Qui est Manizha, représentante de la Russie à l’Eurovision 2021?

Ekaterina Tchesnokova/Sputnik
Manifeste contre les violences domestiques, soutien à la communauté LGBT, ambassadrice de bonne volonté du HCR et d’un fonds œuvrant pour les enfants – nous vous racontons tout ce qu’il faut savoir sur Manizha, celle qui défendra les couleurs de la Russie à l’Eurovision de la chanson.

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À l’issue du vote des téléspectateurs, c’est Manizha, cette chanteuse d’origine tadjike de 29 ans, qui sera cette année l’ambassadrice de la Russie à l’Eurovision. S’étant d’abord essayée dans le domaine de l’indie, puis dans la musique ethnique et électronique, elle partira à Rotterdam avec le tube Russian Woman, qui représente un mélange de hip-hop et de musique folklorique russe. La chanson contient des passages en anglais, mais c’est le récitatif en russe qui en constitue le pivot.

« Cette chanson porte sur la transformation de l’autoidentification de la femme en Russie au cours de ces dernières siècles. La femme russe a parcouru un chemin étonnant depuis l’izba jusqu’au droit d’élire et d’être élue [elle a été parmi les premières à en bénéficier, ndlr], des fabriques aux vols dans l’espace », explique Manizha en parlant de sa chanson qu’elle a écrite le 8 mars 2020.

Néanmoins, ce sont justement les strophes sur la force et l’indépendance de la femme russe qui ont débouché sur une avalanche de commentaires négatifs à l’encontre de l’artiste sur les réseaux sociaux.

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Réfugiée de Douchanbé

Manizha Sangin est née à Douchanbé et elle n’avait que trois ans quand son pays natal a sombré dans le tourbillon de la guerre civile. En 1994, un obus s’est abattu sur la maison dans laquelle elle vivait avec sa famille.

« Par miracle, à une minute de cela, maman est sortie étendre le linge en me portant dans ses bras. Rien ne nous est resté de notre appartement, ni de la vie passée », avouait-elle dans un entretien.

Peu après, la famille a fui pour Moscou afin d’y recommencer sa vie, et ce, « sans droits, sans argent, sans toit ». Sa mère, Nadejda Ousmanova, spécialiste de physique nucléaire, a été contrainte de nettoyer les entrées d’immeubles et de vendre des t-shirts dans les passages souterrains pour nourrir ses cinq enfants.

Aujourd’hui, Manizha dit être « heureuse » d’écrire des chansons en russe pour l’auditoire russophone, mais, souligne-t-elle, ce sont justement ses origines tadjikes qui sont devenues la principale source de la haine la visant. Bien qu’elle ait été choisie par les téléspectateurs, tous n’ont pas été satisfaits par ce choix. « Comment une Tadjike peut-elle chanter sur les femmes russes. Je ne suis pas nationaliste, mais cela me révolte ! », est un exemple des commentaires ayant fait leur apparition sur les réseaux sociaux.

Quoi qu’il en soit, elle se heurte contre les stéréotypes et la xénophobie pure et dure depuis le début de sa carrière en Russie. Elle fait de la musique depuis son enfance : elle est devenue lauréate du IVe festival international Kaunas Talent, a donné des concerts à travers les pays Baltes et ses tubes ont été diffusés par les radios tadjikes. Sa première « grande » gloire, elle l’a connue à 15 ans – elle a été enfin remarquée par des producteurs russes qui ont décidé de la promouvoir. Toutefois, jugeant son nom « trop musulman », ils lui ont inventé un pseudonyme, Ru.Kola.

« Ils ont commencé à me métamorphoser », se souvient-elle. Une teinte plus claire a été donnée à ses cheveux, ses costumes ethniques peu habituels ont été remplacés par des tenues féminines. Les productions avec ses propres chansons ont été interdites et un répertoire pop lui a été choisi. À cette époque-là, elle touchait 10 000 euros par concert (beaucoup plus qu’aujourd’hui), avec une dizaine de représentations par mois, a enregistré son premier album solo... Mais trois ans plus tard, elle a jeté l’éponge.

« J’aimais donner les concerts, mais je n’avais pas l’impression d’apporter quelque chose », explique-t-elle aujourd’hui.

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« Quand tu as quelque chose à dire »

Restée sans producteurs, elle a mis du temps avant de trouver un style qui lui serait propre et a même songé à abandonner sa carrière musicale. Ne voulant pas retourner dans le monde du show-business, elle a dit « niet » aux labels, dont les étrangers. 

Durant cette période, elle a toutefois participé à un show européen, qui n’est cependant jamais sorti sur les écrans, a fait la première d’un concert de Lana Del Rey, sans que cela ne change vraiment sa carrière. « Du point de vue psychologique, j’étais au fonds », avoue Manizha. C’est Instagram qui a tout changé.

Elle s’est mise à publier des collages et des covers musicaux de 15 secondes. Or, ce format a eu du succès auprès de l’auditoire ! En un mois, son compte a vu passer son nombre d’abonnés de 700 à 5 000. Ainsi, Instagram, qui était pour elle un simple exutoire, est devenu sa principale plateforme et source de revenus.

Elle a donc sorti en 2016 son album-Instagram indépendant Manuscript : elle publiait une chanson d’auteur par jour, dont chacune avait une vidéo Instagram et un compte art à part. Ayant occupé pendant trois semaines le top des charts d’iTunes, cet album a fait revenir Manizha sur la grande scène. Cette fois, c’est sa mère qui a endossé le rôle de productrice, de styliste et de créatrice de ses costumes.

En 2018, a suivi son album Я I AM, un mélange d’ethno-pop, de soul et de musique électronique. La plupart de ses chansons sont dédiées aux problèmes sociaux aigus et son compte Instagram sert de haut-parleur pour aborder des thèmes sérieux.

Elle est derrière le flash-mob « Traumatisme de beauté » contre les idéaux imposés par la société ainsi que la campagne sociale SILSILA – une application gratuite de lutte contre les violences faites aux femmes et adolescents comportant une touche SOS et une base de cellules de crises. Depuis 2019, elle est ambassadrice du Fonds d’aide aux enfants « Offre une vie » et depuis décembre dernier ambassadrice de bonne volonté du Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés.

Elle s’est prononcée à plusieurs reprises en soutien aux LGBT : « Je suis pour un monde où l’orientation sexuelles, le sexe, la religion et la race ne sont pas les labels qui nous définissent. Nous sommes plus grands que cela », expliquait-elle.

En parlant de l’Eurovision, elle se souvient que son attitude envers ce concours n’était pas univoque et qu’il y a encore quelques années elle ne pouvait même pas s’imaginer y prendre part. Or, encore une fois dans sa vie, s’est produit un tournant.

« Il y a quelques années, j’ai été très touchée par la victoire d’un gars portugais, qui a chanté sa chanson dans sa langue maternelle sous l’accompagnement de guitare – aucune production branchée, ni marques super populaires. Il est juste monté sur scène pour interpréter sa chanson. [...] Je me suis alors dit que lorsque tu as quelque chose à dire, la victoire est incontournable ».

Dans cet autre article, nous avions regroupé vingt succès de la musique russe en 2020.

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