Trésors d’un des monastères les plus pittoresques de Russie

L'historien et expert en architecture William Brumfield vous emmène à la découverte du monastère Saint-Nil Stolobenski sur le lac Seliger.

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Nilova Poustyn (« ermitage » de Saint Nil), monastère Saint-Nil Stolobenski. Vue vers le sud-est depuis le lac Seliger. Centre : clocher et cathédrale de l'Épiphanie ; église Saint-Nil, débarcadère de l’archevêque

Le monastère Saint-Nil Stolobenski se trouve sur la petite île de Stolobny sur le lac Seliger, près de la ville d'Ostachkov (région de Tver). Le monastère possède un attrait lyrique particulier au milieu de l'été, lorsque les rives sont bordées de roseaux et de nénuphars. Le photographe et chimiste russe Sergueï Prokoudine-Gorski (voir encadré ci-dessous) a pris certaines de ses photographies les plus époustouflantes ici durant l’été 1910. Mon propre travail photographique remonte à août 2016.

Monastère Saint-Nil Stolobenski. Vue sud-est depuis le cap est de l'île Stolobny

Le dernier vœu d'un saint

L’homme qui a présidé à la naissance du monastère, le moine Nil, est né dans la région de Novgorod à la fin du XVe siècle. Devenu orphelin très jeune, il est entré au monastère de Kripetski près de Pskov et a pris le nom de Saint Nil du Sinaï, un monastique et théologien byzantin du Ve siècle. En 1515, avec la bénédiction de son abbé, il s’est rendu dans la forêt profonde pour une forme rigoureuse de retraite monastique.

Vue sud-est depuis le clocher de la cathédrale de l'Épiphanie. Au centre : église Saint-Nil au-dessus de la porte est et débarcadère de l’archevêque. Arrière-plan : lac Seliger, village de Liapino (ancien Peski)

La nouvelle de l’aura de sainteté de Nil s’est répandu, et a attiré vers lui ceux qui cherchaient sa bénédiction et ses prières. Après 13 ans dans la forêt, Nil a suivi la voix de Dieu (selon l’histoire de la vie du saint) et, en 1528, s’est dirigé vers une île inhabitée nichée dans l’une des nombreuses criques du lac Seliger.

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Nil était connu pour ses formes extrêmes d'abnégation. Sentant sa fin approcher, il a creusé sa propre tombe et exprimé le désir qu'une communauté monastique voie le jour sur l'île. Après avoir pris les derniers sacrements, il est décédé en décembre 1555. En 1560, une chapelle en rondins a été érigée sur le site de sa cellule forestière.

Église Saint-Nil au-dessus de la porte est. Vue vers l’ouest. À gauche : portique sud de la cathédrale de l'Épiphanie

En 1594, le patriarche Job, chef de l'Église orthodoxe russe, a approuvé l'existence du monastère et l'année suivante, la première icône du Vénérable Nil fut peinte. Vénéré localement après sa mort, il a été reconnu comme un saint par l’ensemble de l'Église orthodoxe russe en 1756.

Né dans le chaos

Église Saint-Nil au-dessus de la porte est. Vue vers l’ouest. À gauche : portique sud de la cathédrale de l'Épiphanie

Le véritable fondateur du monastère Nil Stolobenski était le moine Guerman du monastère Saint-Nicolas-Rojkovski, situé à proximité. Inspiré par l'exemple de Nil et s'efforçant de restaurer la chapelle située sur sa tombe, Guerman et d'autres ont érigé sur l'île une église en rondins dédiée à l'Épiphanie en 1591-94. Peu de temps après, une communauté monastique s’enracine avec la bénédiction du patriarche.

Les efforts de Guerman et de ses proches ont bientôt été menacés par le temps des troubles, une crise dynastique qui conduisit à une décennie de chaos social et politique généralisé après la mort du tsar Boris Godounov en 1605. En 1610, le petit monastère a été dévasté par la maraude et bien que Guerman ait lutté pour maintenir sa communauté, il en restait peu de choses après sa mort en 1614.

Cathédrale de l'Épiphanie et église Saint-Nil. Vue sud-ouest

Heureusement, un disciple de Guerman, Nectaire (1586-1667), qui possédait de nombreux talents pratiques, fut en mesure en 1622 d’ériger la deuxième église du monastère, dédiée à l’intercession de la Vierge. Ses capacités ont finalement été remarquées par la cour de Moscou, et en 1636 le tsar Michel Romanov a supervisé son élévation au rang d'évêque de Sibérie et de Tobolsk.

Construire pour l'avenir

En 1640, épuisé par les dures conditions de la Sibérie, Nectaire a été autorisé à retourner dans son monastère bien-aimé. En 1647, il a repris le contrôle de la communauté, qui a commencé à recevoir d'importants cadeaux du tsar Alexis Mikhaïlovitch.

Église de Saint-Nil. Peinture du dôme représentant le Seigneur Sabaoth (XIXe siècle). Premier plan : tirants en fer renforçant la structure supérieure

Après qu'un incendie eut dévasté le monastère en 1665, Nectaire a lancé une reconstruction qui s'est poursuivie avec le soutien de la cour après sa mort. Bien que des fragments de murs du XVIIe siècle subsistent dans certaines des structures monastiques, la plupart des églises du monastère ont été reconstruites à partir du milieu du XVIIIe siècle.

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Parmi les plus anciennes figure l'église Saint-Nil Stolobenski, une structure baroque construite en 1751-55 au-dessus de la porte Est, entrée officielle du monastère depuis le lac. Prokoudine-Gorski a pris une photographie de l'église depuis la cour principale à l'ouest. J'ai pu reproduire ce point de vue en 2016. Apparemment, tout est resté tel qu’on le voyait au début du XXe siècle.

L'intérieur de l'église, cependant, a été durement vandalisé pendant la période soviétique, lorsque le monastère a été utilisé comme prison. L'intérieur est maintenant progressivement restauré. Des fragments de peintures murales du XIXe siècle ont survécu dans le dôme, comme le montrent mes photographies.

Nilova Poustyn, vue nord-est du village de Svetlitsa. De gauche à droite : église Saint-Nil au-dessus de la porte est, cathédrale de l'Épiphanie et son  clocher, tour Svetlitsa

La place principale du monastère est dominée par la grande cathédrale de l'Épiphanie et son clocher. Depuis la fin du XVIe siècle, il y a toujours eu une église de l'Épiphanie sur l'île, mais au fil des siècles, elle a été reconstruite à mesure que le monastère s'agrandissait.

Favorisé par les tsars

Tout au long de son histoire, le monastère a bénéficié des faveurs des tsars et, en 1820, il a reçu la visite de l’empereur Alexandre Ier. Avec sa bénédiction, la construction de la cathédrale actuelle, couronnée de cinq dômes, a commencé l'année suivante. Sa vaste conception néoclassique est attribuée à Joseph-Jean Charlemagne (1782-1861), un architecte majeur de Saint-Pétersbourg dont le travail est comparé  avec celui de Carlo Rossi, figure de proue du néoclassicisme russe tardif.

Cathédrale de l'Épiphanie, vue nord-est. À gauche : l'église Saint-Nil au-dessus de la porte Est

Consacrée en 1833, la nouvelle cathédrale nécessitait des travaux intérieurs supplémentaires supervisés par Ivan Lvov, architecte en chef de la province de Tver. Les détails architecturaux ont été réalisés en marbre artificiel et des peintures murales ont recouvert l'intérieur. La plupart des œuvres d'art ont été détruites à l’époque soviétique, mais des peintures d'archanges ont miraculeusement survécu dans le dôme. Mon téléobjectif a capturé les détails de cette impressionnante fresque de style académique.

La partie est de la cathédrale possède maintenant une nouvelle iconostase, devant l'autel principal. Le sanctuaire contient également des autels dédiés à l'Annonciation et à Saint-Nicolas (les autels multiples sont caractéristiques des églises orthodoxes russes.) La cathédrale possède également un sarcophage contenant les reliques de saint Nil.

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Au cours de la première moitié du XIXe siècle, des éléments supplémentaires de l'ensemble monastique central se sont étendus à partir de ces deux sanctuaires. Ils comprennent l'exquis débarcadère de l’archevêque de style dorique - construit en 1814 à l'est de l'église Saint-Nil - ainsi que les imposants cloîtres sud et les chambres épiscopales, conçus dans un mélange de styles néoclassique et néo-gothique. Le sentiment impérial de Saint-Pétersbourg a été amplifié par les fondations et les quais en granit massifs des côtés sud et est.

Cathédrale de l'Épiphanie et clocher, vue sud-ouest

Toutes ces structures monumentales du monastère sont visibles dans les vues générales de Prokoudine-Gorski. En août 2016, j'ai réalisé des vues similaires depuis l'eau dans un petit bateau fourni par le monastère. Les longues expositions requises par le procédé couleur de Prokoudine-Gorski ne pouvaient être réalisées que sur une base terrestre stable. Heureusement, il a pu trouver des points de vue appropriés sur les rives voisines.

Prokoudine-Gorski et moi avons profité des nuages ​​d'été qui planaient sur le lac Seliger. Ils sont presque immobiles dans l'air calme. Cette immobilité a été particulièrement bénéfique pour Prokoudine-Gorski, car elle éliminait l'aspect marbré et flou des nuages​​soufflés par le vent dans certaines de ses longues expositions.

Profanation et renaissance

Cathédrale de l'Épiphanie. Intérieur, vue vers l'est en direction du dôme principal et de l’iconostase

Pendant la période soviétique, le monastère a subi de nombreuses épreuves. Après sa fermeture définitive en 1928, les bâtiments ont été saccagés et convertis pour être utilisés comme lieu d'incarcération, principalement pour les jeunes délinquants. Sa page la plus sombre s'est produite à la fin 1939, quand il a accueilli 4 700 prisonniers de guerre polonais (principalement des officiers) et est devenu connu sous le nom de « camp d'Ostachkov ». Au printemps 1940, ces prisonniers ont été transférés à Tver (alors appelé Kalinine) et fusillés en avril et mai dans le cadre d'une exécution massive de prisonniers polonais par le NKVD (police politique). Leur fosse commune située dans le village de Mednoïe est maintenant un site commémoratif.

Cathédrale de l'Épiphanie. Peinture du dôme principal : rassemblement des Archanges. En haut à gauche : les archanges Uriel, Jéhudiel et Michael

À la suite de l'attaque allemande contre l'Union soviétique, qui a commencé le 22 juin 1941, le monastère et la ville d'Ostachkov se sont trouvés proches de la ligne de front de la fin de 1941 à janvier 1943. Tver (Kalinine) a été elle-même occupée et partiellement détruite par les forces allemandes pendant deux mois, à l'automne 1941, avant sa libération à l’issue d’une contre-offensive de l'Armée rouge à la mi-décembre.

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Cathédrale de l'Épiphanie. Peinture du dôme principal : archanges Gabriel (à gauche) et Raphael

De 1945 à 1960, le monastère a abrité à nouveau des jeunes délinquants, puis a été utilisé pendant une décennie comme foyer pour personnes âgées. Malgré la beauté naturelle du site, les tentatives entreprises entre 1971 et 1990 afin de créer une base touristique dans l'ancien monastère ont échoué faute de ressources.

Heureusement, le territoire du monastère a été rendu à l'Église orthodoxe en 1990. L'année suivante, la première liturgie a été célébrée dans une section de la cathédrale de l'Épiphanie. En 1995, les reliques de saint Nil ont été rendues du musée d'Ostachkov à la cathédrale de l'Épiphanie, et en 2003 les reliques de saint Nectaire y ont pris place.

Cathédrale de l'Épiphanie. Auvent avec sarcophage contenant les reliques de Saint Nil

La restauration de cet ensemble architectural a nécessité d'énormes efforts, et affiche chaque année des progrès notables. Tout au long de ce processus, les photographies de Prokoudine-Gorski ont été considérées comme le reflet du monastère à son apogée, avant le chaos de la révolution et de la guerre.

Au début du XXe siècle, le photographe Russe Sergueï Prokoudine-Gorski a mis au point un processus complexe pour la photographie couleur. Entre 1903 et 1916, il a voyagé au travers de l'Empire russe, et a pris plus de 2 000 photographies en utilisant ce processus, qui impliquait trois expositions sur une plaque de verre. Il a quitté la Russie en août 1918, et s'est finalement installé en France avec une grande partie de sa collection de négatifs sur plaque de verre. Après sa mort à Paris en septembre 1944, ses héritiers ont vendu la collection à la bibliothèque du Congrès américaine. Cette dernière a digitalisé la collection de Prokoudine-Gorski et l'a mise en libre-accès pour le public au début du XXIe siècle. Un grand nombre de sites internet russes en proposent désormais des versions. En 1986, l'historien de l'architecture russe et photographe William Brumfield a organisé la première exposition des photographies de Prokoudine-Gorski à la bibliothèque du Congrès américaine. À partir de 1970, Brumfield, travaillant alors en Russie, a photographié la majorité des sites visités par Prokoudine-Gorski. Cette série d'articles juxtaposera les vues de Prokoudine-Gorski sur les monuments architecturaux avec les photographies prises par Brumfield plusieurs décennies plus tard.

Dans cet autre article, William Brumfield vous propose l’incroyable récit de l’icône disparue de Smolensk.

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