Quatre grands acteurs soviétiques qui ont tenté de concrétiser le rêve américain

Culture
VALERIA PAÏKOVA
«Si tu cherches quelque chose, ne va pas t'asseoir au bord de la mer et t'attendre à ce que cela vienne te trouver; tu dois chercher, chercher, chercher avec toute l'obstination qui est en toi! », a dit un jour Constantin Stanislavski, le fondateur de l'art dramatique moderne. Plusieurs acteurs soviétiques ont pris ses paroles au pied de la lettre et sont partis en Amérique à la recherche d'une nouvelle vie et d'une meilleure carrière.

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Le « rêve américain » n'a pas la même signification pour tout le monde. Pour les acteurs de cinéma, Hollywood a longtemps été une usine à rêves, attirant les stars avec la gloire et la fortune. Naturellement, ce que l'on souhaite n'est pas toujours ce à quoi l'on s’attend.

Saveli Kramarov (1934-1995)

Kramarov était le Charlie Chaplin des comédies soviétiques. Tout au long des années 1960-70, cet artiste époustouflant a été assimilé à un trésor national en URSS. Comptant parmi les plus grands acteurs comiques, il a joué dans une foule de films très appréciés, dont Afonia, Les Gentilshommes de la chance, Ivan Vassilievitch change de profession et Les Douze Chaises, pour n'en citer que quelques-uns. Kramarov était bigleux, mais c'est aussi son apparence plus qu'extraordinaire qui l'a mis sous les projecteurs. Malgré son allure, l'acteur est devenu une véritable star.

Il était universellement populaire et chaleureusement adoré par le public de l'URSS. Paradoxalement, ses personnages étaient pourtant loin d'être parfaits. « Je joue surtout des escrocs, des ivrognes et des idiots. C'est probablement pour cela que je suis toujours à ma place partout », a plaisanté un jour Kramarov. Son sens de l'humour ne s'est jamais démenti.

Saveli est né à Moscou dans une famille juive. Lorsqu'il avait trois ans, son père, un avocat réputé, a représenté un groupe d'accusés dans une affaire de police secrète soviétique. Peu de temps après, le père de Kramarov a lui-même été victime des purges staliniennes. En 1938, il a en effet été arrêté et condamné à huit ans de détention dans un goulag sibérien. Après sa libération, il a travaillé brièvement comme avocat, mais a à nouveau été arrêté et envoyé en exil pour cinq autres années. Il a été contraint de travailler comme balayeur de rue, ce qui a constitué le dernier clou de son cercueil et poussé le père de Saveli à se suicider. Sa mère, quant à elle, est morte d'un cancer lorsque son fils avait 15 ans. Saveli a donc été adopté par son oncle.

Malgré l'histoire tragique de sa famille, Kramarov avait toujours un sourire jusqu'aux oreilles et était un acteur de caractère impeccable. Pourtant, il devait être fatigant pour un artiste polyvalent d'être toujours catalogué comme un rustre. La recherche de plus de liberté et de polyvalence a par conséquent encouragé l'acteur à tenter sa chance en Amérique.

Le problème est en partie dû au fait que, juste après que l'oncle de Kramarov a émigré en Israël, les studios de cinéma soviétiques ont immédiatement cessé de travailler avec Saveli. À l'époque, non seulement ceux qui émigraient devenaient des parias, mais aussi les membres de leur famille. Pour aggraver les choses, les autorités soviétiques n'autorisaient pas l'acteur à quitter le pays. Pour s'en sortir, en 1981, Kramarov a écrit une lettre au président américain du moment, Ronald Reagan, intitulée Un acteur à un autre. Son appel a été rendu public, a fait beaucoup de vagues et Kramarov a finalement été autorisé à partir.

Aux États-Unis, le comédien, qui était obsédé par sa santé, s’est adonné au yoga et a suivi un régime à base d'aliments crus. Il s’est aussi fait opérer pour son strabisme. Certains critiques ont dit qu'il en avait perdu son charme. Pourtant, à Hollywood, Saveli a eu l'occasion de montrer son côté comique. Il a joué un apparatchik du KGB soviétique dans la comédie dramatique Moscou à New York de 1984, avec Robin Williams.

Il a également eu un petit rôle dans 2010 : L'Année du premier contact, une extravagance de science-fiction (une suite du film épique de Stanley Kubrick 2001, l'Odyssée de l'espace).

À la fin des années 1980, Kramarov a tenu des rôles secondaires dans des comédies telles que Armé et dangereux, Double Détente et Tango et Cash. Ces films ont cimenté son statut d'acteur comique doté d'un don phénoménal. Kramarov était toujours vrai et vivant, agréable à regarder à l'écran. Il aurait eu une longue carrière couronnée de succès s'il n'avait pas été victime d'une maladie mortelle. Kramarov est malheureusement décédé à San Francisco en 1995, après une longue bataille contre le cancer.

Oleg Vidov (1943-2017)

Incroyablement beau, désarmant, et tout simplement adorable, ce coureur de jupons aux yeux bleus et au sourire ravageur a joué dans une cinquantaine de films, montrant d'abord son talent artistique au début des années 1960 dans La Tempête de neige et Un miracle ordinaire.

Lorsqu'il était petit garçon, son père a quitté la famille pour une autre femme. Oleg a donc été élevé par sa mère et la sœur de celle-ci, qui dirigeait un théâtre amateur et a inculqué à son neveu l'amour de l'art. À la fin des années 1940, ils ont déménagé en Mongolie, où sa mère a travaillé comme institutrice, puis en Allemagne de l'Est, où elle a été correctrice dans une maison d'édition. Oleg a commencé à travailler à l'adolescence. Il a endossé des petits boulots, s'essayant au métier d'assistant cuisinier, de manutentionnaire, de magasinier, d'électricien et même d'infirmier. À un moment donné, il a même caressé l'idée de devenir médecin. En 1960, Vidov a joué un rôle dans l’œuvre Mon ami Kolka, réalisée par Alexandre Mitta. Peu après, Vidov s'est inscrit à la célèbre école moscovite de cinéma VGIK.

Vidov, qui parlait couramment l'allemand, a joué dans plusieurs coproductions, telles que le drame scandinave à succès La Mante rouge (1967), le film yougoslave La Bataille de la Neretva (1969) et la production russo-italienne Waterloo (1970), réalisée par Sergueï Bondartchouk.

Vidov dégageait du charisme et du charme à l'écran. En 1971, il a joué dans la comédie soviétique emblématique Les Gentilshommes de la chance et dans le drame d'époque La Tombe du lion. En 1973, l'acteur est devenu un sex-symbol national après avoir incarné Maurice Gerald dans Le Cavalier sans tête, basé sur le célèbre roman de Mine Reed.

Sa réputation l'a ensuite précédé. Oleg était irrésistible pour les femmes de tous bords, de tous âges et de toutes origines. Il a été marié plusieurs fois et l'une de ses épouses a été son ticket pour la liberté. En 1983, l'adorable homme à femmes a été autorisé à vivre et à travailler en Yougoslavie avec sa troisième épouse, une actrice yougoslave. Deux ans plus tard, en Italie, l'acteur a rencontré l'amour de sa vie, la journaliste américaine Joan Borsten. Ils ont fini par être mariés pendant 27 ans.

Vidov a ensuite obtenu l'asile politique en Amérique, où il a souvent été surnommé le Robert Redford soviétique.

Hollywood a accueilli le prolifique acteur avec un sourire tolérant. Aux États-Unis, Vidov a notamment tourné dans Double Détente avec Arnold Schwarzenegger (1988), L'Orchidée sauvage (1989), The Ice Runner (1993) et Treize jours (2000).

La vie et la carrière riches de Vidov ont pris fin en 2017. L'acteur a succombé à un cancer. Il a laissé un héritage indélébile et a été enterré au Hollywood Forever Cemetery.

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Elena Soloveï (née en 1947)

Aucune autre actrice soviétique n'a su combiner de manière aussi astucieuse l'art de l'expérience propre à Stanislavski avec l'ingéniosité d'une femme capable de transmettre l'émotion de manière économique. Dans ses rôles emblématiques, Soloveï était comme une poupée matriochka de sentiments, qui se révélait de plus en plus au fur et à mesure qu'elle enlevait les couches. 

Soloveï est née dans une famille juive russe de la garnison militaire soviétique de Neustrelitz, en Allemagne de l'Est. Ses parents se sont rencontrés à la toute fin de la Seconde Guerre mondiale. Son père était officier d'artillerie dans l'armée, sa mère infirmière. Quand Elena a eu trois ans, sa famille est retournée en URSS.

Elena rêvait de devenir actrice depuis qu'elle était toute petite. Son rêve s'est réalisé dans les années 1970, lorsqu'elle a eu la chance d'apparaître dans des films tels que Le roi cerf, De l'amour et Drame d’une ancienne vie. Son rôle décisif a été joué dans le chef-d'œuvre de Nikita Mikhalkov, Esclave de l'amour (1975). Ce drame, qui se déroule pendant la guerre civile russe, met en scène une star du cinéma muet, dont le personnage est inspiré de l'ultime diva du cinéma russe, Vera Kholodnaïa.

Les premiers films de Mikhalkov, notamment Partition inachevée pour piano mécanique et Quelques jours de la vie d’Oblomov, ont façonné la carrière de Soloveï. Actrice primée au talent et à l'éventail désarmants, Elena a joué dans plus de cinquante films soviétiques. En 1991, l'année turbulente de l'effondrement de l'URSS, l'actrice a émigré aux États-Unis. Elle a toutefois été contrainte de mettre sa carrière artistique en suspens après que l'on a diagnostiqué une maladie grave chez son mari. Soloveï n'a jamais vraiment rêvé d'Hollywood, laissant sa vie privée dominer l'agenda. Sa famille a toujours eu la priorité pour elle.

Soloveï a enseigné le théâtre dans une école privée et a travaillé dans une radio russophone du New Jersey. Elle fait son retour au cinéma en 2002, avec une apparition dans la série télévisée Les Soprano. Son interprétation de Branca Labinski, l'infirmière de Corrado Soprano, a fait le buzz.

Soloveï est cette actrice rare qui ne s'empare jamais de la plus grosse part du gâteau sur le grand écran, comme si sa mission était d'aider ses co-stars à briller. Conservant son charme, elle a joué dans trois films d'art et d'essai du réalisateur américain primé James Gray. L'actrice russe a joué dans La nuit nous appartient (2007), avec Joaquin Phoenix, Eva Mendes et Robert Duvall ; The Immigrant (2013) avec Marion Cotillard et Joaquin Phoenix, et The Lost City of Z (2016) avec Robert Pattinson. Les acteurs lumineux méritent un matériel riche en oxygène pour pouvoir briller.

Elya Baskin (né en 1950)

Né dans une famille juive à Riga (en RSS de Lettonie), Baskin a émigré aux États-Unis en 1976. Il dit être parti par peur de « manquer le moment ». En Union soviétique, Elya, qui est diplômé de l'école de cirque de Moscou, a joué dans plusieurs films, tels que La Grande Récréation, Telegramma et Trois jours à Moscou.

Baskin a débarqué en Californie à l'âge de 26 ans, sans la moindre maîtrise de la langue anglaise. Il a trouvé un emploi dans un restaurant, mais un sixième sens lui a dit qu'il ne ferait pas ça le reste de ses jours.

Et bien sûr, Baskin a touché le jackpot peu après, en 1977. Il s’est alors vu offrir son premier rôle à Hollywood six mois seulement après son arrivée à Los Angeles. Il s’agissait d’un petit caméo dans Drôle de séducteur, réalisé par Gene Wilder.

Elya n'a jamais eu la nostalgie de l'Union soviétique. Il a créé le premier hebdomadaire en langue russe à Los Angeles, appelé Panorama.

Baskin a également travaillé pour une compagnie d'assurance afin de joindre les deux bouts. Néanmoins, à long terme, ce jeune homme ambitieux à l'accent est-européen caractéristique a prouvé sa valeur en tant qu'acteur.

À Hollywood, Baskin s'est fait un nom en jouant dans des comédies et des films d'action. Il a incarné un comptable dans Les Joyeux Débuts de Butch Cassidy et le Kid (1979) et un assistant russe dans Bienvenue Mister Chance. Sa percée a eu lieu lorsqu'Elya a joué aux côtés de Robin Williams dans la comédie dramatique Moscou à New York (1984) de Paul Mazursky. Il a aussi montré ses talents d'acteur dans MAL : Mutant aquatique en liberté (1989) et Rendez-vous avec le destin (1994). Baskin a également joué un pilote terroriste dans Air Force One (1997). Pour changer, ce thriller politique avec Harrison Ford et Gary Oldman a donné à l'acteur une rare occasion de jouer un méchant.

Baskin a par ailleurs de nombreux crédits télévisés, allant de MacGyver (1986-1987) et Walker, Texas Ranger (1993-1996) à Stranger Things (2022) et Homeland (2018), où il a joué l'ambassadeur de Russie aux États-Unis. Tout à fait symbolique, à propos.

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