Cinq œuvres de Nicolas Gogol à lire au plus vite pour effleurer l’insaisissable âme russe

Culture
ALEXANDRA GOUZEVA
Vous ne savez pas qui est Gogol ? Cet illustre écrivain russe (1809-1852) mêlant à la perfection tant récits historiques et fantastiques, que satire et humour, devrait aisément vous emporter dans ses écrits pour des heures de plaisirs littéraires et une meilleure compréhension de la Russie.

Un jeune escroc arrivant dans une lointaine ville appelée N., et se faisant passer pour un important fonctionnaire originaire de la capitale. Un séminariste prononçant l’éloge funèbre d’une jeune défunte, qui se lève soudainement de son cercueil. Un assesseur de collège se réveillant et découvrant que son nez à disparu. Il s’agit là de trois intrigues développées par Nicolas Gogol, le plus drôle, le plus satirique et l’un des plus profonds auteurs russes. 210 années se sont écoulées depuis sa naissance, mais ses œuvres sont toujours autant d’actualité. De plus, il est parvenu à mettre des mots sur les d’ordinaire si brumeux traits du caractère russe, tout en ironisant à propos de nombreux problèmes de la société l’ayant vu naître.

Ainsi, en plus d’être un réel plaisir pour l’esprit, lire Gogol est un excellent moyen pour mieux comprendre les Russes et nous vous recommandons donc avec insistance les différentes œuvres qui suivent.

Les Âmes mortes

La majeure partie de ce roman a été rédigée en Italie, et depuis, l’on considère qu’un auteur russe doit nécessairement analyser son pays de loin pour pouvoir écrire un ouvrage de qualité.

L’intrigue, comme beaucoup de celles de Gogol, est on ne peut plus alambiquée. Un fonctionnaire intermédiaire du nom de Tchitchikov arrive dans une ville de province présentée comme « N » et rend visite aux propriétaires terriens locaux pour acheter leurs « âmes mortes ». Les « âmes » sont en réalité les esclaves paysans décédés mais toujours comptabilisés comme vivants selon le dernier recensement. Leurs propriétaires n’en n’ont plus aucune utilité, tandis que Tchitchikov, pour acquérir un statut social, doit en acheter officiellement le plus possible, et ce, même s’ils sont morts (et donc moins chers).

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Gogol a lui-même déterminé le genre de cette œuvre comme un poème, visiblement en raison de la présence de nombreux écarts lyriques et de réflexions au sujet de divers destins en Russie. « Et  toi,  Russie, ne voles-tu pas comme une ardente troïka qu’on ne saurait distancer ? »

Gogol envisageait de rédiger trois tomes de cette œuvre, à l’instar de L’Enfer, du Purgatoire et du Paradis de Dante. L’Enfer serait ici le premier tome, arrivé jusqu’à nous, et où sont décrits de manière haute en couleur et humoristique les plus sombres traits du caractère russe, le détournement de fonds publics, la corruption, l’hypocrisie (et même les routes en mauvais état !). Dès l’écriture de son Purgatoire, Gogol a cependant compris que ses personnages vertueux n’étaient pas une réussite et a, selon la légende, brûlé son deuxième tome, duquel n’ont subsisté que quelques passages. Cet acte impulsif est d’ailleurs devenu l’objet de nombreuses plaisanteries dans le pays.

Le Revizor

Cette pièce débute d’une manière similaire : une petite ville de province voit l’arrivée d’un petit fonctionnaire, nommé Khlestiakov. Il n’a absolument pas d’argent, pas même pour se nourrir. Mais voici qu’il apprend que tout le gratin de la cité attend un certain revizor, un inspecteur de Saint-Pétersbourg, qui doit venir à eux incognito. Le héros a alors la brillante idée de se faire passer pour lui.

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De hauts personnages locaux commencent donc à venir à sa rencontre, ne lésinant par sur les courbettes et lui proposant argent et services en tout genre. Il se voit même offrir la main de l’unique fille du bourgmestre.

Fortement amusante, cette œuvre a par la suite été adaptée à l’écran par le Sergueï Gazarov, qui a choisi Evgueni Mironov pour incarner ce fonctionnaire peu scrupuleux et l'illustre cinéaste Nikita Mikhalkov pour jouer le rôle du bourgmestre. Le Revizor est également un incontournable de la majorité des théâtres de Russie.

Les Soirées du hameau près de Dikanka

Gogol est né dans le village de Sorotchintsy, près de la ville de Mirgorod, dans la région autrefois appelée Malorossiya (Petite Russie), et aujourd’hui devenue l’Ukraine. Il a par conséquent grandement dépeint le quotidien, les traditions et le mode de vie paysan de ces terres dans l’ouest de l’Empire russe. Deux de ses recueils de nouvelles, Les Soirées du hameau près de Dikanka et Mirgorod, sont ainsi consacrés précisément à sa terre natale. Pourtant, en Malorossiya Gogol n’était que peu apprécié, considéré comme un écrivain trop russe.

On y trouve des nouvelles effrayantes, presque de style horrifique (comme Une nuit de mai ou la Noyée et Une terrible vengeance), mais aussi d’autres humoristiques (La Nuit de Noël), mais toutes ont un point commun : l’esprit malin.

Ses contemporains ont hautement apprécié cette œuvre, qui était alors sans équivalent dans la littérature russe. Cependant, cet intérêt pour le surnaturel et le mysticisme (également très présent dans ses autres écrits) n’a pas été sans conséquences pour Gogol. Autour de sa tombe planent en effet de nombreuses légendes. L’écrivain a été enterré au monastère Danilov, mais quand les autorités soviétiques ont dissout ce dernier, ses restes ont été transférés au cimetière de Novodiévitchi. Des rumeurs sont alors apparues, selon lesquelles lors de l’exhumation aucun crâne n’aurait été découvert, tandis que d’autres on-dit avancent que les ossements auraient été retrouvés dans une position non naturelle. Certains pensent également que Gogol aurait été inhumé lors de son « sommeil léthargique », alors que sa plus grande phobie était justement d’être enterré vivant.

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Mirgorod

Cet autre recueil est considéré comme la suite de celui précédemment présenté, mais il s’avère beaucoup plus profond et sérieux. Les quatre nouvelles qu’il contient s’imposent comme des œuvres indépendantes, et les lecteurs ne se souviennent pas tous qu’elles sont véritablement réunies en un seul ouvrage. La plus connue d’entre elles est Vij, à l’origine de plusieurs films d’horreur et dont nous avons résumé en une phrase l’intrigue au début de cet article (lorsqu’un séminariste prononce l’éloge funèbre d’une jeune défunte qui se réveille soudainement). Une autre nouvelle, valant le coup d’être lue, est Tarass Boulba, se penchant sur un père cosaque et ses deux fils qui vont ensemble à la guerre. Il est ici question d’amour, de trahison, et d’infanticide. « C’est moi qui t’ai donné la vie, c’est moi qui te tuerai », est une citation célèbre issue de ce récit.

Ménage d'autrefois est quant à elle une nouvelle traitant de la paisible vie des hommes âgés et sans enfants ni femme. Enfin le titre de La Brouille des deux Ivan parle de lui-même et relate la querelle à la fois comique et triste de deux amis.

Nouvelles de Pétersbourg

Vous aurez certainement d’ores et déjà remarqué que les œuvres de Gogol différent toutes les unes des autres. Après le folklore ukrainien des deux précédents recueils et les aventures de Tchitchikov et Khlestiakov, nous vous proposons donc de prendre la direction de la capitale impériale russe.

Ce recueil présente la vie du petit peuple dans un Saint-Pétersbourg sans âme, théâtre de phénomènes surnaturels. Ainsi, dans Le Portrait, un jeune peintre achète un tableau maudit et devient fou. Dans Le Nez, c’est l’organe olfactif d’un haut fonctionnaire qui disparait soudainement de manière inexpliquée.

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Mais la nouvelle la plus célèbre, à laquelle les Russes se réfèrent le plus souvent lorsqu’ils parlent d’une « petite personne » souffrant mais ne se rebellant pas, est Le Manteau. Le personnage central, lui aussi fonctionnaire sans importance, est la cible de moqueries et de l’hautaineté de ses semblables et supérieurs. Il mène une existence misérable, ne se consacrant qu’à son travail. Après avoir connu un bonheur éphémère suite à l’achat d’un nouveau manteau, celui-ci disparaît, faisant de lui l’homme le plus malheureux du monde.

Tout comme Gogol, de nombreux Russes célèbres ont été le sujet de théories du complot suite à leur mort. Retrouvez l’histoire de cinq d’entre eux dans cet autre article.