À la découverte des mystères de la cathédrale Saint-Basile (suite)

L'historien et expert en architecture William Brumfield poursuit son exploration de l'intérieur de ce bâtiment emblématique.

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Moscou. Cathédrale de l'Intercession sur les douves (Saint-Basile)

Bien que le chimiste et photographe russe Sergueï Prokoudine-Gorski soit surtout connu pour ses photographies de l'Empire russe au début du XXe siècle, il a également créé une entreprise qui produisait des cartes postales en couleur et des illustrations de livres. Parmi les publications avec ses photographies en couleurs figurait un grand volume publié en 1913 à l'occasion du tricentenaire de la dynastie Romanov. Les illustrations comprenaient sa reproduction d'une aquarelle réalisée pour un album offert en 1673 au tsar Alexis Ier en commémoration de l'intronisation de son père, Michel Ier, le premier tsar Romanov.

Place Rouge. Proclamation de l’intronisation du tsar Michel Romanov. De gauche à droite : Saint-Basile, Lobnoïé Mesto, mur du Kremlin et tour Saint-Sauveur. Reproduction d'une gravure teintée de 1673 publiée en 1913.

L'aquarelle cherche à montrer l’événement solennel du 21 février 1613 durant lequel le peuple a juré fidélité au tsar Michel, nouvellement élu, sur la place Rouge. La principale caractéristique architecturale de l'aquarelle est la cathédrale Saint-Basile à plusieurs dômes. Malgré sa renommée, la structure complexe n’a pas livré tous ses secrets. Même son nom varie : du populaire « Saint-Basile » à sa désignation officielle de « cathédrale de l'Intercession de la Sainte Vierge sur les douves ». Au XVIIe siècle, on l'appelait aussi « Jérusalem ».

Après avoir photographié cette carte de visite de Moscou pendant des décennies, j'ai pu en 2012 rephotographier l'intérieur avec un appareil photo numérique.

Monument à la Moscovie et à l'orthodoxie

Saint-Basile. Escalier d'entrée sud-ouest

Saint-Basile est situé sur un terrain surélevé au-dessus de la rive gauche de la Moskova et fournit un point de repère visuel sur un vaste espace connu depuis le milieu du XVIIe siècle sous le nom de place Rouge (l'adjectif krasnaïa signifiait « belle » en russe ancien). L'église servait ainsi de lien symbolique entre le Kremlin, centre du pouvoir politique, et la possad, la zone marchande densément peuplée de Kitaï-Gorod.

Saint-Basile, intérieur. Escalier d'entrée sud-ouest

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Les origines de Saint-Basile sont aussi complexes que sa forme. Peu de temps après que le tsar Ivan IV (dit « le Terrible ») eut pris la ville de Kazan les 1er et 2 octobre 1552, il a ordonné qu'une église dédiée à la Sainte Trinité soit érigée sur la place à l'extérieur du Kremlin, près de la porte Saint-Frol (plus tard rebaptisée porte Saint-Sauveur, ndlr).

Saint-Basile. Église Saint-Varlaam Khoutinski

Ivan voulait que l’échelle de cette église reflète l'importance de sa victoire de Kazan, qui a non seulement éliminé une relique gênante du pouvoir mongol, mais également ouvert devant lui une vaste zone de colonisation et de commerce. Bien que le temple semble constituer une agglomération chaotique de parties, ses architectes - généralement reconnus comme Ivan Barma et Postnik Iakovlev - ont créé un plan logique doté d’une richesse de sens en couches.

La nouvelle construction avait un double objectif - illustrer le triomphe de l'orthodoxie et celui de la Moscovie. Les victoires d'Ivan n'étaient pas simplement un épisode d'une interminable guerre frontalière, mais aussi un événement déterminant dans l'identité d'une nation dotée d'un sens du destin.

Saint-Basile. Église Saint-Varlaam Khoutinski. Intérieur avec iconostase

Pour célébrer ces idées, chaque élément de la cathédrale a été doté de significations iconographiques et symboliques. Composé d'églises regroupées autour d'une tour centrale, ce monument est le symbole du pouvoir unificateur depuis son achèvement au milieu du XVIe siècle.

L'ensemble de la cathédrale de l'Intercession (Saint-Basile) se compose d'une tour centrale entourée de huit églises autonomes situées sur une terrasse commune qui a été clôturée et peinte au XVIIe siècle. Le plan de l'ensemble incarne le concept de la trinité : chaque axe, diagonale et côté a trois tours, et la structure au niveau de la terrasse est divisée en trois parties.

Saint-Basile. Église de l'Intercession, porte sud; Église de l'icône Velikoretski de Saint-Nicolas

À l'intérieur, le plan crée un labyrinthe enchanteur de portes décorées et de passages bas qui relient les tours compactes des différentes églises. Chacun de ces espaces ne peut accueillir que quelques fidèles, et les services dans le complexe du temple ont souvent lieu à l'extérieur, sur une partie adjacente de la place Rouge.

Mon article précédent examinait les cinq églises-tours situées à l'ouest, au centre et au nord ainsi que la connexion entre elles. Celui-ci examinera les cinq autres, y compris le petit sanctuaire dédié à Basile lui-même.

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Une exploration de l'intérieur commence par la galerie d'entrée principale, située du côté ouest avec des escaliers latéraux coiffés de toits en pente, qui mènent à la terrasse surélevée reliant les différentes églises. Ouverte à l'origine, la terrasse a été fermée lors d'une rénovation de l'ensemble dans les années 1680. Bien que relativement exiguë, la galerie arbore une apparence festive, avec des motifs élaborés peints par phases au cours du XVIIIe et du début du XIXe siècle.

Honorer une famille

Saint-Basile. Église de l'icône Velikoretski de Saint-Nicolas, intérieur. Vue de la tour supérieure et du dôme avec représentation du Christ Pantocrator

Deux églises sur le flanc sud sont liées à Ivan et sa famille. La consécration de l'église sud-ouest à Saint Varlaam du monastère de Khoutyne, près de Novgorod, commémore le père d'Ivan, Basile III, qui peu de temps avant sa mort avait assumé comme le voulait la tradition le rôle de moine et adopté le nom de Varlaam. L'intérieur de la tour est en briques blanchies à la chaux sans ornement. La petite iconostase exquise a été rénovée au XVIIIe siècle, mais les icônes ont un style plus ancien.

Saint-Basile. Église Saint-Nicolas Velikoretski, intérieur. Représentation du Christ Pantocrator

L'église sud (l'une des quatre tours majeures aux points cardinaux) est dédiée à l'icône de Saint-Nicolas de Velikoretsk, une icône « miraculeuse » apportée à Moscou depuis le village de Velikoretskoïé (près de Viatka) sur ordre d'Ivan en 1555. Initialement placée dans la cathédrale de la Dormition, de nombreux miracles ont été attribués à l'icône. Elle peut également être considérée comme ayant une double référence symbolique à la rivière Velikaïa près de l'ancienne ville de Pskov, dont les moines ont joué un grand rôle afin d’articuler la mission de l'autorité moscovite.

Saint-Basile, intérieur. Galerie sud avec peintures murales du XIXe siècle. À gauche : peinture de Sainte Catherine.

Comme l'intérieur de la tour nord, celui de l'église Saint-Nicolas a été richement orné de peintures religieuses au milieu du XIXe siècle. Le point culminant est une image juvénile du Christ Pantocrator sur la voûte du dôme. L’iconostase a été rénovée au milieu du XIXe siècle.

Des briques moins banales qu’il n’y paraît

Saint-Basile. Église Saint-Alexandre de Svir; Saint-Basile. Église Saint-Alexandre de Svir, intérieur. Vue de la tour avec le niveau supérieur de l'iconostase

L'église du sud-est, dédiée à Saint Alexandre de Svir, commémore la victoire le 30 août de la Russie sur la cavalerie tatare dirigée par le prince Epancha, ce qui permit d’éliminer une menace majeure pour Moscou lors du siège de Kazan. Saint Alexandre (1448-1533) était un chef monastique actif du diocèse de Novgorod connu pour son ascèse rigoureuse. En 1485, il posa les fondations de ce qui devint le monastère Saint-Alexandre-de-Svir, près de la rivière homonyme.

Église Saint-Alexandre de Svir, intérieur. Vue de la tour avec briques peintes

Alexandre a été canonisé sous le règne d'Ivan à l'initiative du métropolite Macaire. La Saint Alexandre a lieu le 30 août, et ainsi, l'église nord-est des Trois Patriarches et l'église sud-est symbolisent la victoire de la Russie survenue ce jour-là.

Bien qu'ils ne soient pas ornés d'images religieuses, les murs de cette petite tour sont un exemple fascinant d'une technique connue sous le nom de pod kirpitchi (« fausse brique ») dans laquelle les murs étaient peints avec les motifs de la brique rouge, avec des jointures blanches bordées pour ressembler à du mortier. Cette pratique, importée d'Italie, a également été appliquée à l'extérieur en brique de l'ensemble à la fin du XVIIIe siècle. La peinture protégeait non seulement les murs des infiltrations d'humidité, mais rehaussait également la couleur de la surface.

Saint-Basile, intérieur. Galerie sud avec peintures murales du XIXe siècle. De gauche à droite : Sainte Catherine, Saint Serge de Radonège, métropolite Pierre

L'axe principal se termine à son extrémité orientale par la tour majeure dédiée à la Trinité. Cette église est le « saint des saints » de l'ensemble en raison de sa consécration au concept de la trinité, base du système numérologique de la cathédrale. Le seul élément décoratif des murs intérieurs blanchis à la chaux est une spirale de briques sur la voûte du dôme. L’iconostase a été rénovée au XVIIIe siècle.

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Pourquoi Saint-Basile ?

Saint-Basile. Église de la Trinité. Centre inférieur : dôme de l'église de Basile le Bienheureux

Lorsque toutes les églises d'origine sont prises en compte, il reste le nom populaire du temple – Saint-Basile. Basile le Bienheureux (1469-1552 ou 1557) était un iourodivy moscovite - ou « fol en Christ » - vénéré par le tsar lui-même ainsi que par le peuple pour sa sainteté et son don de prophétie. Avec le soutien du métropolite Macaire, un sanctuaire en bois en son honneur de Basile (Vassili Blajenny) a été érigé à l'est de l'église de la Trinité d'origine.

Saint-Basile. Du centre gauche : église de la Trinité, église de Basile le Bienheureux, église des Trois Patriarches (dans l'ombre), église des Saints Cyprien et Justine. Arrière-plan : Tour de l'église de l'Intercession

Le sanctuaire a été maintenu pendant la construction de la cathédrale de l'Intercession. La vénération officielle de Basile a été instituée en 1588, sous le règne du fils d'Ivan, Fédor, et avec le soutien de Boris Godounov. À cette époque, une petite église en briques de Basile le Bienheureux était rattachée à l'angle nord-est de la cathédrale. Rénovée en 1672, son architecture conserve des traits archaïques du XVIe siècle. L’intérieur exigu est dominé par une somptueuse iconostase et par le sarcophage de Basile.

Saint-Basile. Église de Basile le Bienheureux, intérieur. Vue en direction de l’iconostase. À droite : sarcophage de Basile le Bienheureux

L'église de Basile le Bienheureux est également devenue le lieu ou repose un autre « fol en Christ », Jean le bienheureux - populairement connu sous le nom de « grand chapeau » (bolchoï kolpak) – qui avant sa mort en 1589 avait exprimé le désir d'être enterré près de Basile.

Malgré la taille modeste de l'église par rapport aux tours environnantes, le culte de Basile a pris une telle ampleur qu’il a fini par usurper dans l'usage courant toutes les appellations antérieures de la cathédrale, officielles ou non. En effet, c'était la seule partie de l'ensemble qui tenait quotidiennement des offices liturgiques. Les services dans les autres églises n'avaient lieu que le jour de leur consécration et lors des 12 principaux jours de fête.

Saint-Basile. Passage au niveau du sol vers l'église de Basile le Bienheureux. Peinture au plafond de la Nativité de la Vierge sur l'autel de la Nativité près de la tombe de Jean le Bienheureux

On pourrait écrire longuement sur les couches de richesse symbolique arborées par Saint-Basile, richesse qui a évolué au fil des siècles depuis sa construction originale. L'église de l'Intercession elle-même est devenue une carte de visite de la Russie, un complément au Kremlin en tant que manifeste d'identité nationale.

Saint-Basile. Passage au rez-de-chaussée avec exposition d'objets de construction et de différentes couches de décoration murale du XVIe au XIXe siècle

Au début du XXe siècle, le photographe russe Sergueï Prokoudine-Gorski a développé un procédé complexe pour la photographie couleur. Entre 1903 et 1916, il a parcouru l'Empire russe et a pris plus de 2 000 photographies avec ce processus, qui impliquait une triple exposition sur plaque de verre. En août 1918, il quitte la Russie et finit par s’installer en France où il retrouve une grande partie de sa collection de négatifs sur verre, ainsi que 13 albums de tirages contact. Après sa mort à Paris en 1944, ses héritiers vendent la collection à la Bibliothèque du Congrès (Washington D.C.). Au début du XXIe siècle, la Bibliothèque a numérisé la collection Prokoudine-Gorski et l'a mise gratuitement à la disposition du public mondial. Quelques sites Web russes ont maintenant des versions de la collection. En 1986, l'historien de l'architecture et photographe William Brumfield a organisé la première exposition de photographies de Prokoudine-Gorski à la Bibliothèque du Congrès. Au cours d'une longue période de travail en Russie qui débute en 1970, Brumfield a photographié la plupart des sites visités par Prokoudine-Gorski. Cette série d'articles juxtapose les vues de Prokoudine-Gorski sur les monuments architecturaux avec des photographies prises par Brumfield des décennies plus tard.

Dans cette publication découvrez quatre charmantes villes historiques dans la région de Moscou.

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