Une Française ayant vécu un an dans la province russe se confie

Tourisme
LÉANA BAG
Pour découvrir le plus immense des pays et apprendre le russe, Léana, une Française de 27 ans, a passé un an dans la province russe. Elle livre son avis à Russia Beyond sur la mentalité des locaux, les particularités du travail dans un bureau de Russie, et sur la facilité de trouver une langue commune avec les esprits du Baïkal.

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Lorsqu'ils viennent en Russie, les étrangers séjournent généralement dans les grandes villes comme Moscou ou Saint-Pétersbourg. J'ai toujours voulu vivre dans la province russe. Pour voir le pays sans aucune fioriture et pour améliorer mon russe, j'ai trouvé un travail en tant qu'ingénieure commerciale dans la petite ville de Zavoljié, non loin de Nijni Novgorod. Je n’en étais pas à ma première expatriation ni à ma première fois en Russie. Alors j’étais plutôt confiante. Mais bien sûr, de nombreuses surprises m'attendaient.

Effectivement, Zavoljié ne vendait pas du rêve. C'était une ville industrielle construite à l'époque soviétique. Il n'y a rien à faire. Par contre, la nature était très belle ! Pour m'occuper après le travail et pendant le week-end, je prenais mon appareil photo et me promenais dans les environs en prenant des photos de la faune et de la flore locales. L'été, j'allais dans la forêt me baigner dans un petit lac et ramasser des baies. L'hiver sied bien mieux à cette petite ville. La Volga était entièrement glacée ! Je l'ai traversée à pied d'une rive à l'autre ! J'ai aussi rencontré des pêcheurs et on a pêché sous la glace. Les routes remplies de nids-de-poule sont recouvertes par un épais manteau de neige. La gadoue qui engloutissait nos bottes en automne fait place à de fines plaques de verglas sur lesquelles je m'amusais à glisser en regardant malicieusement les gens moins agiles s'y vautrer. Les arbres devenaient de vraies œuvres d'art : la glace s'y figeait tout le long, les rendant entièrement blancs. Les jours de beau soleil, lorsque le ciel était d'un bleu cristallin, ces arbres se mettaient à scintiller. Un vrai paysage de contes de fées.

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Que ce soit à Zavoljié ou ailleurs, les habitants ont toujours été très chaleureux avec moi. Ils l'étaient encore plus dès qu'ils voyaient que j'apprenais leur langue et que je leur disais combien j'aimais leur pays et leur culture. La conversation assez drôle qui revenait toujours à Zavoljié était : « D'où viens-tu ? », « De France », alors ils écarquillaient les yeux et disaient : « Quoi ?! Tu viens de France ?? Et tu es venue t'installer ICI ?! À Zavoljié ?! ». Ça les étonnait et les faisait rire.

Je ne sais si c'est mon exotisme français qui attire, mais j'ai de nombreux amis russes avec qui j'entretiens des liens étroits et une correspondance régulière. J'aime leur mentalité directe et franche. Ils ne tournent pas autour du pot et ne font pas semblant de t'aimer. La réponse peut paraître froide et cinglante de premier abord, mais je préfère largement le savoir au plus tôt plutôt qu'essuyer sans cesse de petits sourires gênés et des sous-entendus. 

Vous avez certainement beaucoup entendu parler des grands-mères russes ! Je peux dire avec expérience que ces femmes âgées sont l'un des phénomènes les plus intéressants de la vie en Russie. Vous les trouverez au petit matin dans les transports publics ou sur un banc près d’une entrée d’immeuble, et rien ne vous dissimulera à leur regard inquisiteur. Par exemple, il leur était incroyablement difficile de se faire à l’idée que je ne sois toujours pas mariée et elles pensaient qu’elles avaient parfaitement le droit de me sermonner sur mes choix de vie. Cependant, ces vieilles dames russes, dont les habitudes n'ont pas beaucoup changé depuis l'époque soviétique, ont aussi des talents incroyables. Une fois par semaine, je me rendais au marché local, où l'on vend généralement des produits faits maison. Une fois, j'y ai acheté une confiture de framboises, c’était la plus délicieuse que je n’avais jamais goûté. Plus tard, j'ai essayé de préparer la même chose à la maison, mais ça n'avait pas du tout le même goût.

Un jour, je suis allée dans un vrai bania russe, ce qui est devenu une véritable aventure. Nous nous y sommes rendues avec une collègue, après avoir fait toutes les préparations nécessaires – nous avons apporté un houssoir de bain, infusé du thé dans un thermos, et aussi pris un pot de miel pour nous l'appliquer sur la peau après le bain de vapeur. Je dois dire qu'au début, j'étais très gênée de me retrouver parmi des gens complètement nus. Lorsque nous sommes entrées dans le bania, ma collègue m'a montré comment utiliser correctement le houssoir. C'est une façon assez radicale de se détendre, mais après cette visite au bania, j'ai ressenti une réelle légèreté dans tout mon corps.

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Ce qui m'a le plus choquée dans le monde du travail est indéniablement le moment du repas. Les Russes ont 30mn de pause déjeuner. Ce qui pour nous, Français, bons vivants, est une aberration. Le repas du midi est fait pour être plutôt frugal et rapide pour retourner le plus vite possible au travail. Dans mon service, cela descendait même à 10-15mn pour le repas, queue pour la cantine comprise ! C'était un rythme très dur à suivre pour moi. Incontestablement, j'étais toujours à la traîne pour finir mon repas et sitôt la dernière bouchée posée sur ma langue, mes collègues se levaient tous comme un seul homme, ramassaient leur plateau et remontaient au travail. J'arrivais devant mon bureau mon dernier morceau encore en bouche.

En Russie tout le monde respecte la hiérarchie. Tu ne peux pas t'adresser à ton N+2 sans passer par ton N+1 et la hiérarchie, c'est la hiérarchie ! Tu ne peux pas traiter ton supérieur comme un ami, avoir des conversations d'égal à égal avec lui. Ce qui était au final assez drôle, c'est qu'en tant que Française, ma N+1 était Russe et mon N+2 était Français. Souvent, je la court-circuitais pour parler avec mon boss français qui était beaucoup plus ouvert et compréhensif. D'ailleurs, souvent, ensemble, on se moquait gentiment de cette rigidité.

L’une des différences notables entre les Russes et les Français est le rôle des genres. En France, les femmes comme les hommes sont considérés comme identiques. On a perdu les codes de la galanterie. Ce qui en soi a de bons et de mauvais points. Dans mon bureau russe nous avions des fontaines à eau. Les fois où je trouvais la bonbonne vide, je la changeais moi-même sous les yeux ahuris de mes collègues. On m'a fait plusieurs fois la réflexion que ce n'était pas à nous, les femmes, de nous charger d'une telle tâche et que nous devions demander à un homme. En France, évidemment les hommes aident souvent pour ce genre de tâches mais personne n'est choqué de voir une femme le faire par elle-même.

J'ai souvent utilisé les trains de nuit pour voyager en Russie. Il a été facile pour moi de m'y habituer, mais pas pour mon copain, qui souffrait de ne pas pouvoir s’allonger entièrement sur les couchettes étroites. Nous avons rencontré des gens du monde entier lors de nos voyages en platzkart. C'était incroyable de pouvoir communiquer avec des gens avec lesquels on n’aurait jamais pu parler en dehors du wagon. J'ai aussi beaucoup aimé le service. Tout le monde autour de nous buvait du thé dans d'étonnants porte-verres en fer, c'était propre et délicieux.

Le voyage le plus mémorable pour moi en Russie a peut-être été mon périple hivernal vers les rives du Baïkal. C'était incroyable ! Je comprends mieux d'où les chamans et les animistes tirent leur spiritualité. Il y a vraiment quelque chose de magique sur ce lac. Le premier matin sur le Baïkal, m’attendait une température de -40 degrés et de graves maux de tête, car la veille, j'avais goûté avec insouciance à la vodka artisanale locale. Cependant, dès que j’ai posé le pied sur la glace du Baïkal enveloppée dans 10 kg de vêtements, il ne restait plus aucune trace de sensations douloureuses !  Notre guide nous a dit que c'était l'esprit du Baïkal qui nous accueillait et nous souhaitait la bienvenue. Il a ajouté que pour certaines personnes, l'effet était inverse, elles se sentaient mal en ce lieu. 

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Ce que j'admire le plus chez les Russes, c'est leur résilience. Cela m'a frappée directement lors de mon premier voyage en Russie, pourtant en été, dans la région de Perm. La nature y est luxuriante mais hostile. Ici, elle s'étend sur des centaines voire des milliers de kilomètres. L'hiver y est très rude. L'été est insoutenable et la nature y est maîtresse incontestée. Comment, avec de telles contraintes climatiques, un peuple a-t-il pu construire une nation aussi puissante ? 

Les Russes savent tout faire ! L’artisanat est encore très vivace dans le pays dans tous les domaines : orfèvrerie, sculpture, couture, peinture…  La ville où je me trouvais, enfin plutôt la ville voisine, Gorodets, en est le cœur. Cette ville de près de mille ans est le centre d'artisanat de la région depuis des centaines d'années. Ses rues, parées de maisons ciselées et de toutes les couleurs, sont le berceau de motifs bien propres à la ville et du prianik de Gorodets, une variété du pain d'épice russe. 

J'aimais regarder les œuvres des maîtres russes, en imaginant comment ils avaient passé de nombreuses heures sur leur création. En souvenir de mon voyage en Russie, j’ai acheté une petite boîte de Palekh. À mes yeux, c'est un véritable bijou dont je me surprends quelques fois à admirer les détails les plus minutieux de sa composition pendant plusieurs minutes. Je porte aussi toujours un châle de Pavlovski Possad, que mes amis français aiment beaucoup.

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Propos recueillis par Daria Gridiaïeva