Festival du cinéma russe: triomphe à Honfleur de «L’Homme qui a surpris tout le monde»

Maria Tchobanov
Samedi 24 novembre s’est tenue la cérémonie de clôture de la 26e édition du Festival du cinéma russe de Honfleur. Le Grand Prix de la ville pour le meilleur film a été attribué à l’unanimité par le jury, exclusivement féminin, à Natasha Merkulova et Aleksei Chupov pour «L’homme qui a surpris tout le monde».

La productrice Katia Filippova, venue la semaine dernière au 26e Festival du cinéma russe de Honfleur, en Normandie, afin de présenter le film «L’homme qui a surpris tout le monde», d'ores et déjà récompensé à La Mostra de Venise pour la meilleure interprétation féminine, a dû monter sur scène trois fois.

Gabrielle Lazure et Katia Filippova

Chose rare, le jury de cette année, présidé par l’actrice, réalisatrice et auteur Gabrielle Lazure, a en effet décidé de décerner à ce long métrage remarquable deux autres prix importants – ceux du Meilleur acteur pour l’interprétation d’Evgueni Tsyganov et de la Meilleure actrice pour la performance de Natalya Kudryashova, qui joue le rôle de la femme du personnage principal. D’ailleurs, la réalisatrice, scénariste et productrice Sandrine Veysset, qui a dévoilé le nom des lauréates, a remarqué que parmi les sept films du concours, il n’y en avait pas un où la femme était le personnage central.

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L’homme qui a surpris tout le monde, relatant l’histoire d’un garde-forestier sibérien nommé Egor qui, dans son combat contre la maladie mortelle, décide de changer radicalement de vie et de se travestir en femme, a touché le jury par « le mélange de fable ancestrale à la réalité de la vie contemporaine russe ». Il a trouvé le travail des réalisateurs et de l’acteur très courageux face à l’homophobie, dont souffre la société russe d’aujourd’hui. Selon Gabrielle Lazure, le sujet, particulièrement fort, a été traité avec beaucoup de finesse et de délicatesse.

« Je suis très heureuse pour toute notre équipe et surtout pour l’acteur principal, Evgueni Tsyganov, pour qui ce rôle a été complètement atypique et, je le souhaiterais beaucoup, pourrait devenir le début d’un nouveau tournant de sa carrière », a répliqué Ekaterina Filippova. La productrice a en outre avoué à Russia Beyond qu’elle ne repart jamais les mains vides de Honfleur. En 2012, son équipe avait en effet été récompensée pour Tout le monde est parti de Gueorgui Paradjanov par le prix du meilleur premier film, et en 2015 l’œuvre d’Alexandre Kott intitulée Insight avait raflé le prix du meilleur scénario.

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« L’homme qui a surpris tout le monde a déjà eu de nombreuses récompenses dans des festivals à travers le monde et, ce qui m’a beaucoup touché, ce sont les compliments élogieux et les félicitations du réalisateur Andreï Zviaguintsev pour ce travail. L’idée centrale de cette œuvre est que le potentiel d’un humain est méconnu à lui-même. Le film a une finale assez optimiste, que je résume ainsi : on ne peut pas vaincre la mort, mais on peut essayer de la combattre et il faut lui faire face », a résumé Ekaterina Filippova.

Le Prix François-Chalais du meilleur scénario a quant à lui été décerné à Ivan Tverdovski pour Jump, qu’il a également réalisé. Ce jeune cinéaste est déjà connu du public honfleurais grâce à Classe à part (Grand Prix du festival en 2014, distribué en France). Le héros du film, un jeune homme atteint d’une pathologie rare, se fait enlever de l’orphelinat par sa mère, qui fait profiter tout un groupe criminel de la particularité de son fils, pratiquement insensible à la douleur. « À la fois original et construit comme le théâtre social et politique, ce scénario est presque une métaphore de la société moderne, qui est atteinte de ce qu’on appelle l’analgésie congénitale », a commenté le choix du jury Sylvie Braibant, journaliste, rédactrice en chef à TV5 Monde et faisant à nouveau partie du jury du Festival de Honfleur.

Sylvie Braibant

« J’aime beaucoup le cinéma russe et je trouve qu’il n’est pas assez présent en France. Le Festival de Honfleur est une chance incroyable, le seul endroit où on voit des films qu’on ne verrait pas autrement, il faut qu’il continue. Cette année il y a eu une grande variété de sujets abordés et de façons de filmer. Ce qui m’a frappée, c’est la présence de la guerre, de la Seconde Guerre mondiale, dans plusieurs œuvres », a-t-elle partagé.  

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Elle a également noté que les deux films récompensés par le jury avaient toutes les qualités nécessaires pour plaire au public français. D'ailleurs, la présidente du festival, Françoise Schnerb, a fait comprendre lors de l’annonce de palmarès qu’ils seraient diffusés en France dans quelques mois.

Artem Temnikov

Comme tous les ans, le public du festival, qui épate les cinéastes russes invités par sa fidélité et sa curiosité, a voté après chaque séance pour décerner son prix. Le Prix du Public 2018 a ainsi été attribué à Le Sang d’Artem Temnikov. Les thèmes abordés ici sont la relation complexe entre deux frères et les pièges attendant les provinciaux dans les grandes villes et menant souvent à des tragédies. Un sujet universel qui parle aux Français aussi bien qu’à n’importe quel spectateur, vivant dans un pays atteint par des tensions sociales.

« Si je dois chercher la qualité qui réunit toutes ces œuvres, que nous avons vues au festival, je noterais une notion qui apparaît dans plusieurs films : la notion d’être exclu d’un groupe. On ressent chez les personnages le besoin d’identité, le besoin d’être accepté, le besoin d’amour », remarque la présidente du festival.

Vladimir Bitokov

Ce thème est présent également dans le film de Vladimir Bitokov Les rivières profondes, qui a reçu le Prix de la Région Normandie pour le meilleur début et qui parle d’une famille de bûcherons qui vit au bord d’une rivière loin de toute civilisation.

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Gabrielle Lazure a également noté une spécificité curieuse, caractéristique pour les personnages masculins. « Après toutes ces bagarres, ils apparaissent dans les séquences suivantes nickels, même pas blessés. C’est un peu des surhommes, des Russes, dans ces films », remarque l’actrice. Elle a souligné néanmoins, que dans la plupart des films du concours le jeu d’acteur est assez délicat et subtile, ancré dans la vérité et l’authenticité. « Je ne connaissais pas le cinéma russe contemporain, mais ce que j’ai vu me donne envie de découvrir davantage ce cinéma et la Russie, qui me rappelle mon Québec natal par l’immensité des espaces et les paysages enneigés », a-t-elle confié.

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