Comment Vorkouta, ville légendaire de l’Arctique russe, vit-elle aujourd’hui?

Pavel Kouzmitchev
Cette cité minière sur le 67e parallèle frappe par ses contrastes. Même ceux qui l’ont quittée se souviennent de cet endroit avec beaucoup de chaleur et disent que l’on y rencontre des gens incomparables.

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Ce bâtiment est qualifié de « plus effrayant » de la ville. Il s’agit d’un immeuble à panneaux avec des fenêtres condamnées et un slogan délabré sur le toit : « Gloire aux conquérants des régions polaires ! ». C’est terrifiant, mais nous entrons. Nous sommes accueillis par des volées d’escaliers vétustes et de longs couloirs sombres.

Le silence est rompu par des pas timides au-dessus de nous. Au premier étage, un chaton noir nous saute dessus comme avec un vil ricanement. Le cœur battant, nous courons aussi vite que possible. Dès que nous sortons dans la rue, il n’y a plus aucune trace de peur. Ici, Vorkouta est complètement différente, vivante et joyeuse.

La chaleur d’une ville du Nord

Nous sommes arrivés à Vorkouta, la quatrième plus grande ville du monde située au-dessus du cercle polaire arctique, dans les derniers jours de novembre et nous nous sommes immédiatement retrouvés à la Fête du Nord. Il était inattendu de voir des rennes courir dans la rue centrale par -20°. Il s’avère que chaque année, les peuples du Nord – Komis, Nénètses, Khantys – viennent de la toundra pour faire connaître leurs traditions aux citadins.

Cette année, les courses de traîneaux ont eu lieu à la veille de la célébration du 80e anniversaire de Vorkоuta et ont rassemblé des milliers de spectateurs. Nous avons eu l’occasion de communiquer non seulement avec les résidents locaux, mais aussi avec ceux qui ont quitté la ville depuis longtemps. Et savez-vous quelle est la phrase qu’ils nous ont le plus souvent répétée ? « Il n’y a nulle part ailleurs des gens comme ceux de Vorkouta ».

Ville de la jeunesse

« Nous avons créé cette ville pour 250 à 300 000 habitants. Nous avions prévu à l’avance qu’une jeune génération grandirait ici, qu’elle ferait du sport, qu’elle se préparerait à relever tous les défis. Une ville de romantiques, une ville de rêveurs, c’est pourquoi il y a tant de bâtiments et de structures dédiés à la jeunesse », explique Mikhaïl Peïmer, un homme qui a participé à la construction de Vorkouta presque depuis sa fondation.

En février 2023, Mikhaïl a fêté son centième anniversaire. Le jeune officier, diplômé de l’école militaire des artilleurs de Moscou, a traversé toute la Seconde Guerre mondiale. 20 jours avant la Victoire, alors qu’il se trouvait à Königsberg (ancien nom de Kaliningrad), il a été accusé de propagande antisoviétique et condamné à 10 ans de camp. C’est ainsi qu’il s’est retrouvé à Vorkouta. Après la mort de Staline, il a été réhabilité et a récupéré ses récompenses. Il a néanmoins travaillé à Vorkouta jusqu’en 1984, date à laquelle il a pris sa retraite. Aujourd’hui, il vit à Iaroslavl, la ville de son enfance. Il communique avec les jeunes, écrit des livres et gère ses réseaux sociaux.

Mikhaïl Peïmer, à droite

Il est venu à Vorkouta avec un ami, également ingénieur retraité local.

La mine de charbon la plus profonde de Russie

Le travail de nombreux habitants de la ville est lié au combinat de Vorkutaugol, le plus grand de notre pays. Il comprend 4 mines (Vorgachorskaïa, Vorkoutinskaïa, Zapoliarnaïa, Komsomolskaïa), la fosse à charbon Iouniaguinski, l’usine d’enrichissement, et l’Usine mécanique de Vorkouta, où l’on répare tous les équipements d’exploitation minière et de creusement de tunnels.

« Je suis descendu dans la mine pour la première fois en 2005, et j’ai aimé ça, nous a confié Oleg Garanine, directeur de la mine Komsomolskaïa. Je suis passé par toutes les professions, d’ouvrier souterrain à directeur ».

Komsomolskaïa est la mine de charbon la plus profonde de Russie, avec une profondeur de plus de 1 100 mètres. Il faut environ 10 minutes pour descendre au premier palier seulement.

Environ 1 000 personnes travaillent ici, et la quasi-totalité d’entre elles sont des résidents de Vorkouta, et non des travailleurs y venant en mission temporaire. Une commission médicale est obligatoire, tandis que l’entrée et la sortie se font après un alcootest. Tout le monde respecte la « loi sèche », y compris le directeur, car lui et ses adjoints descendent également dans la mine.

Perle de l’Arctique

Dans les années 1930, des géologues ont découvert dans le nord de l’Oural un charbon de haute qualité et à faible teneur en soufre. C’est le type de charbon à coke nécessaire à la métallurgie. Il est utilisé pour chauffer les hauts fourneaux où l’on élabore la fonte. Aujourd’hui encore, il s’agit des plus grandes réserves de charbon d’Europe (plus de 4 milliards de tonnes !).

La construction de Vorkouta a été entamée par des prisonniers. Le nombre de détenus du camp de Vorkouta (Vorkoutlag) s’élevait à 70 000 personnes. Parmi eux se trouvaient des représentants de nombreux peuples, ce qui a valu à Vorkouta d’être souvent surnommée « capitale du monde ».

Cité ouvrière de Roudnik, en périphérie de Vorkouta dans les années 50

En 1943, la colonie a reçu le statut de ville, et un chantier de grande ampleur a commencé. Après la mort de Staline, lorsque les camps ont été démantelés, les jeunes membres du Komsomol (organisation de la jeunesse communiste) de tout le pays ont commencé à venir ici. Un « anneau » de mines de charbon et de cités ouvrières a alors été construit autour de Vorkouta.

Le plan général de construction a été approuvé en 1956. Comme Norilsk, Vorkouta a été bâtie selon les plans des architectes de l’école de Leningrad.

Il vaut la peine de se promener dans la rue Lénine pour voir les magnifiques colonnes du Palais de la culture des mineurs et de l’Institut technique minier, le monumental Palais des pionniers, ainsi qu’un grand nombre de beaux édifices en briques avec des boutiques et des restaurants au rez-de-chaussée. Les bâtiments sont également parfois ornés d’enseignes soviétiques, ce qui leur confère une atmosphère particulière.

« Compression contrôlée »

Au moment de l’effondrement de l’Union soviétique, jusqu’à 250 000 personnes vivaient à Vorkouta et dans ses environs (environ 60 000 aujourd’hui). Le labeur dans le Grand Nord était très apprécié.

Cependant, en 1989, les salaires et les avantages sociaux ont été réduits. Une vague de grèves a éclaté parmi les mineurs et après l’effondrement de l’URSS, les gens n’ont pas perçu d’argent du tout pendant des mois. À la recherche d’une vie meilleure, ils ont commencé à partir progressivement vers d’autres villes.

Ces dernières années, la situation s’est améliorée : les spécialistes qui travaillent sous terre reçoivent de 80 à 150 000 roubles (800-1 500 euros), ainsi que le droit à une retraite anticipée et à des congés plus longs.

À Vorkouta, un programme de « compression contrôlée » est en place depuis plusieurs années. Les habitants des localités désertées sont relogés dans la ville afin de réduire les coûts d’entretien des infrastructures.

La Russie dispose également d’un programme gouvernemental destiné à aider les habitants du Grand Nord : ils peuvent obtenir des subventions pour acheter un logement dans d’autres régions, mais la file d’attente s’allonge pendant des années, alors que la vie, elle, s’écoule.

« Les gens surnommaient Vorkouta "la perle de l’Arctique", déclare Mikhaïl. Bien qu’il semble aujourd’hui que Vorkouta soit dans un certain oubli, ce n’est pas le cas. Personne n’est oublié et rien n’est oublié. Vorkouta jouira d’un second souffle ».

En 2023, le gouvernement russe a inclus Vorkouta dans la liste des points d’appui arctiques. Des plans de développement économique à long terme seront élaborés pour eux, ce qui devrait améliorer considérablement la vie des habitants du Nord.

Vorkouta conserve une grande partie du patrimoine industriel et architectural soviétique. De nombreux touristes viennent ici pour voir les colonies fantômes abandonnées sur ce que l’on appelle l’« anneau de Vorkouta ». Nous vous en parlerons dans un prochain article.

Dans cet autre article, découvrez Teriberka, ce village arctique oublié devenu destination touristique russe à la mode.

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