Une jeune Nénètse témoigne de son quotidien d’éleveuse de rennes nomade en Sibérie

olenevod.me
Tomber dans un ravin ou rencontrer un ours lors des migrations n'est pas obligatoire, mais très probable. Oxana Iar, éleveuse de rennes, explique quels autres dangers les guettent dans le Grand Nord russe, comment leur mode de vie est organisé, quels bienfaits de la civilisation ils s’accordent et quelles traditions ils observent encore.

Russia Beyond désormais sur Telegram ! Pour recevoir nos articles directement sur votre appareil mobile, abonnez-vous gratuitement sur https://t.me/russiabeyond_fr

Par un crépuscule d’hiver, une motoneige Bourane avec un traîneau tracté traverse la toundra de la péninsule de Iamal, dans l’Arctique sibérien, en pleine tempête de neige. Dans ce décor enneigé, le conducteur ne remarque pas un petit ravin et y chute avec son attirail. Sur le traîneau se trouvent sa femme et sa fille d'âge préscolaire.

« Je me souviens que la motoneige est tombée la première et le traîneau juste après, et que nous avons atterri directement sur la Bourane sur laquelle mon père était assis. Puis, tout s'est bien passé, nous sommes sortis et personne n'a été blessé, nous avons juste eu très peur », se souvient Oxana Iar, la fillette en question, à propos d'un incident survenu à sa famille en 2003.

Oxana est née dans une famille d'éleveurs de rennes dans la petite colonie de Sio-Iakha (« Gorge du fleuve » en langue nénètse), village traditionnel le plus au nord de la péninsule de Iamal. Avec ses parents, elle a mené un mode de vie nomade, a appris à s'occuper du pâturage des rennes, à couper leurs bois et à entretenir le foyer. Et, dit-elle, un accident de motoneige est loin d'être le principal danger auquel les éleveurs de rennes peuvent être confrontés.

Maturité prématurée dans la toundra

Le village de Sio-Iakha ne compte pas plus de 3 000 habitants et est situé à trois kilomètres du golfe de l'Ob. Pendant qu’elle était à l’école, Oxana y vivait avec sa sœur, et durant les vacances, elle rendait visite à ses parents dans la toundra. Sa mère travaillait comme infirmière, tandis que son père assistait cette dernière et élevait des rennes.

« Ma mère allait de tchoum en tchoum [la hutte traditionnelle de plusieurs peuples nomades de Russie], soignait les gens, procédait parfois à des accouchements sur place. Le climat de la péninsule, surtout en hiver, est rude. Les tempêtes violentes et les blizzards étaient fréquents, alors mon père conduisait souvent ma mère, car il trouvait toujours le chemin vers le bon tchoum. Quant à ma sœur et moi, parfois pendant les vacances, nous allions aussi dans de nombreux tchoums ; c'est l'un de mes souvenirs d'enfance les plus forts », se souvient Oxana.

Dans les familles d'éleveurs de rennes, les enfants apprennent à tenir la maison, d'abord sous forme de jeux, puis quand ils grandissent, pour de vrai, explique-t-elle. Par exemple, dès l'âge de 4 ou 5 ans, les garçons apprennent à fabriquer à partir de cordes une sorte de lasso pour attraper les rennes. Les enfants s’entraînent tout d’abord à l'utiliser pour capturer un chien, une tête de renne avec des bois, ou simplement leurs congénères. Certains garçons apprennent en outre à fabriquer un arc et à tirer avec, tandis que les filles assemblent des tchoums en jouets.

À 7-8 ans, les garçons aident déjà leur père à atteler et dételer les rennes et apprennent à conduire une motoneige. Les filles participent à apporter du bois de chauffage et de l'eau au tchoum, font la vaisselle, aident à laver les vêtements et nourrissent les chiens. Lorsqu'ils atteignent l'adolescence, ils gèrent le traîneau à rennes et aident à élever leurs cadets.

Selon la tradition, l'homme élève et entretient les rennes, fabrique les pièces de la hutte, pêche, chasse, et choisit l'emplacement du campement et du pâturage. De son côté, la femme élève les enfants, veille à la propreté du foyer, monte et démonte le tchoum, fait la cuisine, confectionne les vêtements de toute la famille, se charge du tannage et du corroyage des peaux, va chercher l'eau à la rivière et ramasse le bois de chauffage.

De nos jours, les Nénètses ont eux aussi souvent recours à l'argent, achètent des motoneiges, de l'essence, des bateaux à moteur, des filets, des téléphones portables, des denrées alimentaires telles que du pain, de la farine, du sucre, du sel et des sucreries, qu’ils ne consommaient traditionnellement pas. Ils gagnent de l'argent en vendant de la viande de renne, des rennes vivants, des peaux, des baies et des bois de renne, ainsi qu'en fabriquant des souvenirs et en réalisant des excursions dans leur région d'origine. Le renne, le poisson et, plus rarement, le gibier restent leur principale source d'alimentation.

Lire aussi : Comment les enfants nomades vont à l’école

Foi et traditions

Certains Nénètses croient au chamanisme ou pratiquent le christianisme orthodoxe, mais la plupart vénèrent encore les esprits de la nature.

« Par exemple, ils croient en Noum, l'esprit du ciel, il est sans visage et immatériel. Puis il y a N'a, l'esprit de la mort et de la maladie, qui vit sous terre. Il y a aussi Ia-Nebia – Mère de la Terre, considérée comme la patronne des femmes. Dans le tchoum, il y a également Miad-poukhoutsia, "Maîtresse du tchoum". Elle se trouve généralement du côté des femmes : soit sur des coussins, soit dans un sac au-dessus de la tête de lit de la femme », explique Oxana.

Il est en effet de coutume pour les Nénètses de diviser l'espace de la hutte en un côté pour les femmes et un pour les hommes. Le côté des femmes se trouve à l'avant, tandis que celui des hommes est derrière. Le centre, où les parties masculine et féminine se rencontrent, comprend le poêle. La femme étant la gardienne de ce dernier, l'homme n'a pas le droit d'y toucher. Une femme, en revanche, n'est pas autorisée à pénétrer du côté du tchoum réservé aux hommes et doit être prudente à l'extérieur.

« Une femme ne doit pas marcher sur un objet ou une corde dehors, tout doit être contourné. Si une femme marche sur une corde ou un objet, elle doit l’enfumer avec du genévrier. Tout cela est lié au fait que la femme est considérée comme impure, c'est-à-dire liée à l'autre monde », explique Iar.

Presque chaque famille nénètse possède également un traîneau sacré, contenant des objets rituels et un coffre à idoles hérité des générations précédentes. Seul un homme peut s'en approcher.

« Mais toutes les interdictions et restrictions ne sont pas quelque chose d'humiliant, elles sont perçues comme allant de soi », témoigne Oxana.

Gorges, glace et ours

Outre les gorges, un autre danger pour les éleveurs de rennes est la glace parfois trop fine sur les lacs ou rivières gelés.

« De nombreux éleveurs de rennes coulent bêtement leurs Bouranes, et certains tombent malheureusement avec à travers la glace. La pêche sur l'Ob ou les grands lacs et les larges rivières apporte aussi son lot d'ennuis. Les grosses vagues font tanguer le bateau et un pêcheur sans équipement de sécurité est soumis au danger », explique Oxana.

Enfin, un éleveur de rennes peut facilement rencontrer un ours dans la forêt ou près de son campement.

« Mon père a croisé un ours, mais il était avec ses chiens à ce moment-là, et l'ours a pris peur et s'est enfui. Mais dans notre région, nous trouvons des traces tout le temps. Parfois, nous allons dans la forêt le matin et au bout d'un certain temps, quand nous revenons, il y a déjà une trace d'ours. C'est donc presque une chose habituelle », décrit-elle.

Lire aussi : Combien coûte la construction d'une hutte d’éleveurs de rennes en Russie?

Liens avec la vie moderne

Selon les dires d’Oxana, sa famille est plutôt moderne et vit dans un tchoum en été et dans une izba située dans la toundra forestière en hiver. Ils ne se déplacent plus tous les cinq ou sept jours, et les rennes, sauf en hiver, restent dans un enclos, que les Nénètses appellent « karal ».

« En hiver, on se lève le matin, on allume le poêle, on fait du thé, on réveille la famille, tout le monde se lave, on boit le thé, nous, les femmes, nous faisons le ménage, nous apportons de la glace pour l'eau, nous apportons du bois, nous nourrissons les chiens, quelqu'un coud quelque chose, quelqu'un aide notre père avec la Bourane, ou va voir le troupeau pour vérifier comment il va », précise Iar.

En été, la famille surveille le troupeau, attrape les rennes faibles, les soigne et les vaccine.

« Nous allumons obligatoirement des feux de camp, afin qu'il y ait une épaisse fumée, qui chasse les taons et les moustiques. Nous essayons ainsi d'aider les rennes à survivre aux dures journées d'été. Puis, en juillet, nous scions les bois de rennes pour les vendre plus tard », poursuit Oxana.

Certains Nénètses utilisent des panneaux solaires au lieu des générateurs électriques classiques pour brancher leurs téléviseurs, leurs ordinateurs portables avec accès à Internet et la lumière, explique notre interlocutrice. Dans la forêt et la toundra, beaucoup utilisent des poêles à bois au lieu de chauffages électriques.

« Un tel poêle donne une bonne chaleur, vous pouvez cuisiner dessus, et il est facile à transporter », souligne la jeune femme.

De nombreux éleveurs de rennes suivent également des études supérieures – Oxana a par exemple obtenu en décembre 2021 un master à Kirov, avec une spécialisation en sécurité environnementale. Elle s’adonne aussi à la photographie et fabrique des bijoux inspirés par la nature du Grand Nord.

Dans cet autre article, vivez une immersion de 24h dans la toundra aux côtés des éleveurs nomades de Iamalie.

Dans le cadre d'une utilisation des contenus de Russia Beyond, la mention des sources est obligatoire.

À ne pas manquer

Ce site utilise des cookies. Cliquez ici pour en savoir plus.

Accepter les cookies