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La traversée d’Olivier Weber, réalisateur, écrivain, grand reporter, diplomate, maître de conférences et voyageur passionné, est un récit sur l’extraordinaire expédition et aventure humaine d’un groupe de personnes malvoyantes et malentendantes qui ont traversé le mythique lac Baïkal et accompli une ascension du mont Tcherski (environ 2.600 mètres) en plein cœur de l’hiver glacial de Sibérie, en février et mars 2017. La projection de ce film documentaire dans le cadre du Salon de la littérature russe a été l’occasion pour le réalisateur de partager les souvenirs et les moments forts du tournage avec le public.
« Ils en ont rêvé, ils l’ont fait »
Ainsi commence un documentaire bouleversant sur une randonnée en Sibérie en plein hiver sur le lac Baïkal et dans les montagnes alentour. Venus de France, les membres de l’expédition, malvoyants ou déficients auditifs, se déplacent en binôme aux côtés d’une personne valide. Durant dix jours, ils partagent cette aventure en autonomie complète par -20°, -30°C, accompagnés de guides locaux. L’objectif – montrer que même étant porteur d’handicap, il est possible de se lancer dans les projets les plus audacieux et de voir le monde autrement.
Lancé par les associations Vue d’ensemble, Yvoir et le Somewhere Club, ce projet visait à changer le regard sur le handicap et militer contre la sédentarisation des déficients visuels : seulement 5% des aveugles s’aventurent hors de chez eux.
Huit heures de vol de Paris à Irkoutsk et les voilà devant l’énorme étendue du lac plongé dans le brouillard. La traversée commence le lendemain. La sensation de liberté extraordinaire de pouvoir avancer sans obstacles est une des premières impressions des participants.
Evgueni, le guide russe qui accompagne le groupe, témoigne : « Au début, quand ils m’ont dit : on est aveugles et on veut faire une trotte sur le lac en ski, je me suis dit – c’est difficile, probablement même impossible. Maintenant, je pense que ce sont des personnes comme les autres, ils ont une grande force intérieure. Je pense même que c’est une meilleure équipe ».
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Sur le trajet, les membres de l’expédition sont accueillis par un groupe de travailleurs arméniens, l’occasion de fêter chaleureusement leur baptême sibérien. Yves (président de l’association strasbourgeoise Vue d’ensemble) avoue : « Le Baïkal c’est comme une consécration de tous les projets de marche et de montagne menés par l’association ». « Dans cet espace sauvage on fait très peu de rencontres, mais dès qu’on rencontre quelqu’un, on est immédiatement dans la chaleur humaine : on parle, on boit un petit peu de vodka. J’aime beaucoup cette solidarité un peu rugueuse, très forte, ça m’a beaucoup marqué », commente de son côté Olivier Weber.
Il précise que, pour cette expédition, d'autres destinations possibles avaient été étudiées, mais que l’équipe a opté pour la Russie, malgré le fait que c’était dur. « La Sibérie hivernale se prête à l’aventure extrême, on est confronté à nous-mêmes, il faut faire preuve de volonté et on va sortir le meilleur de nous-même dans la situation de danger, de souffrance physique, d’endurance ou de froid ». Il évoque un moment mémorable, quand, après avoir passé la nuit dans une cabane de la station météo à 2.400m d’altitude, avec l’équipe de tournage qui tardait, dans des conditions de confort très basique, à préparer tout le matériel et plier bagages pour reprendre la marche, il est sorti dehors et a découvert avec stupéfaction tous les participants-porteurs d’handicaps déjà prêts, équipés, chaussés de ski, à 7h30 du matin.
Un terrain de résilience
Seconde phase de l’expédition – l’ascension du mont Tcherski et la découverte de la forêt sibérienne, l’immensité déserte d’une nature presque vierge. On observe un jeune participant avancer sur la neige d’un pas hésitant, glisser et tomber sur les descentes. C’est Nicolas Linder, déficient visuel et atteint d’une pathologie qu’on appelle spina bifida. Traverser les étendues enneigées était son rêve depuis de longues années. Admiratif, Olivier Weber raconte que, quelques mois avant le début de l’expédition, Nicolas était assis dans un fauteuil roulant et ne pouvait pas faire dix pas sans pleurer de douleur. « Mais le rêve était là, lors de l’expédition il tombait souvent, mais ne s’est jamais plaint, il a une volonté incroyable. Il s’est même mis torse nu pour se rouler dans la neige. Maintenant il fait des raids en marchant 100-120 kilomètres, et c’est une énigme pour les médecins. La Sibérie se prête parfaitement à l’aventure humaine ». Le réalisateur poursuit : « Je suis content d’avoir pu filmer cette expédition et d’avoir compris que pour eux tous, la Sibérie était un terrain de résilience, d’aventure humaine et de partage ».
À l’heure de la pause déjeuner, les équipiers se réchauffent autour d’un feu de bois. Au menu, une soupe de pomme de terre et d’omoul, poisson que l’on ne trouve que dans le lac Baïkal. On est loin de Moscou et des grandes villes, la Sibérie. Chaque rencontre compte, surtout l’hiver. Le réalisateur insiste qu’en Sibérie hivernale, il n’a jamais eu froid, parce que la chaleur humaine, la solidarité et l’entraide étaient la meilleure parade contre les intempéries et les difficultés de ce voyage extrême et de la communication entre les équipiers (petite parenthèse : Nicolas a décidé de sacrifier la barbe qu’il portait depuis des années après avoir compris que Françoise, malentendante, n’arrivait pas à lire correctement sur ses lèvres). Et bien sûr, il est impossible de surestimer l'importance du temps passé avec des Russes. Ce brave Evgueni, qui a raconté qu’un jour, lorsqu’il roulait sur le lac gelé avec deux Françaises à bord, sa Lada s’est retrouvée dans une crevasse. Il a juste eu le temps de pousser les filles hors du véhicule, avant que celui-ci disparaisse sous l’eau glaciale. Ou le pilote de drone Vitali, qui a bricolé une boite transparente avec des bougies à l’intérieur pour pouvoir manipuler la console du drone à main nues par -20°C. Et bien sûr, cet authentique sibérien Nikolaï, un guide de 60 ans, avec des vieux skis en bois des années 1960, qui impressionnait les Français en sortant dehors sans gants.
« Je suis très fier qu’on ait pu monter l’expédition, qu’elle soit réussie et qu’on ait pu faire ce film. Les participants sont très fiers de ce témoignage, de ce moyen de plaider leur cause, pour dire, que même avec un handicap et une dépression nerveuse qui l’accompagne souvent, on peut s’en sortir. Je suis content de pouvoir porter ce message de solidarité et de positivité, et je suis content qu’il ait eu lieu dans votre beau pays, en Russie, et spécialement en Sibérie. J’espère y retourner en été », a résumé Olivier Weber.
À la recherche de la mer oubliée
Plus récemment, un autre écrivain voyageur, Cédric Gras, s’est lancé un défi de découvrir et faire découvrir le berceau polaire de la Russie historique, cette partie de l’Arctique, ou les Slaves se sont installés il y a 10 siècles. Avec le réalisateur Christophe Raylat, il est parti sillonner les rivages du Nord russe pour rapporter un magnifique témoignage, un documentaire, intitulé La mer blanche, aux origines de l’âme slave.
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À travers ce documentaire, l'auteur nous invite à faire le tour de la mer Blanche. Traversée par le cercle polaire, cette mer presque intérieure et oubliée aujourd’hui, a été colonisée dès le XIIe siècle par les sujets de la République de Novgorod, un des États de la Russie médiévale. Audacieux navigateurs arctiques, pêcheurs et chasseurs de phoques, ces pionniers ont permis à la civilisation russe de s’éteindre vers l’Est et vers le Nord, préparant ainsi la conquête de la Sibérie.
« Je voulais faire ce voyage parce que cette mer Blanche est assez absente aujourd’hui des préoccupations [...], tout le monde l’a oubliée. Et pourtant c’était un des berceaux de la Russie. Sur ses îles s’est forgé un peuple, appelé les Pomors. C’est le visage le plus arctique de la civilisation russe à travers les siècles. C’est cette Russie des origines, une Russie boréale que je veux retrouver », explique l’écrivain.
Le voyage commence à l’entrée de cette mer presque fermée sur les rivages sud, appelé Côte d’hiver, se poursuit dans la ville d’Arkhangelsk et son port pris dans les glaces, et amène le spectateur sur le mythique archipel des îles Solovki. Ensuite, le long du Belomorkanal (le canal de la Mer Blanche), vers l’arrière-pays, la Carélie, pour, enfin, remonter vers la côte nord.
Différentes rencontres rythment ce voyage dans le pays du blanc infini. Au petit village de Lampojnia, le plus ancien établissement sur le fleuve Mezen, il reste encore quelques habitants, certains mêmes sont de nouveaux arrivants. Cédric Gras interroge un jeune couple (lui de Saint-Pétersbourg, elle – d'Arkhangelsk, ils se sont rencontrés sur Internet), qui s’est installé dans une izba avec étable. Ils espèrent faire revivre les traditions séculaires et attirer le tourisme national, fier de son épopée arctique et demandeur de ce décor féerique, sillonné de traîneaux comme sur les cartes postales de la Russie d’antan.
Sur l'île principale de l’archipel des Solovki, la vie monastique semble très paisible. Il n’y a presque plus de traces de l’enfer qui a régné ici de 1920 à 1939, lorsque ce monastère le plus septentrional du monde, fondé au XV siècle par des ermites orthodoxes, est devenu le laboratoire du Goulag, le prétendu camp de réhabilitation par le travail, ou moines et prêtres étaient mêlés aux « contre-révolutionnaires » et autres détenus politiques et de droit commun.
Accompagné par la religieuse Olga, Cédric nous promène dans tous les recoins de l'île, jusqu’à l’église-phare de la colline Sekirka, transformée au temps du goulag en cellule de punition, dont les murs se souviennent encore des abus inhumains, des tortures et humiliation des prisonniers. Elle lui présente les habitants, les personnages touchants, comme Lioubov, ancienne enseignante de mathématiques à l’unique école de l’île, de 75 ans, née aux Solovki, qui surveille ses vaches à l’aide d’un GPS, grâce à une tablette, offerte par ses enfants pour son anniversaire.
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Le Belomorkanal (creusé à la force des bras par les prisonniers du goulag, premier grand chantier stalinien) entraîne l’auteur jusqu’au gigantesque lac Onega, au beau milieu de la Carélie, immense région boisée de l’ancienne République de Novgorod. C’est le point de départ de la colonisation des rives de la mer Blanche. « Dans ces forêts, j’entends encore battre le cœur de la vieille civilisation sylvestre, une Russie ancestrale, qui bâtissait à la hache ses navires, comme ses églises », commente le narrateur. Il nous fait visiter la légendaire église de Transfiguration de Kiji, vestige flamboyant de la civilisation du bois.
Les derniers Pomors
Par le train Moscou-Mourmansk, sur la voie de chemin de fer la plus septentrionale du monde, nous partons avec l’auteur explorer les rives occidentales de la mer Blanche. La descente est à Kandalakcha, port autrefois consacré au commerce du bois. La pêche est encore une activité vitale des habitants des villages alentour.
C’est là que nous rencontrons enfin un véritable Pomor, Sergueï, un descendant d’une lignée de pêcheurs pomors de la neuvième génération, authentique héritier de ces pionniers du Grand Nord, dont on ne parle aujourd’hui qu’au passé. En 1673, ses ancêtres sont arrivés d’Arkhangelsk sur ces côtes. Il accueille l’équipe de tournage dans sa cabane de pêcheur, où il vient en hiver avec son fils pour préparer les outils de pêche, dont la saison va commencer au printemps. À côté de sa cabane, il a érigé une croix en pierre à la mémoire des Pomors, « pour laisser la trace de l’existence de ce peuple, quand la dernière demeure disparaîtra », selon ses propos.
Dès que les eaux seront libres, il sortira chaque jour à bord d’un petit voilier traditionnel pomor. Il ramènera essentiellement des morues pour les proposer à l’usine de conserves, et non pas au monastère des Solovki, contrairement à ses ancêtres.
« J’avais souvent regardé sur les cartes cette petite mer au bord de l’Arctique et du monde polaire absolument gigantesque et je me demandais toujours comment on vivait sur ces rivages salés et en même temps gelés. Et ces dernières semaines, j’ai pu enfin accomplir ce rêve et mettre des images et des visages sur ce nom extrêmement onirique de la mer Blanche… Son histoire et celle des Pomors demeurent le fondement de la Russie polaire. À l’heure ou l’Arctique devient un espace hautement géopolitique, la mémoire de ces courageux précurseurs souligne à quel point le peuple russe a toujours été tourné vers le septentrion », c’est sur cette note que les auteurs du film terminent ce magnifique voyage.
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