Pourquoi les enfants russes appellent-ils les inconnus «tonton» et «tata»?

Éducation
ANNA SOROKINA
En russe, ces mots non seulement désignent le frère ou la sœur des parents, mais sont également utilisés par les enfants afin de s’adresser à un adulte qu’ils ne connaissent pas. Souvent, cette habitude reste, même lorsque l’enfant grandit.

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« Tata, je voudrais une bouteille de lait et une miche de pain, s’il vous plaît », peut dire un enfant au magasin à une caissière. « Donne à tonton chauffeur l’argent pour le trajet », pourrait demander une mère à son enfant dans le bus. Comment est née la tradition consistant à s’adresser ainsi aux étrangers ?

Culture de l’adresse

Il n’existe pas de formes neutres pour s’adresser aux étrangers dans la langue russe. Ainsi, en anglais on trouve « Mr » et « Miss/Mrs », en français « Monsieur », « Madame ». Mais en russe, ces formules étant absentes, on dit le plus souvent « jeune femme » (devouchka) ou « jeune homme » (molodoï tchelovek). Toutefois, s’adresser à quelqu’un en disant simplement « femme » (jenchtchina) et « homme » (moujtchina) est considéré comme impoli, voire offensant, car cela fait allusion à l’âge.

Avant la Révolution, on s’adressait aux gens selon le titre ou la classe sociale :

Dans les villes, on disait le plus souvent « monsieur » / « madame » (soudarsoudarynia, du mot « seigneur »), à un groupe de personnes - « mesdames » / « messieurs » (damygospoda, emprunt au français apparu sous Pierre Ier). On s’adressait aux princes uniquement en disant « Votre Grâce » et aux membres de la famille impériale par un « Votre Altesse ».

Dans les villages, on faisait moins de chichis. On s’adressait aux autres comme à des parents. Ainsi, un adulte pouvait appeler une personne âgée qu’il ne connaît pas « père », et une personne de son âge « frère » ou « sœur ». Mais pour l’enfant, tout adulte était une « tante » ou un « oncle ». Ceci était considéré comme respectueux lorsqu’on s’adressait aux personnes du même âge que ses parents.

Au milieu du XIXe siècle, lorsque les industries ont commencé à apparaître activement dans l’Empire russe et que les gens ont commencé à déménager en ville pour y travailler, ces façons de s’adresser aux autres ont migré vers l’environnement urbain.

En Union soviétique, les « soudary » et autres « altesses » ont disparu, car tout le monde était en théorie égal. L’adresse « tovarichtch » (camarade) pouvant être utilisée avec tout le monde a été introduite dans la langue russe, mais elle était principalement utilisée dans un contexte officiel. Dans la vie quotidienne, les mots simples « tata » et « tonton » sont restés, tant pour les personnes connues que pour les inconnus. Et beaucoup, même en grandissant, continuent d’appeler l’amie de leur mère « tata Sveta » et, par inertie, apprennent à leurs enfants à faire de même.

Pas si étrangers que ça

D’un point de vue linguistique, ces mots ressemblent à du babillage de bébé (« dia-dia », « tio-tia », « ma-ma », « pa-pa »…) et sont faciles à retenir.

Les racines de ces adresses indiquent également que les habitants d’un même village pouvaient effectivement être parents les uns des autres, même de façon indirecte, par exemple des cousins germains. Ainsi, les gens mettaient inconsciemment l’accent sur la parenté.

Et ceci était nécessaire pour des raisons de sécurité, surtout dans le cas d’un enfant. En faisant comprendre clairement que la personne à laquelle on s’adresse est « l’un des nôtres », celle-ci en théorie ne vous fera pas de mal.

Nouvelle étiquette russe

Aujourd’hui, le plus moderne et le plus respectueux est d’utiliser le prénom et le patronyme (« Elena Pavlovna », « Dmitri Alexandrovitch »), ou, si vous voulez parler avec un étranger, de recourir aux mots « Pardon ! », « Excusez-moi ! », toujours en vouvoyant la personne.

« Ma mère croyait que tonton et tata étaient utilisés au village et que les citadins qui ont fait des études supérieures ne parlaient pas aux autres de cette façon », explique Tamara de Moscou, linguiste de formation. « Donc nous nous adressions aux connaissances adultes avec leur prénom et leur patronyme, à moins qu’elles n’aient elles-mêmes demandé à être appelées tonton et tata. Et on m’a appris à m’adresser aux étrangers en disant “Bonjour, excusez-moi, s’il vous plaît”, c’est-à-dire que je n’ai jamais dit “tonton, enlève le nounours du sapin de Noël” ».

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« Quand j’étais enfant, je m’adressais comme ça aux étrangers, raconte Daria de Moscou, retoucheuse photo, « car mes parents parlaient comme ça : “Arrête de gigoter, tu vas salir la tata.” »

« Au contraire, quand j’étais enfant, j’appelais tout le monde par son nom et son patronyme, mais maintenant je me présente moi-même aux enfants comme tata Sveta », explique Svetlana, économiste vivant à Moscou. « Désormais, on ne m’appelle soudarynia que lorsqu’on achète des crêpes dans un café », ajoute-t-elle avec une touche d’humour.

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