Le monastère Novospasski, bastion de la dynastie des Romanov

William Brumfield
L'historien et expert en architecture William Brumfield nous emmène à la découverte de l'histoire de l'un des sites religieux les plus fascinants de Moscou.

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Moscou. Monastère Novospasski (Nouveau Sauveur), vue du pont Novospasski sur la rivière Moskova. De gauche à droite : cathédrale de la Transfiguration, tour sud-est, clocher. 25 mai 2014

Au début du XXe siècle, le chimiste et photographe russe Sergueï Prokoudine-Gorski a inventé un procédé complexe permettant d’obtenir une photographie en couleur vive et détaillée. Sa vision de la photographie, qu’il considérait comme une forme d'éducation et d'illumination, s’est illustrée avec une clarté particulière à travers ses photographies de monuments architecturaux des sites historiques du cœur de la Russie.

Monastère Novospasski. De gauche à droite : tour sud-est, clocher, tour nord-est, église Saint-Nicolas et cloître est, cathédrale de la Transfiguration, église Znamenié, 1912. Impression couleur publiée dans le livre de P. Vassenko, Les Boyards Romanov et le couronnement of Mikhaïl Fiodorovitch

En plus de son travail photographique, Prokoudine-Gorski a également créé une entreprise qui produisait des cartes postales en couleur et des illustrations de livres. En 1914, son entreprise est établie sous le nom de Biochrome. Parmi les publications présentant ses photographies en couleur se trouvait un grand volume publié en 1913 pour commémorer le tricentenaire de la dynastie des Romanov. Les illustrations comprenaient sa vue panoramique depuis un toit voisin de l'une des institutions monastiques les plus illustres de Russie, le monastère Novospasski (« Nouveau Sauveur »).

Une institution moscovite

Monastère Novospasski. Réfectoire de l'église de l'Intercession. 18 août 2013

Niché sur une petite colline en bordure de la Moskova en aval du Kremlin, le monastère Novospasski est l'une des plus anciennes institutions religieuses de Moscou. Comme beaucoup d'autres monastères de la ville, son histoire s’entrelace à celle, spirituelle et politique, de la Russie. Selon certains témoignages, le monastère a été créé dans les années 1150 par nul autre que le fondateur de Moscou, le prince Iouri Dolgorouki. À cette époque, il était situé au sud de la rivière Moskova sur le site de l'actuel monastère Danilov.

Monastère Novospasski. Cathédrale de la Transfiguration. 18 août 2013

Au début du XIVe siècle, le monastère Novospasski a été réétabli à l'intérieur du Kremlin par le Grand Prince Ivan Ier Kalita. Son église principale, le Sauveur dans la forêt, était la plus ancienne structure de Moscou jusqu'à sa destruction, dans le cadre d’un plan soviétique d’aménagement du Kremlin, dans les années 1930.

Monastère Novospasski, cathédrale de la Transfiguration. Vue avec piliers ouest et iconostase. 18 août 2013

En 1490, le grand prince Ivan III (le Grand) a déplacé le monastère à son emplacement actuel, sur la colline Kroutitski surplombant la rivière Moskova, et l'a reconsacré en tant que monastère Novospasski. Situé sur un emplacement stratégique, le monastère avait des murs épais et des tours robustes avec un plan pentagonal qui lui a permis de servir de forteresse. Comme d'autres grands monastères de la partie sud de Moscou, le monastère Novospasski a joué un rôle dans l’opération visant à repousser un raid majeur des Tatars de Crimée en 1591.

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Comme une grande partie de Moscou, le monastère a été saccagé pendant la crise dynastique du début du XVIIe siècle connue sous le nom de Temps des troubles. Avec la fondation de la dynastie des Romanov en 1613, le monastère Novospasski a acquis un lustre sans précédent en tant qu'institution privilégiée de la nouvelle famille régnante.

Dernier repos de la royauté

Monastère Novospasski, cathédrale de la Transfiguration. Vue en direction de l'iconostase. 18 août 2013

Les liens du monastère avec les Romanov remontent à la fin du XVe siècle avec l'enterrement en ces lieux d'un membre de la famille Zakharine, ancêtres des Romanov. Au XVIe siècle, d'autres membres de la famille Zakharine ont été inhumés au cimetière du monastère, dont Roman Iourevitch Zakharine (mort en 1543), père de la première épouse d'Ivan le Terrible, Anastassia.

En tant que source du nom Romanov, Roman Zakharine est considéré comme l'ancêtre de l’illustre dynastie. Son fils Nikita fonda la dynastie et son petit-fils Fiodor Nikititch (qui deviendrait le patriarche Filaret, chef de l'Église orthodoxe russe) était le père du premier tsar Romanov, Michel Ier (1596-1645). Vers la fin du règne de Michel, une expansion majeure du monastère a commencé, avec la reconstruction de ses murs de briques massifs et de ses tours en 1640-42.

Monastère Novospasski, cathédrale de la Transfiguration. Vue avec piliers ouest. 18 août 2013

Le successeur de Michel, le tsar Alexis Ier (1629-1676), a présidé à une nouvelle expansion avec la reconstruction de la cathédrale de la Transfiguration-du-Sauveur en 1645-49. Cette structure monumentale a remplacé l'église du monastère d'origine, construite à la fin du XVe siècle sur les tombes des ancêtres des Romanov.

Monastère Novospasski, cathédrale de la Transfiguration. Façade orientale avec entrée originale de la crypte funéraire des Romanov. 18 août 2013

En 1650, la cathédrale de la Transfiguration a obtenu son iconostase monumentale à cinq niveaux, avec des icônes peintes par des maîtres-artistes du Kremlin. Les fresques qui recouvrent l'intérieur de la cathédrale ont été réalisées en 1689 sur ordre du tsar Pierre Ier (Pierre le Grand). L'iconostase et les fresques ont été récemment restaurées.

La cathédrale de la Transfiguration a continué à servir de crypte funéraire pour les membres de la famille Romanov (les membres de la dynastie ayant été au pouvoir sont enterrés dans le Kremlin ou dans la cathédrale des Saints-Pierre-et-Paul à Saint-Pétersbourg). En 1902, la crypte funéraire des Romanov a été reconstruite avec une nouvelle entrée et une chapelle dédiée à Saint Romain le Mélode.

Monastère Novospasski, cathédrale de la Transfiguration. Crypte avec chapelle funéraire des Romanov (église Romain le Mélodiste). 18 août 2013

À côté de la cathédrale du Sauveur se trouve l'église de l'Intercession, construite en 1673-75 et reliée à la cathédrale à son angle sud-ouest. Les peintures murales actuelles du grand réfectoire de l'église de l'Intercession datent de 1877.

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Ascension et chute

Monastère Novospasski. Arrière-cuisine (attachée à l'église de l'Intercession tout à droite). 25 mai 2014

Au tournant du XVIIIe siècle, les faveurs royales avaient permis au monastère Novospasski de devenir l'un des plus riches de Moscou, avec quelque 14 000 paysans à son actif. Mais en 1764, Catherine II (Catherine la Grande) dépouille les monastères de leurs terres.

Monastère Novospasski. Hall du réfectoire de l'église de l'Intercession. 18 août 2013

L'ajout le plus notable au monastère au XVIIIe siècle était son clocher, l'un des plus hauts de Moscou (plus de 80 m de sa base à la coupole). Conçu par Ivan Jerebtsov, la construction de la tour a commencé en 1759 mais n'a été achevée qu'en 1785. Son deuxième niveau contient une petite église dédiée à Saint Serge de Radonège, l’une des grandes figures du monachisme moscovite.

En 1791-95, l'église Notre-Dame-du-Signe (Znamenié) a été reconstruite dans un style néoclassique à l'angle nord-est de la cathédrale de la Transfiguration. Bâtie à l'origine par le tsar Mikhaïl Romanov sur les tombes de ses ancêtres, la nouvelle structure était financée par la famille Cheremetiev, dont les membres ont été inhumés au niveau inférieur.

Monastère Novospasski. Église de l'Intercession, vue vers l'iconostase. 18 août 2013

Pendant l'occupation française de Moscou à l'automne 1812, l'église Notre-Dame-du-Signe a été utilisée comme écuries et le monastère a dans l’ensemble subi d'importants dommages. Ses églises sont reconsacrées en 1813 et le monastère a conservé son statut privilégié. En 1913, une chapelle aux couleurs vives est érigée après une visite de Nicolas II lors de la commémoration du tricentenaire de la dynastie.

En 1918, après la Révolution bolchevique, le monastère est fermé et la crypte des Romanov vandalisée. À la fin des années 1930, le territoire a servi de lieu d'exécution pour le NKVD (police politique), les victimes ayant été enterrées dans des fosses communes à côté des murs.

Une tombe survivante

Monastère Novospasski. Église Notre-Dame-du-Signe. Arrière-plan : cathédrale de la Transfiguration. 25 mai 2014

Pendant la période soviétique, le célèbre cimetière situé sur le terrain du monastère a été détruit par étapes jusqu'au début des années 1970. Cependant, une petite chapelle se dresse sur une tombe qui a survécu - celle de la nonne Dossifeïa, mieux connue sous le nom de princesse Tarakanova.

Bien que ses origines restent obscures, la « princesse Volodimirskaïa » (comme elle s'appelait elle-même) prétendait être la fille de l'impératrice Elisabeth Ire et de son favori Alexeï Razoumovski. Les intrigues entourant cette revendication étaient perçues comme une menace pour la légitimité de Catherine la Grande, dont l’accession au pouvoir ne s’était pas faite sans heurts. Catherine ordonna au comte Alexeï Orlov d'enlever la princesse d'Italie et, au début de 1775, elle fut transférée à la forteresse de Saint-Pétersbourg.

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Monastère Novospasski. Chapelle sur la tombe de la religieuse Dossifeïa. 25 mai 2014

Il y a des histoires et des peintures effrayantes liées à sa mort plus tard cette année-là. La version officielle est qu'elle est morte de la tuberculose et a été enterrée dans la forteresse Pierre-Paul. Mais un autre récit dit qu’elle a pris le voile sous le nom de Dossifeïa (après sa mort présumée) et a fini sa vie au couvent Saint-Jean-le-précurseur-de-Moscou de 1785 à 1810. Les restes de Dossifeïa ont été enterrés au monastère Novospasski, près des Romanov, et en 1907 une petite chapelle a été érigée sur sa tombe à gauche du grand clocher.

Réhabilitation et restauration

Monastère Novospasski. Croix commémorative du Grand-Duc Sergueï Aleksandrovitch Romanov (reproduction de 1998 de l'original détruit de Viktor Vasnetsov datant de 1908). 25 mai 2014

Le monastère Novospasski a été officiellement déclaré monument historique et culturel en 1965, marquant le début d'un processus de restauration qui a duré plus de deux décennies. En mars 1991, le monastère a été restitué à l'Église orthodoxe et a repris peu après sa fonction de sanctuaire des Romanov.

En 1998, une croix commémorative a été érigée en l'honneur du grand-duc Sergueï Alexandrovitch, gouverneur général de Moscou, dont la politique extrêmement conservatrice lui a aliéné de nombreuses personnes et fait de lui la cible des radicaux russes. En février 1905, il est assassiné par l’explosion d’une bombe en entrant au Kremlin. Son sarcophage a été découvert lors de fouilles au Kremlin en 1990, et en 1995 ses restes ont été réinhumés au monastère Novospasski. La croix est une copie de celle conçue par l'artiste Viktor Vasnetsov et placée au Kremlin en 1908.

En septembre 2013, la maquette d'un monument représentant Michel Ier et Nicolas II - les premier et dernier tsars Romanov - avec l'icône de Kazan entre eux, a été dévoilée près de l'abside de la cathédrale. Témoin d’une histoire mouvementée et sombre, le monastère Novospasski est désormais un havre de paix soigneusement entretenu au milieu de l'agitation moscovite.

Au début du XXe siècle, le photographe russe Sergueï Prokoudine-Gorski a mis au point un processus complexe pour la photographie couleur. Entre 1903 et 1916, il a voyagé au travers de l'Empire russe, et a pris plus de 2 000 photographies en utilisant ce processus, qui impliquait trois expositions sur une plaque de verre. Il a quitté la Russie en août 1918, et s'est finalement installé en France avec une grande partie de sa collection de négatifs sur plaque de verre. Après sa mort à Paris en septembre 1944, ses héritiers ont vendu la collection à la bibliothèque du Congrès américaine. Cette dernière a digitalisé la collection de Prokoudine-Gorski et l'a mise en libre-accès pour le public au début du XXIesiècle. Un grand nombre de sites internet russes en proposent désormais des versions. En 1986, l'historien de l'architecture russe et photographe William Brumfield a organisé la première exposition des photographies de Prokoudine-Gorski à la bibliothèque du Congrès américaine. À partir de 1970, Brumfield, travaillant alors en Russie, a photographié la majorité des sites visités par Prokoudine-Gorski. Cette série d'articles juxtaposera les vues de Prokoudine-Gorski sur les monuments architecturaux avec les photographies prises par Brumfield plusieurs décennies plus tard.

Dans cet autre article, William Brumfield s’intéressait aux couvents d’Ekaterinbourg, centres de foi dans une ville industrielle. 

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