« À environ 9 heures, la tempête s’est fait plus violente, le câble s’est rompu et nous avons été entrainés vers les rochers, mais nous sommes parvenus à indiquer au commandement que, avec l’équipage du T-97, nous allions essayer de nous réfugier dans la partie orientale de la baie, où les vents étaient plus paisibles. Après cela les rations ont été inondées et la communication avec la côte a été perdue. Nous avons tenté de garder la seconde barge dans notre champ de vision, mais les chutes de neige rendaient la visibilité quasi nulle.
Après près de trois heures, le vent a fortement tourné, et nous avons été emportés vers le large. Encore trois heures plus tard, les mécaniciens ont rapporté que nous allions être à court de carburant. J’ai pris la décision de nous échouer sur le rivage. Un geste risqué, mais nous n’avions plus le choix. La première tentative a été un échec : nous avons heurté la falaise. Par miracle l’embarcation ne s’est pas brisée, nous avons pu nous glisser entre les rochers, mais une brèche a été causée, et l’eau a commencé à inonder la salle des machines. Derrière la falaise s’étendait une rive sableuse, vers laquelle j’ai dirigé la barge.
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Nous l’avions presque atteinte, avions d’ores et déjà effleuré le sol, quand nos réserves de gazole ont touché à leur fin et que les moteurs se sont arrêtés. Nous avons alors été emportés au large », voici comment le sergent Achkat Ziganchine a décrit il y a quelques années le début de son odyssée de 49 jours, débutée le 17 janvier 1960. Tout cela s’est produit en Extrême-Orient russe, dans les îles Kouriles, durant le chargement d’un cargo.
Presque pas de vivres
Ils étaient quatre (Ziganchine et les soldats Fillipp Poplavski, Anatoli Krouchkovski et Ivan Fedotov) sur une petite barge T-36, ayant dérivé sur pas moins de 2 400 kilomètres. S’ils sont rapidement parvenus à boucher le trou causé par les rochers, ils se sont retrouvés confrontés à des problèmes bien plus sérieux : leur radio était hors service et ils n’avaient presque plus de nourriture. Une miche de pain, quelques pois et du millet, un seau de pommes de terre et un bocal de graisse. Ils disposaient également d’un peu d’eau, mais elle était prévue à des fins techniques : pour refroidir le moteur. Elle comprenait un peu de rouille, mais n’était pas salée, c’était déjà ça.
Or, ils ont vite réalisé qu’ils ne seraient pas retrouvés de sitôt. Ziganchuine a en effet trouvé un journal indiquant que les eaux où ils se trouvaient devaient être prochainement interdites aux navires car des essais de missiles étaient supposés avoir lieu ici. Les quatre naufragés ont donc entamé un rationnement des vivres des plus stricts. Au début, ils mangeaient une fois par jour : chacun avait une tasse de soupe. Ils la préparaient avec quelques patates et une cuillère de graisse. Trois fois par jour ils buvaient un tout petit peu d’eau.
Pas de querelles
Toutefois, le 23 février, les stocks de nourriture se sont épuisés. Ils ont alors essayé de pêcher, en vain, car ils étaient emportés par le courant, tandis que les poissons préfèrent généralement les eaux calmes. Seuls des requins d’un mètre et demi rodaient en cercle autour d’eux. Les quatre hommes ont par conséquent bouilli et mangé leurs bottes et ceintures en cuir, ainsi que les éléments de cuir d’un accordéon. À la fin, ils ont souffert d’une extrême faiblesse et d’hallucinations.
Le plus remarquable cependant est probablement que, malgré leurs terribles conditions, ils sont parvenus à garder le moral. « Il n’y a pas eu de panique ou de dépression jusqu’à la fin. Plus tard, les mécaniciens du Queen Mary, qui nous ont conduits des États-Unis à l’Europe, m’ont dit qu’ils s’étaient eux-mêmes retrouvés dans une situation similaire : après une violente tempête, la radio de leur navire a cessé de fonctionner durant deux semaines. Sur 30 membres d’équipage, quelques-uns sont morts. Mais non pas à cause de la faim, mais en raison de la peur et des bagarres constantes pour la nourriture et l’eau », se souvient Ziganchuine. Rien de cela ne s’est produit sur la barge T-36. Les quatre Russes ont en effet divisé les vivres en parts égales, sans faire de préférences.
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Effrayés à l’idée de devenir des déserteurs
Le 7 mars, ils n’avaient plus que l’équivalent d’une bouilloire d’eau fraiche, une botte en cuir et trois allumettes. Heureusement, c’est ce jour-là qu’ils ont été secourus par le porte-avions américain Kearsarge. Au départ, les soldats soviétiques n’ont pas souhaité quitter leur barge, et ont demandé à ce que les Américains leur fournissent simplement des vivres et du carburant.
Néanmoins, ils ont ensuite changé d’avis et sont montés à bord du bâtiment de la Navy. Après s’être repus, ils se sont endormis pour plusieurs jours. À leur réveil, la peur s’est cependant emparée d’eux lorsqu’ils ont réalisé qu’ils avaient perdu leur embarcation et passé du temps sur un navire ennemi. Ils pensaient en effet qu’ils risquaient d’être déclarés déserteurs en rentrant chez eux.
Accueillis en héros
Leurs craintes étaient cependant vaines. Peu après, l’un des principaux journaux soviétiques a publié un article intitulé « Plus forts que la Mort » à leur propos. Ils sont ainsi devenus des héros tant en URSS qu’aux États-Unis. Ont par exemple été organisées en leur honneur des réceptions à San Francisco (le maire leur a d’ailleurs offert une clef symbolique de la ville), à New York et bien plus encore en Union soviétique.
À Moscou, ils ont été reçus par le ministre de la Défense et ont été conviés à d’interminables événements en différents lieux. Leur visage a fait la Une de tous les journaux et revues. Des chansons ont même été composées au sujet de leurs mésaventures. L’une a été imaginée par le poète et chanteur populaire Vladimir Vyssotski. Une chanson folklorique intitulée Ziganchine-boogie comprenait quant à elle dans ses paroles la phrase « Ziganchine a mangé sa seconde botte ». Un film a en outre été tourné à propos de leur calvaire.
Ils sont ainsi devenus de véritables héros nationaux et leur popularité est restée à son sommet jusqu’au vol spatial de Gagarine, qui s’est déroulé en avril de l’année suivante. La gloire du premier homme dans l’espace a alors jeté une ombre sur l’histoire de ces quatre malheureux soldats.
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