Franchir le rideau de fer à cheval: l’aventure équestre d’un Français de Paris à Moscou

Jean-Louis Gouraud

Jean-Louis Gouraud

Getty Images
Paris-Moscou à cheval en 75 jours – il y a 30 ans, Jean-Louis Gouraud, écrivain et éditeur français, a tenté cette aventure longue de 3.333 km qu’il décrira ensuite dans son livre Le Pérégrin émerveillé. La Dictée Géographique qu’a récemment accueillie la Maison Russe à Paris a été l’occasion pour Russia Beyond d’aller à sa rencontre pour évoquer cette expérience hors du commun.

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Qui pourrait mieux raconter au public parisien la géographie de Russie et les vastes étendues de ce grand pays que Jean-Louis Gouraud ? Il y a quelques décennies, ce Français a en effet sillonné une grande partie de la Russie – la Carélie, le Caucase, le Tatarstan, la Bouriatie et le Baïkal –, et ce, d’une manière peu commune : à cheval. De nos jours, choisir ce mode de transport pour faire du tourisme dans un pays bien lointain est inhabituel et le fait que Jean-Louis ait osé se lancer dans une telle aventure n’a fait que contribuer à sa renommée. Ce n’est donc pas par hasard qu’il s’est retrouvé parmi les invités d'honneur de la Dictée géographique, manifestation mondiale organisée annuellement par la Société russe de géographie et dont le volet parisien se tient déjà traditionnellement dans les locaux de la Maison russe des sciences et de la culture à Paris.

Inspirée par la Révolution française, une aventure en entraine une autre

C’est à travers le prisme des livres sur les cavaliers russes et leurs nombreux exploits que Jean-Louis Gouraud a d’abord fait la connaissance de la Russie. Reconnu comme encyclopédiste et historien du monde de l’équitation, il connaît sans aucun doute cette partie de l’histoire russe mieux que beaucoup de Russes eux-mêmes. Cependant, en décidant de réaliser un exploit hors du commun qui peut être comparé à ceux de ces cavaliers, il n’a jamais songé à faire inscrire son nom dans ses annales. « Voyager à cheval à Moscou n’a jamais été mon rêve. En fait, c'était un pari un peu idiot que j'ai conclu avec mon bon ami David Gourevitch, alors directeur du Musée équestre de Moscou », révèle Jean-Louis le début cette belle aventure.

Le voyageur français raconte ses aventures au public à la Maison russe à Paris.

Ainsi, tout a commencé en 1988, lorsque, lors d’une rencontre habituelle entre les deux amis, Gourevitch a mentionné la passionnante histoire de l’officier Mikhaïl Asseïev. Désireux de voir la fameuse Tour Eiffel, construite pour l’Exposition universelle de Paris et dont tout le monde parlait en Europe, il est venu en 1889 à deux chevaux de la ville Loubny (Ukraine, alors partie de l’Empire russe) à Paris pour commémorer le 100e anniversaire de la Révolution française. « Il a parcouru 2 633 km en 33 jours ! Cela m'a beaucoup impressionné. J’ai donc tout simplement parié [avec Gourevitch] qu’en 1989, pile pour le bicentenaire de Révolution, je ferais pareil dans le sens inverse et jusqu’à Moscou », se souvent des détails Jean-Louis. 

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Réception de laissez-passer de la part de Gorbatchev

Outre l’hommage à la Révolution française, cette aventure contient aussi un symbolisme lié au phénomène du rideau de fer divisant alors l’Europe. Littéralement, Jean-Louis est devenu la première personne à le franchir de cette façon et à se glisser par la fenêtre vers la « maison européenne », entrouverte par la perestroïka en URSS. Il est difficile aujourd’hui d'imaginer pourquoi se lancer dans un tel voyage, mais il était encore plus compliqué à la fin des années 1980 d’organiser une traversée pareille de l’Europe. « Ce n’était pas une promenade aisée, que ce soit pour l’organiser ou réaliser en pratique, se rappelle Jean-Louis, mais j’étais fier d’être le premier homme occidental autorisé à venir en URSS de cette manière ».

Initialement prévu pour 1989, le départ a été reporté à 1990 en raison d'un retard causé par la bureaucratie. « Il était impensable d’organiser cette aventure un peu absurde par la voie officielle et en si peu de temps. Je n'ai été autorisé [à traverser la frontière soviétique] qu'en 1989 et seulement grâce à l'aide d'Igor Bobilev, un autre de mes amis, alors le vice-président de la Fédération équestre de l'URSS », partage le secret Jean-Louis. Ainsi, le laissez-passer tant convoité a été délivré au cavalier français par les instructions directes de Mikhaïl Gorbatchev lui-même avec un seul ordre strict : «prendre la route "Olympique" à Brest-Litovsk, qui passait par Minsk, et ne pas la quitter jusqu’à mon arrivée à Moscou », se souvient avec un sourire Jean-Louis.

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« Dans ce pays, il faut voyager uniquement en hiver »

Parti de la capitale française le 1er mai 1990 avec ses deux chevaux Prince et Robin, il a parcouru 3 333 km en monte « à la turkmène », c’est-à-dire en les chevauchant alternativement. « C’est une meilleure façon de se déplacer sur de longues distances, car ce sont les kilogrammes qui fatiguent le cheval, pas les kilomètres. Grâce à cette méthode un cheval récupère plus vite et ne se fatigue pas pendant que l’autre est monté », nous explique Jean-Louis les détails techniques. Au total, 75 jours lui ont été nécessaires pour atteindre sa destination finale – la place Rouge, où il est arrivé le 14 juillet, le jour de la prise de la Bastille.

Jean-Louis Gouraud sur la place Rouge

Alors que le chef de l'URSS avait facilité le périple de Jean-Louis du côté bureaucratique, personne ne pouvait toutefois l’aider à faire face à la biodiversité et aux conditions météorologiques de Russie. « Après avoir lu beaucoup de livres sur les voyages à cheval, je n'avais jamais pu comprendre pourquoi en Russie on ne voyageait que pendant les mois hivernaux. J'ai donc cru naïvement bien faire en prenant la route en mai. C’est juste en arrivant en Biélorussie à la fin du mois de juin que j’ai pigé la logique : il n’y a pas d'insectes en hiver. Il n’y a rien de pire que toutes sortes d’insectes, moucherons, moustiques qui vous rendent fous vous et vos chevaux », partage avec nous ses souvenirs le cavalier français déjà expérimenté.

Un accueil chaleureux tout au long du chemin

En deux mois et demi et en évitant les grandes villes, Gouraud a traversé sur ses chevaux l’est de la France, l’Allemagne de l’Ouest et de l’Est, en passant le post-frontalier à Francfort, qui divisait le pays, la Pologne et en arrivant à Brest-Litovsk pour entrer en URSS. « Voyager à cheval nécessite d’être en contact avec la population locale constamment, que ce soit pour demander la direction, je vous rappelle qu’il n’y avait pas de GPS, ou pour trouver un endroit pour te reposer toi-même et les chevaux », nous explique Jean-Louis. Pour lui, c’était une occasion de découvrir le monde russe et slave, qui, d’après ses mots, diffère de l’occidental. La rencontre avec les gens qui représentent ce monde s’avère d’ailleurs être la partie la plus fascinante du périple : « À l'ouest, on me regardait un peu bizarrement, me croyant fou. En Russie, j'ai été accueilli aussi avec surprise, toutefois avec un intérêt sincère, et toujours très chaleureux », explique Jean-Louis. 

Jean-Louis Gouraud sur fond de la carte de la Russie impériale

Cette obstruction des forêts russes et le petit nombre d’agglomérations rencontrées sur son chemin vers Moscou sont les deux faits les plus surprenants qui ont particulièrement impressionné Jean Louis. Son immersion dans le mode de vie soviétique est aussi complètement authentique, car pendant le voyage, il a dû le plus souvent s’arrêter pour dormir dans des kolkhozes et sovkhozes. Comme il nous raconte : « J'étais très pressé, car je voulais venir à Moscou le 14 juillet, mais la célèbre hospitalité russe a failli compromettre mes plans. On m'a toujours demandé de rester un peu plus longtemps pour montrer comment tout est organisé [dans les kolkhozes] ».

Dès son entrée dans la capitale, escorté par la police montée, le « Pérégrin » émerveillé est cependant parvenu sur les pavés de la Place rouge à la date prévue. « C’est le lendemain que j'ai vécu la scène la plus émouvante de ma vie : on a fait défiler mes chevaux sur l'hippodrome de Moscou. Tous les spectateurs se tenaient debout et applaudissaient. Pour moi, le peuple qui applaudit les chevaux est un grand peuple », ainsi se termine cette belle histoire. « L'ouverture » ultérieure de la Russie au monde extérieur a permis à Jean-Louis de revenir plus d'une fois en Russie et de visiter plusieurs régions russes, et ce, toujours à cheval, mais deux endroits restent pour lui les plus spéciaux : le Baïkal et le Kamtchatka.

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