épreuve de l'eau, populaire en Occident, n'était pas particulièrement pratiquée en Russie.

Daria Lomanova, l'orfèvre de la tsarine Eudoxie Strechnieva, ainsi que son amie Avdotia Iarychkina et plusieurs guérisseuses moscovites, ont de leur côté été accusées de la mort de deux jeunes tsarévitchs au début de l’année 1639 et ont ainsi dû subir d’affreux châtiments.

Les jeunes femmes ont en effet été attachées à un râtelier et les sangles ont été tirées si fort que leurs bras et leurs jambes se sont désarticulés. Elles ont en outre été frappées sur le dos avec des ceintures et torturées par le feu. Aucune d'entre elles, néanmoins, n'a jamais pris sur elle cette terrible culpabilité. Finalement, celles qui ont survécu ont été exilées dans des régions reculées de l'État.

En 1716, le tsar Pierre Ier a écrit dans le Statut militaire : « Si l'on trouve parmi les militaires un idolâtre, un adorateur du diable, un conjureur, un sorcier superstitieux et blasphématoire, il sera, selon la situation, soumis à un emprisonnement cruel, enchaîné, subira le châtiment des baguettes ou sera fortement brûlé ».

Fin de la « chasse »

La persécution des sorciers, magiciens et ensorceleurs en Russie, comme en Europe, a pris fin à l'époque de l'absolutisme éclairé, dans la seconde moitié du XVIIIe siècle.

Alors, sous le règne de Catherine II, au lieu du bûcher, les personnes accusées de sorcellerie étaient généralement condamnées à recevoir des coups de fouet et à passer six mois dans un monastère. Les affaires de sorcellerie elles-mêmes sont devenues de plus en plus un objet de dérision publique.

Par conséquent, lorsque dans les années 1770, au Kamtchatka, en Extrême-Orient russe, le capitaine de la forteresse de Tenguine, Chmalev, a brûlé une sorcière locale dans une cage en bois, cela a été perçu comme un événement d’une extrême barbarie. Le baron Vladimir Steingel a écrit avec indignation que, malheureusement, « cet acte barbare, commis sous le règne de la sage et humaine impératrice, est resté impuni pour Chmalev ».

Dans cet autre article, nous nous expliquions comment et pourquoi les Russes vendent-ils aujourd’hui leur âme au Diable.

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